De l’homme-orchestre multidimensionnel au militant transfrontalier

Partager

Mohamed Boudia a été, tout le long de sa vie, du reste assez courte mais chargée eu égard à son parcours d’artiste et de journaliste, un combattant de toutes les causes justes à commencer par celle de son pays, l’Algérie.

Né le 24 février 1932 à Bab Djedid (Haute Casbah) et décédé le 28 juin 1973 à Paris, il a été un militant de l’indépendance algérienne puis de la cause palestinienne. Il fut dramaturge et journaliste. Issu d’une famille modeste, il a effectué son service militaire et a résidé pendant deux années à Dijon. Dans cette ville, il a multiplié les contacts avec les milieux nationalistes tout en fréquentant régulièrement les théâtres. Il ne tarda d’ailleurs pas à rédiger lui-même des pièces de théâtre. Il militait pour un théâtre engagé et pédagogique. Un théâtre mobilisateur des masses pour leur émancipation. En 1954, après le début de la guerre de Libération Nationale, il rejoint la France et devient membre de la Fédération de France du FLN. Il participe à plusieurs opérations en tant que fidaï. Chef du commando, il fomente l’attentat contre les dépôts pétroliers de Maurepiane. Blessé lors d’une de ces opérations en 1956, il est arrêté en 1958 après avoir perpétré un attentat à l’explosif à Marseille contre un pipeline. Il fut condamné à vingt ans de prison. Considéré comme un élément « dangereux et perturbateur », il alla d’une prison à l’autre : Fresnes, la Santé les Beaumettes et Angers ont été ses lieux de détention. En 1963, il occupe le poste de directeur du Théâtre National à Alger, premier théâtre créé en Algérie après l’acquisition de l’indépendance qu’il a contribué à nationaliser avec Mustapha Kateb. Il sera également le fondateur de deux journaux « Novembre » revue culturelle et « Alger ce soir » quotidien lui permettant de s’exprimer en tant que poète, écrivain, artiste ou polémiste. Après le 19 juin 1965, il trouve refuge en France et continue ses activités politiques et culturelles. Son opposition politique à Boumediene s’exprima par son activité forcenée au sein de l’ORP (Organisation Révolutionnaire Populaire). Administrateur du Théâtre de l’Ouest parisien, il forme la troupe du Théâtre Maghrébin qu’il autofinance. Il effectue des va et vient incessants entre la politique comme fin et le théâtre comme moyen. Ses pièces de théâtre sont en lien avec la quête de l’indépendance de l’Algérie. De 1955 à 1957, le théâtre est pour lui un sport de combat. À cette époque, plusieurs personnes du milieu du théâtre engagées dans les mouvements nationalistes servent d’étendard à la question algérienne à Saint-Denis, Barbès, Clignancourt, Marseille et dans d’autres villes françaises.

Mohamed Zinet le compagnon de combat

Mohamed Boudia et son ami Mohamed Zinet forment un duo d’agitateurs. Ils participaient activement aux actions de la Fédération de France du FLN et faisaient connaître au public les objectifs et les prises de positions du mouvement nationaliste. Ils organisèrent des rencontres avec les émigrés et dispensèrent des formations pour les jeunes comédiens. Administrateur du Théâtre de l’Ouest parisien, il rejoint le mouvement national palestinien Fatah. Les autorités administratives décident la dissolution de toutes les troupes théâtrales soupçonnées de faire la propagande d’idées révolutionnaires. En prison, Boudia reste un infatigable militant : aux Beaumettes, il monte plusieurs pièces de théâtre toujours dans l’intention pédagogique d’expliquer les causes et l’importance de la lutte de libération. Il souhaite aussi faire partager sa passion du théâtre aux prisonniers pour contribuer à les sortir de leur apathie carcérale et de favoriser leurs pratiques culturelles. Il crée deux pièces de théâtre « Naissances » et « L’Olivier » et traduit en arabe « dialectal » quelques pièces de Molière. Il réussit à s’évader de la prison d’Angers grâce à la complicité du réseau Jeanson pour se réfugier temporairement en Belgique. Puis, il rejoint la troupe culturelle du FLN basée à Tunis. Son engagement militant en faveur de l’indépendance algérienne terminée, il épouse ensuite la cause palestinienne en intervenant au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Sa rencontre avec Wadie Haddad, responsable militaire du FPLP, à Cuba, est un élément déclencheur dans son militantisme palestinien. Il propose alors de mettre son expérience acquise dans le combat pour la cause algérienne, au service de la cause du peuple palestinien. Proche de Georges Habbache, responsable du FPLP, il fut un des membres les plus actifs en France. D’abord trésorier, il participa à des actions armées extérieures. Mohamed Boudia est ensuite nommé à la tête de l’organisation spéciale du FPLP en Europe, qui était chargée de recruter des militants et de mener des actions armées contre de cibles israéliennes dans les pays européens. Plusieurs actions sont à son actif. Il a été fiché par le Mossad comme « ennemi public n°1 ». Son assassinat devint donc une nécessité  pour l’entité sioniste. Boudia se savait menacé et prenait ses précautions. Avant de monter dans sa voiture, une Renault 16, il l’inspectait méticuleusement. Malheureusement, dans la matinée du 28 juin 1973, ne s’étant pas aperçu des stratagèmes de ses ennemis qui redoublaient d’ingéniosité pour l’abattre, il tomba en martyr pour la cause palestinienne.  Ses funérailles ont été organisées, dans la discrétion, à Alger. « Lorsque je parle de lui, j’éprouve un immense plaisir. Il avait le verbe facile, était souriant, courageux et surtout discret. J’ai connu en lui pendant la période de détention, lors de la guerre de libération nationale, la générosité », dira Abderahmane Benhmida, ex-ministre de l’Education dans les années soixante en évoquant Mohamed Boudia. Pour  Hocine Zehouane : « Mohamed Boudia a été un des initiateurs du premier colloque de la musique algérienne. Grâce à lui, et à bon nombre d’artistes, de nombreuses pièces de théâtre ont pu être montées ». Et d’ajouter : « ce qui m’avait frappé en lui, c’est sa dimension d’homme de théâtre, à une époque où l’euphorie était à son comble. Il allait devenir un grand animateur du mouvement culturel ». Mohamed Boudia a été homme de théâtre, poète, journaliste et surtout militant. Evoquer son parcours c’est donner de lui une image, un repère, une voie dont pourra s’inspirer la jeunesse algérienne.

S.A.H

Partager