Le sculpteur de l’au-delà

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Il est l’eternel enfant, ancien moudjahid et surtout artiste sculpteur. Lui c’est Demagh Mohamed. Il est, comme l’appellent les critiques, «l’artiste des catastrophes», d’autres l’appellent «loup blanc» et d’autres «l’eternel rebelle». Peu-importe les appellations pourvue qu’on le cerne si justement et ne pas retomber dans les travers d’école que n’a pas faite Demagh. Il est amoureux de sa montagne. Chaque jour que Dieu fait, il fait 30 kms dans son antre. Mohamed Demagh, né le 30 juillet 1930 et dont le père est instituteur, fréquente l’école technique d’ébénisterie d’Hussein Dey. Il a survécu après un bombardement de l’aviation française lorsqu’il était au maquis dans les Aurès, sous le commandement de Abdelhamid Boudiaf, où 35 de ses coéquipiers ont péri. Il a refusé de faire l’Indochine. Après les attentats du 11 septembre, Mohamed Demagh, en hommage aux victimes de cet attentat, a créé une œuvre à partir de débris de bombes qui datent de la Guerre d’Algérie. L’art de la catastrophe est purement Batnéen. Il m’en souvient l’avoir entendu parler d’une de ces pièces sculpturales. «Mon père est mort, le pommier qu’il avait planté l’a suivi. Ma mère en a été bouleversée. J’ai coupé le pommier et je l’ai amené à mon atelier. Après l’avoir ‘ressuscité’ je l’ai porté à ma mère en lui disant voilà regarde le pommier vivant. Il est là comme tu voix». C’est ainsi que Demagh parle de toutes ses œuvres. Chaque travail possède une histoire. Une fois il nous narre une anecdote : Il exposait son œuvre à la galerie Racim, sise à l’avenue Pasteur. Un étudiant est rentré il a été subjugué par une sculpture. Il en a été littéralement hanté. Il fait un tour puis revient à la pièce. Après avoir fait plusieurs va-et-vient et m’apostrophant, il me dit : Monsieur a combien estimez-vous cette sculpture ? Je lui ai dit, je ne vends que bien rarement mes produits, donnez lui une estimation. Le jeune étudiant m’observa curieusement et répondit confusément : Je ne sais pas estimer une œuvre d’art, mais cette pièce me plaît beaucoup et je suis étudiant. Je n’ai pas d’argent. Je lui ai dit donne lui un prix. Il hésita un bon moment et dit : c’est une estimation qui est loin de la valeur réelle de la sculpture. Je lui ai répondu vas y donne ton prix. Il me dit 1 500 dinars. Je lui ai répondu : tu apporteras cet argent demain parce que demain c’est le jour du décrochage. Le lendemain à l’ouverture, je le trouve devant la porte de la galerie. Tu as l’argent sur toi ? Il me répondit oui et me mets l’argent sur la table. Il y avait plus de monnaies que de billets. Je lui ai dit, ramasse ton fric et va chercher la sculpture. Le voyant pleurer, je lui ai dit vas prendre la pièce et cesse de pleurer, veux-tu que je te paye pour tes larmes, elle vaut moins cher que tes larmes». En effet, Demagh offre ses œuvres, il n’en fait pas commerce. Des anecdotes similaires sur l’humain chez cet artiste sont légions. Il fréquentait Kateb Yacine, Issiakhem, Ziad, Zinet et toute une armada de gens de plume, de couleurs et d’images. Tout le monde se plaint de son absence de la capitale, mais tout le monde croit savoir pourquoi. Ces pièces en bois il les cueille dans la montagne. Napalm le bois «napalmé» est ce qu’il préfère d’entre tous.

Sadek A. H.

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