«On nait artiste et on meurt artiste»

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Absent de la scène artistique, notamment dans la production, depuis un peu plus de cinq ans, la star de la chanson kabyle Amour Abdenour est revenue sur sa décision de se retirer définitivement de la chanson au grand bonheur de son nombreux public. «Quand l’art coule dans votre sang, on ne s’en sépare jamais… », nous a confié Amour Abdenour avec sa modestie légendaire. Amour Abdenour qui vient d’achever l’enregistrement d’un nouvel album après plus de deux semaines passées au studio, annonce sa sortie vers la fin du mois de mars courant. Rencontré à la salle des fêtes Ounissa d’El-Flay lors de l’hommage que lui ont rendu les siens à travers la célébration de son 64e anniversaire par l’association pour la promotion de la culture, Amour Abdenour est longuement revenu à travers cet entretien sur les raisons de son retrait de la chanson, son nouvel album et sur engagement…

La Dépêche de Kabylie : Vous avez reçu, par le passé de nombreux hommages un peu partout dans le pays. Mais ces derniers jours, ce sont les gens de votre village, à travers l’association pour la promotion de la culture, qui ont tenu à vous rendre hommage. Quel est votre sentiment pour cette initiative venant des gens de votre village avec lesquels vous avez grandi, le village où vous vivez … ?

Amour Abdenour : C’est vrai que de nombreux hommages ont été initiés pour moi un peu partout ailleurs à Tifra, par exemple par la jeune et dynamique association «Ithri Ibourayen» et à travers d’autres régions du pays, l’hommage pour mes 40 ans de carrière à Paris mais c’est la première fois que je vis ces intenses moments à travers cet événement qui m’a été dédié par les miens. Cette initiative de fêter mon anniversaire par les gens de mon village à travers l’association pour la promotion de la culture me va droit au cœur. On dit que personne n’est prophète chez lui, ces moments de reconnaissance des gens de mon village me font, bien entendu, très plaisir. Il est vrai que je n’appartiens pas uniquement à mon village à ce stade là. J’appartiens à tout mon public qui apprécie mon travail artistique. Cela est indiscutable; mais ces moments que j’ai vécu dans mon village lors de la fête de mon anniversaire sont particuliers : Un village où j’ai ouvert les yeux, où j’ai grandi. II faut dire que mes premiers pas dans la chanson étaient avec les gens de mon village. Ce sont eux, à l’âge de 14, 15 ans, qui m’ont applaudi, encouragé dans cette voie. Sans les encouragements des miens, je n’aurais peut-être pas réussi à aller aussi loin. Ils ont pensé à fêter mon anniversaire, je les remercie. Cela me fait chaud au cœur. Avoir la reconnaissance des gens avec lesquels tu vis tous les jours, que tu croises à chaque instant de la journée dans le même village et qui te connaissent parfaitement bien comme tu es dans la vie de tous les jours, constituent des moments extraordinaires. J’ai le même comportement envers eux, je suis un fils de leur village comme les autres. Je les remercie infiniment pour ce geste de reconnaissance. Permettez-moi aussi de remercier le propriétaire et la gérante de la salle des fêtes d’El-Flay qui ont mis à la disposition de cet événement cette salle gracieusement.

Parlons un peu maintenant de votre retour à la chanson après un retrait de plusieurs années…

J’ai décidé de mettre un terme à ma carrière artistique pour des raisons personnelles ; j’étais quelque part saturé et aussi suite à une maladie. J’avais aussi quelques soucis personnels. Autre chose également derrière ce retrait, c’est la situation de la chanson kabyle qui est loin d’être encourageante. Aujourd’hui, j ai décidé de reprendre. C’est aussi une décision personnelle. Et puis, il faut dire que lorsqu’on a l’art dans le sang, il est impossible de s’en séparer. On nait artiste et on meurt artiste.

On a appris que vous venez d’achever l’enregistrement d’un nouveau produit…

Oui effectivement, j’ai achevé l’enregistrement. L’album est prêt ; il sera sur le marché vers la fin du mois de mars.

Parlez-nous de l’enregistrement ; on dit que c’est la première fois que vous restez autant de temps dans un studio ; est-ce vrai ?

Oui effectivement. Je suis resté plus de deux semaines au studio. J’ai utilisé pas mal d’instruments acoustiques, et parallèlement, j’ai utilisé également les instruments de studio. J’ai conjugué les deux formes d’orchestration. Contrairement à ce que je faisais dans le passé avec des instruments de studio. Avant, je ne dépassai pas une semaine au studio. J’ai intégré des instruments acoustiques ; ça prend du temps. Chaque musicien a besoin d’un certain temps pour les répétitions ; avant, le travail se faisait avec un seul arrangeur qui fait tout.

Ce nouvel album est-il différent des précédents ?

Un nouveau produit doit toujours être différent du précédent. Mon nouvel album est différent. Moi j’ai toujours envie d’avancer ; Je ne reviens jamais avec le même produit. Les thèmes abordés sont aussi différents que les précédents. À chaque fois, j’essaie de trouver un autre angle dans mes compositions. J’aborde des thèmes authentiques. Ce sont des thèmes réels vécus. Il est vrai que les thèmes sont les mêmes, à savoir l’amour, l’affectif, la sociale ou autre chose, mais l’originalité se trouve dans la manière d’aborder ce thème. Et c’est ce que je fais à chacun de mes nouveaux albums. Ce nouvel album comporte huit chansons traitant divers sujets, tout en gardant cette originalité qui constitue mon style. Des sujets tirés de situations vécues, réelles que le public découvrira bientôt vers la fin du mois de mars.

Revenons à cette manière d’aborder tous ces thèmes très originaux chantés durant toute votre carrière de plus 40 ans…

L’inspiration ne vient pas toute seule comme ça. S’agissant de la musique comme pour les textes. Je fais des recherches. Je compose d’abord la musique et ensuite je lui cherche un thème approprié. Généralement, ce sont des situations vécues où observées mais rarement inventées. Ce sont tous des thèmes tirés de situations vécues.

La chanson kabyle souffre de manque de création ; on n’encourage pas la création artistique avec toutes ces reprises et chansons sandwichs…

Cela relève du rôle des médias. De l’absence de critique objective artistique. Les temps ont changé. A mes débuts, il m’a fallu plusieurs années d’apprentissage à la radio avant d’être enfin accepté dans la chanson. Mais j’estime que beaucoup de ces jeunes chanteurs sont plutôt des victimes. Et puis, avec tous ces moyens technologiques, des logiciels utilisés dans les studios même pour rectifier la voix, et avec une certaine somme d’argents, un arrangeur, tu peux enregistrer. Dès qu’un jeune chanteur a un produit sur le marché il se voit déjà accompli. Il faut toujours se remettre en cause, chercher à apprendre même quand on a plusieurs dizaines d’années dans ce domaine. Une autre chose très importante, on ne s’improvise pas artiste. On nait artiste, avec un certain don qu’il faut perpétuellement chercher à améliorer en gardant les pieds sur terre. Moi, il m’a fallu plus de huit ans pour intégrer la radio. J’ai commencé avec les chanteurs de demain. J’allais voir chérif Kheddam et depuis que je suis rentré à la radio à ce jour, j’apprends encore et toujours. Aujourd’hui, celui qui enregistre une cassette croit qu’il est déjà arrivé. Il y a certes de nombreux talents dans la chanson mais ces jeunes ne sont pas connus, ils ne sont pas visibles. Avec la critique artistique, on aurait eu un tri. Lorsqu’une œuvre n’est pas bonne, on le dit, cela relève de l’éthique. La critique est nécessaire pour évoluer ; elle doit être objective bien sûr. Pour ma génération, on a plus de passé que d’avenir.

Vous êtes également connu comme étant un chanteur engagé dans le combat identitaire pour tamazight dans les années 1970 déjà …

Je ne me suis jamais considéré comme un chanteur engagé. Moi, je fais passer l’art avant tout. Je suis un artiste. Je chante et dénonce tout ce que je considère comme arbitraire. Durant les années 70, j’ai estimé que tamazight, taqvaylit, subissait un déni ; je me suis révolté contre ces injustices… Je l’ai fais par conviction. Je ne regrette rien bien sûr mais je ne tire aussi aucune fierté particulière ou un quelconque mérite. Si c’était à refaire, je ferai la même chose. Ce n’est qu’un devoir pas plus.

On dit que vous avez aussi été arrêté dans la fameuse affaire dite des poseurs de bombes avec le regretté Haroune Mohamed. Vous confirmez ?

J’ai été arrêté mais je n’appartenais pas à ce groupe. J’ai été arrêté justement parce que je chantais la cause amazighe. En toute modestie, je peux dire que j’étais l’un des premiers à chanter la cause amazighe en 1970. À cette époque, la cause amazighe était surtout à l’université. Il n’y avait que quelques étudiants qui parlaient de la cause amazighe. On chantait dans les villages pour faire prendre connaissance de cette cause. Maintenant, c’est tout le monde qui s’en revendique ; c’est tant mieux ; cela nous conforte dans nos convictions ; une preuve que note combat était juste. En 1970, parler en kabyle à Alger était difficile et pouvait même te valoir une arrestation. À la radio, il te faut un laisser passer pour rentrer contrairement aux chanteurs du Moyen-Orient qui étaient reçus avec tous les honneurs à l’aéroport. Même le chaâbi algérien a subi la même injustice. Le Grand El Anka n’est pas passé que 17 ans après à la télévision algérienne de son pays parce qu’il chantait le chaâbi algérien et non le moyen oriental. Pour revenir un peu à l’engagement dont vous parlez, quelle gloire tirer de dire à quelqu’un que je me suis engagé pour la cause ? Moi, je l’ai fais par conviction et non pas pour les honneurs. Je ne suis autre chose qu’un kabyle ; je n’ai pas chanté pour me servir de la cause. Je n’ai pas aussi regardé les conséquences de mon engagement et tout ce qui pouvait m’arriver. Au plus profond de moi, je ne peux pas être autre chose que celui que Dieu a créé. Je suis né kabyle. Je ne peux pas me renier, renier mes origines. C’est un engagement de fait et encore une fois je ne tire aucune gloire ou honneur. J’ai chanté d’autres thèmes, l’amour, l’amour du prochain, l’amour entre les gens. J’ai toujours dit ce que je pense, que ce soit en 1980, 88 et 2001 et à ce jour, je n’ai pas changé.

Certains observateurs disent que c’est le public qui fait l’artiste et non l’inverse. Qu’en dites-vous ?

Je ne partage pas ce raisonnement. L’artiste est celui qui travaille pour l’art et non parce qu’il doit chercher à plaire. Exprimer ce que l’on ressent.

Quelles sont les influences dans vos musiques, les chanteurs qui vous ont influencé ?

J’aime Taleb Rabah que j’écoute toujours. Il y a un chanteur qui m’a influencé : Brel, pour moi, c’est le plus grand poète. S’agissant des chanteurs algériens et kabyles, Taleb Rabah, Cherif Kheddam que je voyais toujours dans les années 80. On se voyait 3 fois par semaine. Il faut souligner que c’est moi qui avait fait l’implantation de sa maison et puis il y a un autre dont on ne parle pas, c’est Assam Mouloud, auteur du tube «Aqlalach». Je veux témoigner que c’est l’un des rares chanteurs à avoir côtoyé étroitement Cherif Kheddam. Quand on veut parler de Cherif Kheddam, c’est lui qui peut en parler, car il l’avait étroitement côtoyé. Mais il y a encore beaucoup de maîtres de la chanson qui nous ont appris même la manière d’enregistrer. On apprend toujours dans la vie d’artiste. C’est une perpétuelle remise en cause et il ne faut jamais se dire que je suis arrivé au but. Un nouvel album ne doit jamais ressembler au précédent. Il doit toujours être une découverte. En musique et dans la composition des textes, on apprend toujours, il faut toujours un travail de recherche.

Une autre question, Abdenour est aussi, pour ceux qui ne le connaissent pas, un fin technicien de la balle ronde. Comment vous passez votre temps et où vit Abdenour ?

Oui c’est vrai, j’aime jouer au football (Rire). J’ai toujours pratiqué le sport depuis mon jeune âge. C’est ma deuxième passion. J’ai joué avec de grands joueurs du Nahd. Et à ce jour, je joue encore très souvent avec des amis. Je vis dans mon village natal d’El-Flay à Sidi-Aïch. Depuis 1995, je n’ai jamais cherché à vivre ailleurs.

Entretien réalisé par Dalil Saïche

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