L’art fait de la résistance

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«La peinture est un art, et l’art dans son ensemble n’est pas une création sans but qui s’écoule dans le vide. C’est une puissance dont le but doit être de développer et d’améliorer l’âme humaine». Wassily Kandinsky

En dépit du fait que l’art ne nourrisse pas en Algérie, plusieurs artistes s’accrochent à leur passion, en s’évertuant à créer pour le bonheur des amateurs. Mieux encore, ils se permettent le luxe de transmettre leurs passions aux enfants désirant percer dans le domaine artistique. C’est le cas de Bouzidi Lila, 33 ans, artiste peintre et plasticienne chevronnée, qui n’a de cesse, depuis de nombreuses années, d’enseigner son penchant aux fans de la peinture. Originaire de la commune de Taghzout, à 10 kms au Nord de la ville de Bouira, cette jeune femme est omniprésente dans les différentes expositions, aussi bien au niveau de Bouira que dans les grandes villes du pays, et même à l’international, comme la Tunisie. «J’aime peindre ! Depuis toute petite, je suis accro au dessin. Lorsque j’étais enfant, j’avais soif de parfaire mes œuvres et c’est tout naturellement que je me retrouve, aujourd’hui, à partager cette passion avec d’autres enfants», déclare Bouzidi Lila, rencontrée au niveau de la bibliothèque principale, où elle dispense son amour de la peinture à plusieurs jeunes artistes, chaque samedi, dans des ateliers qui leurs sont consacrés.

Un atelier pour partager sa passion

Plus de 70 enfants, âgés entre 6 et 15 ans, sont divisés en deux groupes et effectuent ainsi des coloriages, pour les plus jeunes, des travaux manuels ainsi que des concours, pour les autres. Dans cet atelier, les enfants font preuve d’une attention particulière pour suivre au crayon les contours des formes qui seront, par la suite, coloriés, tandis que d’autres, devant leurs chevalets, sont concentrés avant chaque coup de pinceau, comme s’ils transposaient la vision du sujet à peindre de leurs esprits vers la toile. De petits chefs-d’œuvre, reflétant l’innocence et surtout la joie de vivre, sont ainsi produits régulièrement dans cet atelier. Les petits artistes s’impliquent du mieux qu’ils peuvent et c’est avec des gestes minutieux qu’ils étalent les couleurs sur leurs supports. Pour leur enseignante, c’est un véritable bonheur de voir ces enfants épanouis et intéressés par l’art du dessin et de la peinture. «Je décèle régulièrement des dons chez ces jeunes, et sans un encadrement structuré comme ici, avec des encouragements réguliers. Il n’est pas évident que ces futurs artistes puissent persévérer et percer dans ce domaine», indique Bouzidi Lila. D’ailleurs, même les parents de ces enfants déclarent que «le fait que leurs progénitures s’expriment ainsi, à travers ces séances artistiques, améliore leurs quotidiens». «Ils sont épanouis aussi bien à la maison qu’à l’école, car, en s’exprimant à travers leurs dessins et peintures, on ressent qu’ils sont beaucoup plus radieux dans leurs comportements», estime une mère de famille dont son enfant suit des cours chaque samedi. Les enfants font preuve d’assiduité et d’implication, surtout lorsque Bouzidi Lila leur recommande d’atténuer les traits sur leurs feuilles ou de respecter les couleurs sur certains croquis. Ces enfants auront tous, d’ici quelques années, un potentiel qui les distinguera dans le domaine.

Lorsque l’expression des émotions transparaît sur les toiles

L’encadrement prime sur l’apprentissage en lui-même, puisque, selon cette artiste, les techniques enseignées permettent aux enfants ayant des dons de les développer plus facilement. Il en va de même pour les adultes qu’elle encadre, chaque mardi. Pour ces derniers, cependant, les techniques sont plus avancées, car elles se mélangent avec plusieurs styles, tels l’art abstrait, le semi figuratif et le réalisme. «Reproduire une aquarelle nécessite des heures d’exercice même pour les plus chevronnés», estime Bouzidi Lila qui exhibe un de ces premiers tableaux, réalisé il y a plusieurs années. Un chef-d’œuvre qui ne satisfait pourtant pas l’artiste qui semble trop exigeante envers elle-même. «Je trouve du plaisir à partager ma passion, surtout avec les enfants qui sont émerveillés de reproduire certains dessins. J’aime leur consacrer du temps et leur apprendre les techniques de base juste pour les voir sourire. L’expression de leurs sentiments est un soulagement», confie-t-elle. Le jeune Rabah Ghoul est, lui aussi, un des disciples de Bouzidi Lila, de même que la jeune Chanez, adhérente à la bibliothèque publique de Bouira. Tous deux sont littéralement subjugués par cette passion de la peinture et leurs œuvres respectives prouvent que la peinture demeure une manière de s’exprimer sur différents thèmes. «L’encadrement et l’environnement jouent un rôle considérable, et chacun peut s’exprimer différemment, selon ses traditions et sa culture. Réaliser des natures mortes peut paraître simple de prime abord, mais cela dépend des humeurs de l’artiste. Lila Bouzidi nous incite à apporter une touche spécifique que l’on développe au fil du temps, en jouant sur les ombres, la courbe, ou la teinte», témoigne le jeune Rabah Ghoul.

«Vivre de son art est un luxe qu’on ne peut se permettre»

Bouzidi Lila enseigne l’art, mais aussi son expérience personnelle, qui lui a fait comprendre que «la réussite est une question de volonté. Auparavant, je faisais des esquisses, des croquis, des portraits au crayon, ce n’est qu’après que j’ai découvert la peinture à l’huile. J’ai été aidé par des amis, comme l’artiste peintre Aziz Bounoua, Mme. Saâda ou encore Mohamed Benmaiza qui m’ont accompagné, et ce, pour que je puisse m’exprimer à travers mes tableaux. C’est vrai que si l’on peint exclusivement pour des fins commerciales, il est impossible de s’en sortir financièrement. Néanmoins, le but est, avant tout, de trouver un moyen de s’extérioriser, car j’ai cette envie de m’épanouir dans ce domaine. À l’étranger, des plasticiens vivent de leurs passions, ici, en Algérie, c’est un luxe que l’on ne peut pas se permettre, car l’artiste est isolé, et, s’il n’est pas fonctionnaire à coté, inutile de persévérer, car la peinture est un art qui nécessite des moyens», estime Bouzidi Lila. Elle explique, non sans mélancolie, que les expositions auxquelles elle participe sont toujours gratuites. «À chaque fois qu’on fait appel aux plasticiens et aux artistes peintres pour des expositions, lors d’événements culturels, les autorités ne songent pas à l’acquisition de nos toiles. C’est dommage, car au bout d’un certain temps, le découragement sera au rendez-vous. À l’étranger, la vente se fait lors d’expositions, dans des galeries, et lors de vernissage, et c’est à partir de là que l’artiste se fait un nom et une réputation», affirme Bouzidi Lila.

Peindre revient cher !

Portraits de contemporains, de personnalités politiques, de martyrs de la révolution se côtoient dans l’atelier de la bibliothèque principale de Bouira. Cette artiste révèle qu’occasionnellement les autorités locales font des commandes lors de visites d’officiels, notamment les ministres. Cependant, ces commandes se font rares et le public ne demande pas forcément des portraits de personnalités, de même que les paysages. Jeudi dernier au Bastion 23 d’Alger, samedi au niveau de la salle Mohamed Issiakhem de Bouira et le 24 février à Tunis, Bouzidi Lila suscite l’engouement du grand public pour les peintures algériennes. Les commandes existent, mais se font rare sur le marché national, contrairement à l’étranger où les œuvres n’ont pas de prix. «En Algérie, l’art n’a pas de prix, mais il à un coût. Pour une toile d’origine chinoise, de 60X80 cm, il faut débourser 1 200 DA. Les toiles faites en matière plus consistante, dite d’origine, coûtent 2 500 DA le mètre ou il faut débourser 15 000 DA pour acheter tout un rouleau. Le tube de couleur pour les aquarelles fait 1 300 DA, la peinture acrylique est hors de portée également. Les feuilles en papier pour aquarelles sont à 3 000 DA le cahier. Les boites de peinture se négocient aux alentours de 5 800 DA. Avec tous ces frais, le temps que l’artiste passe sur chaque œuvre n’est pas comptabilisé et le public ne comprend pas pourquoi les prix sont aussi élevés. Si l’artiste ne peut pas s’acheter le matériel, il finit par abandonner et j’en connais qui ont laissé tombé à cause de la non rentabilité de l’art. Non seulement, il faut un budget spécifique pour acquérir ces consommables, mais aussi il faut supporter le fait que nos œuvres demeurent archivées, en attendant le jour où nous pourrons en écouler quelques-unes. En parallèle, il est difficile de vivre sans autre rente, mais il faut comprendre que le prix et la valeur d’une œuvre sont loin de toutes considérations artistiques», se désole l’artiste Lila Bouzidi.

Hafidh Bessaoudi

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