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Les Bandits d’honneur Algériens : Des martyrs sans statut ni reconnaissance

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Les bandits d’honneur furent nombreux et il en existait partout, dans l’immensité du territoire de l’Algérie. Ils ont commencé à se faire connaître vers la fin du XIXe siècle.

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Par S. Ait Hamouda

Volant aux riches pour donner aux pauvres, c’est ainsi, en tout cas, que la légende populaire les définit. Cependant, ils ne furent pas que cela, ils volaient aussi pour leur compte personnel. Ils devaient rétribuer leurs troupes et leurs familles, et ceux qui les hébergeaient occasionnellement. Qu’est-ce qu’un bandit d’honneur ? Ou encore, un « bandit social » ? Reprenons la définition de Hobsbawn qui parle justement de « bandit social » : « Un paysan hors-la-loi que le seigneur et l’État considèrent comme un criminel, mais qui demeure, à l’intérieur de la société paysanne, laquelle voit en lui un héros, un champion, un vengeur, un justicier, peut-être même un libérateur » (E.-J. Hobsbawn, 1972, p. 8). Qui sont-ils ? Nous retenons, en ce qui nous concerne, trois noms : Messaoud Ben Zelmat ou Azelmadh (le gaucher), dans les Aurès, Arezki El Bachir et Ahmed Oumerri, en Grande Kabylie. Les objectifs qu’ils se sont assignés sont limités : se venger de l’injustice et redresser les torts. Parfois, il s’intègre à des mouvements politiques, symbolisant, alors, une résistance politique à un ordre considéré comme oppresseur. Sa révolte peut demeurer aussi purement individualiste. Un bandit de droit commun – et il y en a eu, il y en a dans tous les pays- n’est pas forcément un bandit d’honneur et le bandit d’honneur n’est pas davantage forcément un héros national. Simplement, quand il s’intègre à un mouvement politique, son action prend forcément une dimension politique plus caractérisée. Il existe une bibliographie, sur le banditisme à la fin du XIXe siècle en Algérie, particulièrement en Grande Kabylie et dans le nord constantinois, relativement abondante. Quant à l’Aurès, l’étude du capitaine Petitgnot dans la Revue de gendarmerie, apporte d’importantes informations. Nous renvoyons donc à cette bibliographie essentielle de base, nous contentant, ci-après, de présenter brièvement trois exemples de bandits d’honneur et de révoltés ou réfractaires (sans les considérer comme de simples bandits de droit commun), qui avaient pris le marquis. Il semble possible de résumer en quelques points ce qui est commun à un certain nombre de bandits d’honneur d’autrefois en Algérie. Ordinairement, le bandit prend le maquis ou la montagne et ne reste pas dans les villes ou aux alentours de celles-ci. Ses actions se déroulent donc dans les milieux ruraux. Il s’enfuit, soit après un délit de droit commun, soit pour se venger d’une dénonciation ou d’un affront fait à sa famille. Dans ce cas, le vengeur estime que la justice officielle du pouvoir établi a été injuste. L’honneur doit être sauf : il faut donc recourir à la loi coutumière et faire sa propre justice, celle de la loi ancestrale et tribale. A travers une telle action, il faut reconnaître la permanence d’un code de l’honneur propre à la société (ou au clan) où le vengeur agit. D’ailleurs, la société prend, en général, fait et cause pour lui; elle l’aide et l’appuie, le cache et le ravitaille (de gré mais parfois aussi de force). Des légendes sont forgées et le bandit entre, à travers elles, dans la mythification. Il n’apparaît pas comme un vulgaire bandit, mais comme un homme d’honneur qui applique une « vraie » justice, celle des ancêtres. Cependant, ses actions restent, ordinairement, au plan des règlements de comptes personnels, de la vendetta. Il ne s’attaque pas forcément aux Européens, aux colons (comme on dit), alors qu’actuellement, la littérature veut absolument le contraire. Son action demeure individuelle, il ne soulève pas la région où il opère. Il n’a pas de projet révolutionnaire. Il ne devient un combattant politique ou révolutionnaire que s’il s’insère, comme cela est arrivé dans un Parti qui a pris les armes pour une action d’envergure nationale.

Arezki Oulbachir, Messaoud Azelmadh et Ahmed Oumeri

C’est dans la Grande Kabylie entre 1890 et 1895. L’administration coloniale protégeait des gens malhonnêtes, la justice était souvent bafouée, le mécontentement était grand. Le brigandage de grande envergure était le résultat de l’irritation de beaucoup de gens. Deux bandits d’honneur devinrent célèbres, Ahmed Ou Saïd Abdoun et Arezki Oulbachir. Là encore, leur brève histoire sera légendaire. L’image du héros sera vite embellie. Il est beau, séducteur de femmes, justicier implacable. Ernest Mallebay, dans ses chroniques, paraît avoir de la sympathie pour le héros. Lors du jugement, maître Langlois défendit Arezki en disant qu’ « il n’était pas le bandit vulgaire que l’on croyait ». Puis, il attaqua « l’administration coupable ». Il poursuivait en disant que « les crimes d’Arezki étaient des crimes politiques. Ce fut un révolté non un bandit ; il ne provoquait pas le mépris ». La presse de l’époque rapporte les exactions venant « des amis, des chefs de douars et de certains membres de l’administration française ». Elle rappelle que les Européens de la région d’Azazga soutenaient les bandits. Arezki était « chevaleresque, par-dessus tout, pitoyable pour les faibles, mais sans pitié pour ses ennemis » (Le Monde illustré t. LXXI, janvier-juin 1895, p. 54-55). Bref, pas plus que Messaoud Azelmadh ou Benzelamat, le gaucher, Arezki n’était pas un vulgaire bandit. D’abord coupable pourtant d’un délit de droit commun (vol avec effraction), il se grandit, pour ainsi dire, par son rôle de justicier qu’il mena dans la montagne. En effet, lorsque la légende s’empare de ce genre de personnages mythiques, elle en fait des surhommes, des justiciers, des vengeurs d’exactions commises contre le petit peuple par les colons et leurs alliers autochtones, « bachaghas, caïds et autres collaborateurs ». Mais ce n’est pas l’avis de tout le monde. En effet, certains leur reprochent bien des méfaits, entre autres, des bandits de grands chemins.

Messaoud Azelmadh ou Benzelmat  (le gaucher) des Aurès

Originaire des Aurés, Messaoud Azelmadh a fait l’objet d’une étude, lui qui avait tenu le maquis de 1917 à 1921. (J. Déjeux, ROMM, n° 26, 1979). Nous en résumons quelques points principaux. L’Aurès avait connu l’insurrection de 1879. Puis, en 1916, éclataient les troubles dans l’arrondissement de Batna (à Aïn Touta et dans le Bélezma). La guerre de 1914 entraînait désertions et insoumissions dans l’armée, par refus de la conscription (« nous ne donnerons pas nos enfants »). Des bandes de déserteurs couraient la montagne. Les paysans étaient, eux, de plus en plus rejetés sur des terrains peu fertiles, pour faire de la place à l’exploitation des meilleures terres par des colons. Les délits forestiers étaient nombreux, suivis parfois de crimes contre les représentants de la loi, constatant les flagrants délits. Enfin, les crimes de vengeance entre familles et clans se réglaient selon la loi coutumière. L’aventure de Messaoud Ben Zelmat se situe dans ce contexte historique de résistance, d’une manière ou d’une autre, à l’autorité locale, et de mécontentement. Un long poème épique a été sauvé de l’oubli par Georges Kerhuel. Il est connu. Nous avons pu en rassembler quelques variantes. Jean Servier en donne d’autres exemples. Ben Zelmat n’ayant pas acquis la stature d’un héros national, « Tradition de l’Aourâs oriental », (Bull, de correspond, afric,1885, p. 72-110) comme le fait Gilbert Meynier. Le long poème chanté par les femmes ne parle que de Ben Zelmat. Celui-ci était admiré parce qu’il tenait tête à celui qui dominait l’étranger qui le poursuivait. Même s’il était craint et que l’on risquait gros en le cachant, on le reconnaissait comme un « homme », affrontant la souffrance et la mort : « Sur les chemins du Zellatou, mon bien-aimé ». Il était celui qui ne pliait pas l’échine, le généreux pour les pauvres et le justicier faisant payer les puissants, caïds et militaires. Ce n’était pas au « colonialisme », comme on dit aujourd’hui, ou encore aux colons, qu’il s’en prenait, mais à une justice étrangère aux lois coutumières et à l’honneur. Il résistait à une justice jugée par lui injuste. Aucun, parmi les Algériens interviewés, ne nous a parlé de lui comme d’un bandit politique ou d’un bandit national, héros national. Naturellement, comme la politique est partout, on peut toujours dire qu’indirectement, son refus de la loi française était un geste politique. Il n’en demeure pas moins à cet égard que ces bandits sociaux ou d’honneur étaient des politiques non structurés, sans parti, sans feu ni lieu, qui ont librement choisi leur voie, en dehors de toute démarche idéologique. Ils voulaient combattre, à leur manière, souvent débridée et apolitique, les exactions des colons, de l’administration coloniale et de leurs collabos indigènes.

Le cas Ahmed ouméri 

Oumeri, est un cas exceptionnel. Déserteur de l’armée française, il courait la montagne kabyle dans les années 1945. La violence et le banditisme étaient assez fréquents. Hocine Aït Ahmed, livrant un témoignage personnel sur l’action du PPA dans cette région, à cette époque, écrit que « chaque famille, chaque village, chaque douar devait s’occuper de ses déshérités, de ses marginaux, voire de ses têtes brûlées ». La densité et la fréquence des réunions nocturnes des cellules du PPA étaient telles que « les mouvements des bandits étaient pratiquement paralysés » (Aït Ahmed, 1983, p. 69). Oumeri parcourant la montagne, bandit d’honneur à sa façon et justicier pour son compte, ne pouvait pas ne pas être gêné par cette pression du PPA. Il cessait ses exactions, dit Aït Ahmed, et « ne stoppait les autocars que pour faire crier aux voyageurs : Vive le PPA, vive l’indépendance ! ». Il avait donc été récupéré dans l’organisation politique, de même que l’avaient été certains bandits d’honneur dans l’Aurès en 1954. Hocine Aït Ahmed mentionne, également, le cas de Krim Belkacem, qui avait tué le garde champêtre de son douar pour des raisons politique, ayant pris là « une initiative personnelle ». Cela se passait en 1947 (son adhésion au PPA datait de l’année précédente). Autre cas mentionné celui de Amar Amsah. Il avait pris le maquis en 1946, à la suite d’un délit de droit commun, et avait reçu l’ordre de l’organisation de se tenir tranquille. Néanmoins, il avait abattu froidement un rival sans arme. Jugé par un tribunal du parti, il fut condamné à mort. Amar Amsah déclarait avoir mitraillé sans raison, l’inspecteur, son ami, « apparemment pour le plaisir de se servir de son arme » (Aït Ahmed, 1983, p. 69, note 1). Oumeri, lui, fut trahi, un jour, selon ce qu’on rapporte. Il tomba sous les balles de ses adversaires. Son cas est mixte, pour ainsi dire, « tête brûlée », bandit social qui fait sa propre justice, qui rançonne pour son compte, mais qui, un jour, « se reconvertit » pour entrer dans une action politique organisée et contrôlée, avec des objectifs politiques précis. Il ne pouvait donc, dès lors, agir en franc-tireur et se permettre n’importe quoi. L’exemple d’Amsah, cité par Aït Ahmed, le prouve. On pourrait rappeler encore le conte de la région de Kherrata sur Hamza Laïdoui (J. Sénac, Terrasses, I, juin 1953, p. 117-119) et sur combien d’autres. Sans aucunement clore la liste, citons Malek Bennabi, qui écrivait, dans ses Mémoires d’un témoin du siècle (1965, Alger), que l’imagination des adolescents s’excitait en entendant les exploits de Bouchloukh, qui avait pris le maquis dans les gorges mêmes de Rhumel à Constantine et que, lui-même, Bennabi, avait nourri son imagination à cette légende et à celle de Ben Zelmat, à la même époque. Il reste, néanmoins, à faire le distinguo entre brigands, bandits tout court, et bandits d’honneur, ces derniers révoltés et peu enclins à la servitude, ont pris sur eux de se distinguer par leurs actes qui pouvaient, à l’époque, être perçus comme des actions de résistance à l’oppression des occupants. Aucun de ces révoltés n’a eu droit à la postérité à l’instar des maquisards qui les ont précédés ou qui leur ont succédés tout simplement, parce qu’ils ont été des éternels incompris. Des éternels marginaux. Cependant, ils restent toujours présents dans la mémoire collective comme des héros exemplaires.

S.A.H.

sources encyclopédie berbère

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