Des heures sombres pour le patrimoine de l'humanité

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Le patrimoine mondial aura connu ses pires moments en ces premiers mois de l’année 2015 avec leur lot d’attaques terroristes ciblant des vestiges historiques, surtout en Irak, dans une tentative d’effacement des traces fondatrices de la civilisation humaine. Cette entreprise de « nettoyage culturel », ainsi qualifiée par la directrice l’Unesco, Irina Bokova, a été entamée il y a 14 ans, avec les attaques contre les Bouddhas géants de la vallée de Bamiyan en Afghanistan et a atteint son apogée au mois de mars de cette année avec la destruction des sites de Hatra (VIIe) et de Nimroud (1e siècle av-JC) en Irak. Avant d’attaquer ces deux sites, classés au patrimoine mondial de l’humanité le groupe terroriste autoproclamé « Etat islamique » avait en janvier détruit par le feu près de 2000 ouvrages et manuscrits de la bibliothèque de Mossoul (nord), selon des témoins cités par des médias internationaux. Ces autodafés, visant des écrits vieux de près de 7 siècles pour certains, ont été qualifiés par l’Unesco d’une des « plus grandes destructions intentionnelles d’ouvrages de l’histoire humaine ». En février, un nouveau crime contre le patrimoine mondial était commis dans l’ancienne capitale de l’Assyrie avec l’attaque du musée de Ninive où des reliques archéologiques préislamiques ont été saccagées par le même groupe terroriste. Ce « génocide culturel qui nie l’Autre », comme le déclarait à la presse l’archéologue libanaise Joanne Farchakh Bajjaly, était mis en œuvre dès 2014 à Mossoul où les terroristes avaient dynamité en juillet le tombeau du prophète Younes (Jonas). Si les terroristes s’en sont principalement pris à des vestiges antérieurs à l’islam en Irak, des mausolées de saints musulmans ont également été détruits par d’autres fanatiques religieux dans d’autres pays. Les cas le plus édifiant est la destruction en décembre 2012 à Tombouctou (Mali) de mausolées de cette ville, classée au patrimoine mondial en 1988, par des terroristes qui avaient pris le contrôle d’une partie du nord malien. Classée depuis au patrimoine mondial en péril, la ville de Tombouctou avait failli subir un autre dommage irréparable: ses manuscrits médiévaux, véritable trésor de savoirs, ont été sauvés in extremis de la destruction grâce à des familles maliennes qui les ont acheminés vers la capitale Bamako. Le patrimoine musulman avait également été attaqué en novembre 2013 en Libye où le mausolée de Mourad Agha (XVIe), sépulture du premier gouverneur ottoman de Tripoli, avait été dynamité.

Trafic de pièces archéologiques

Au-delà de la volonté manifeste d’effacer l’histoire de l’humanité les attaques contre le patrimoine servent aussi l’activité terroriste de ces groupes qui s’autofinancent, en partie, grâce au commerce illicite des biens culturels, relèvent de nombreux observateurs. Dès 2013, l’Unesco alertait sur la multiplication des « fouilles illicites » et des « pillages massifs » de sites archéologiques en Syrie, un pays au patrimoine gravement touché par un conflit armé qui dure depuis 2011. Alimentant « un commerce lucratif pour certains négociants peu scrupuleux », notait l’Organisation onusienne à propos de la Syrie, le trafic de biens culturels s’avère également être une source de financement pour les terroristes en Irak, selon les experts. « Daesh fait des fouilles pour vendre (les biens culturels) sur les places européennes et asiatiques (…) », affirmait en septembre 2014 le directeur du musée de Bagdad, Qais Hussein Rashied, lors d’un colloque international sur le patrimoine irakien organisé à Paris. De son côté le très sérieux quotidien britannique Daily Mail signalait en mars 2015 que des pièces archéologiques irakiennes et syriennes, vieilles de 2000 ans, étaient proposées à la vente en ligne sur un site Internet en vue.

Mobilisation internationale balbutiante

Face à ce qui s’apparente à un projet de destruction massive et systématique, la communauté internationale, inquiète, a commencé à montrer des signes de mobilisation dès le début de cette année. Le Conseil de sécurité de l’Onu a ainsi adopté en février une résolution condamnant les destructions du patrimoine culturel irakien et syrien, « en particulier par l’EIIL et le Front el-Nosra (…) ». Cette résolution vise également le trafic des biens culturels comme source de financement du terrorisme et demande aux Etats membres de « prendre les mesures voulues pour empêcher le commerce des biens culturels irakiens et syriens (…) ».  Investie du rôle de facilitateur dans la mise en place de ces mesures (avec d’autres organisations comme Interpol) en vertu de la résolution, l’Unesco a depuis lancé une campagne de sensibilisation pour la protection du patrimoine sur les réseaux sociaux. Dernière initiative en date, l’annonce conjointe de l’Allemagne et de l’Irak du prochain dépôt devant l’Assemblée générale de l’Onu d’une résolution demandant de « sanctionner les responsables des destructions de sites historiques ».

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