Deux Tunisiennes charment le public

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La quatrième journée du Festival International du Théâtre de Béjaïa s’est distinguée par la présentation de deux pièces tunisiennes de grande qualité. A seize heures, à la petite salle du théâtre Régional de Béjaïa, fut jouée une pièce du dramaturge marocain, Abdelhaq Zerouali, interprétée par la comédienne Tunisienne Samira Bouaoud. «Point Zéro» est l’histoire d’une femme, actrice de théâtre, qui fait face aux difficultés de son statut de femme et aux conflits qu’elle avait avec son producteur. Dans les années cinquante et soixante, les rôles des femmes étaient campés par des hommes, tellement le métier d’actrice était rare. Les femmes, qui osaient jouer une pièce de théâtre ou un rôle au cinéma, utilisaient souvent des pseudonymes. La société avait du mal à accepter qu’une femme puisse ainsi s’exhiber devant le public. Ce sont les Egyptiennes qui ont ouvert le bal, suivies par les Libanaises puis les Tunisiennes. La pièce présentée ce samedi a été écrite en 1979. Mais l’auteur n’a jamais pu la présenter au public, faute de femme capable d’assumer le rôle assigné au personnage. Le texte a été retravaillé en 2005, puis réécrit en 2011 quand Abdelhaq Zerouali a rencontré Samira Bouaoud. Après trois années de travail, la pièce a été jouée à Tanger avant d’être présentée à Bougie. L’actrice, qui est aussi la productrice de la pièce, a déclaré que, faute de financement public, elle a assumé toute seule les frais de production de l’œuvre. Elle tenait à présenter un texte marocain, joué par une actrice Tunisienne en Algérie. Point de frontières entre les trois pays. La pièce fut dite en arabe classique, avec des digressions en dialectes tunisien et marocain. Samira Bouaoud s’est excusée de ne pas avoir eu suffisamment de temps pour y intégrer des expressions en Tamazight. Elle était arrivée juste la veille du spectacle, mais s’est dite consciente de la nécessité d’utiliser le langage qui peut rapprocher sa pièce du public. A dix-neuf heures trente, dans la grande salle du même théâtre fut présentée une autre pièce tunisienne. Il s’agit d’une œuvre écrite par Meriam Bousselmi, inspirée par l’expérience tunisienne de la chute de Benali. La pièce, intitulée « Ce que le dictateur n’a pas dit», est un véritable cours de communication politique et de la manipulation des peuples par les dictatures. Interprétée par Steve Karier, comédien et directeur du festival monodrame annuel du Grand-Duché du Luxembourg, la pièce raconte l’histoire d’un dictateur déchu. Tout le long de la représentation, ledit dictateur explique comment il avait réussi à manipuler les peuples, les foules, les journalistes et les intellectuels. Il assume parfaitement tout le mal qu’on lui reproche et le revendique même. Il se plaisait dans le rôle qui était le sien, puisqu’il avait été porté au pouvoir par ceux qui l’avaient dénigré. «Je préfère être dénigré plutôt qu’être ignoré», avait-il dit. Assis sur son trône, il assénait ses discours avec froideur et détachement. A côté de son buste, représentant le culte de sa personnalité il expliquait froidement comment s’obtenait la soumission des peuples. Il n’avait pas grand-chose à faire, en fait, il suffisait de distiller le mensonge, ce que le peuple adore, pour arriver au pouvoir ou s’y maintenir. Le peuple est hypocrite et lâche, disait-il. Il aime tout ce qui l’humilie, le rabaisse et l’opprime. Il est manipulable à souhait. Il suffit de lui distiller des compliments, au travers des courtisans, des biographes et des journalistes. L’art de gouverner en paix, c’est mettre tout le monde à l’heure et garder la foule occupée dans des bavardages stériles. Il faut pousser le mensonge le plus loin possible, jusqu’à l’illumination, et avoir de l’audace. «Oui, j’ai fait le mal, mais c’est vous qui m’avez mis dans la position qui m’a permis de le faire. Je n’ai plus de sentiments pour mon peuple, sinon celui du mépris. Jésus avait raison quand il avait demandé à quoi servirait de gagner le monde entier si on perdait son âme», reconnaît-il. La pièce a été grandement jouée par un acteur de talent, campant, par sa stature et son élocution, l’attitude d’un dictateur parfait. C’est la première fois que cette pièce soit jouée en dehors du Luxembourg. Meriam Bousselmi, qui se dit issue du peuple berbère de Tunisie, espère la faire jouer aussi dans son pays où elle exerce comme avocate. Elle a fait lire le texte à des amis intellectuels Tunisiens, lesquels disent qu’ils l’ont apprécié.

N. Si Yani

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