Graïchi ou comment on devient peintre

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Aborder la question de l’art avec un artiste est toujours malaisé notamment quand celui-ci a une longue carrière et une grande œuvre à son actif. Les réponses que l’on a à ses questions risquent d’être pour le moins surprenantes. Avec Mohamed Graïchi, peintre surréaliste, homme affable et ouvert, on se heurte, d’emblée, à une barrière. Cela augurait d’un entretien pas du tout facile. D’ailleurs, un entretien direct et franc avec un artiste est-il seulement  possible? Nous avons abordé notre peintre, dimanche dernier dans l’après-midi, alors qu’il allait être honoré avec deux autres artistes. A l’entendre, l’art est aussi commun que le trèfle à trois pétales dans un champ de luzerne. Le talent ? Le génie ? Un revers de main les balaye. Une fable, une chimère ! Vous pensez bien,  si l’art est en chacun de nous, si tout le monde peut être artiste, pour peu qu’on le veuille, où serait la place du don  suivant cette logique? Il y a tout de même une explication, toute simple? Puisque le talent et le génie ne peuvent être retenus comme critères de réussite dans ce domaine, qu’est-ce qui est valable pour le définir ?  En d’autres termes, où serait le privilège d’être artiste ? Un léger sourire éclaire le masque : la maitrise des procédés et des techniques. Une toile est  un univers géré par des lois. Il est impossible de rien entreprendre dans ce domaine  si on ne les connait pas. Seule une solide formation peut donner les moyens d’accès à l’art. Une formation comme la sienne à l’école des beaux arts ? Exactement. Encore faut-il en avoir envie, le souhaiter vraiment. C’est une affaire de vocation, de choix, d’orientation. Enfin, une petite brèche s’ouvre dans la muraille. Nous nous y engouffrons. C’est donc le réalisme ? Erreur, c’est le surréalisme, au  contraire.  Mais ce courant pictural ne fait-il pas justement table rase de tout académisme ? La réponse est cinglante : Raison de plus pour savoir comment, et qu’est-ce qu’il faut mettre à la place. Et sur un ton dogmatique rare chez un peintre surréaliste : l’art est transformation de la réalité en quelque chose de nouveau qui n’est plus du domaine du réel.  Comment donc notre artiste a commencé sa arrière ? Une inspiration profonde comme pour une longue plongée dans le passé puis : « Oh, elle a commencé très tôt. Toute mon enfance a baigné dans l’odeur de l’huile et de la térébenthine.  Mon père était peintre.  Je l’imitais. Depuis, je n’ai cessé de faire de l’imitation ». Picasso, par exemple ? -Entre autres. Ah Picasso par exemple, quel artiste pourrait jamais l’égaler un jour ! Il n’arrêtait pas de peindre et de dessiner ! Même sur les nappes des restaurants où il entrait pour diner ! Il vous aurait vu avec votre chemise blanche, il aurait eu envie de croquer quelque chose dessus ! C’est ce qu’on appelle la passion de l’art. L’avez-vous toujours, cette ardeur, ce feu sacré ?- Non pas plus chez moi que chez le grand maître du surréalisme. L’artiste travaille pour lui, pour se faire plaisir. Tenez, quand je suis en joie ou en colère, je peins et ma toile exprime ce que je ressens sur le moment, même si le sujet est autre.  Un peu comme les poètes, voyez-vous. Un petit tressaillement de notre part : -Pourquoi donc un peu ? Eux aussi sont des artistes. Leurs poèmes expriment des sentiments. Un haussement d’épaules marque en quelle estime sont tenus ses artistes chez notre peintre : Certes, mais la peinture a plus de force et de précision. Même si les mots ont un pouvoir d’évocation et de suggestion admirable, il ne peut égaler celui de la peinture qui reste le mode d’expression par excellence. La parenthèse ouverte dans la vie de ce peintre qui possède une œuvre considérable, mais qui refuse de dire le nombre exact de tableaux dont elle se compose, soit réellement par oubli, soit par souci de préserver ses secrets. De même, nous n’apprendrons peut être jamais ses soirées passées en compagnie de Kateb Yacine et de quelques amis, au temps où l’auteur de Nedjma se plaisait à Bouira, y passait de longues journées à parcourir la campagne à Vélo et à composer des pièces de théâtre à la ferme pilote de Bouira. Le peintre, appelé dans la salle d’honneur pour y être distingué nous quittait non sans nous avoir donné rendez-vous pour un prochain entretien.

Aziz Bey

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