Abudali dans les bacs !

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L'album tant attendu par les fans d'Ideflawen, le mythique groupe de la ‘’protest song’’ d'expression kabyle, est dans les bacs depuis quelques jours. Le CD est présenté dans une jaquette illustrée par le non moins talentueux artiste Amar Amarni.

L’opus est composé de huit chansons, bien travaillées tant sur le plan musical que textuel. Fidèle à sa ligne de chanteur contestataire, le vocaliste et musicien du groupe Ideflawen, Ali Aït Ferhat, gratifie ses fans de chansons traitant de différents thèmes. L’on note dans la foulée ce retour triomphal de l’autre ego d’Ali qui n’est autre que Ziani Lhacène, le parolier du groupe. En tout, ce sont quatre chansons qui ont été écrites par Lhacène dont le verbe ne souffre d’aucune ambiguïté. Et c’est à juste titre que le poète rend hommage à Mohia, l’éternel dramaturge qui a adapté de son vivant plusieurs pièces théâtrales d’illustres auteurs comme Lu Xun, Samuel Beckett, Luigi Pirandello ou encore des chansons comme celles de Georges Brassens. Dans la chanson hommage à Muhend U Yahya, la voix de Mohia accompagnée de la musique disait : « Gezmeɣ aɣṛum selmus/ Ḥuzaɣ afus/ Neggin idamen/ Abuh ayatmaten/ Ṛuḥ azel ɣeṛ sbiṭaṛ, meqaṛ/Ṛuḥeɣ ɣeṛ sbiṭaṛ/ A ḥafiḍ a seṭṭaṛ/ Wissen wi nɣan/ Nnan-d d kecini/ Mači d nekini/ Nanan-d d kecini/ Nek uṛ muteɣ aṛa ! ». Comme pour dire que Mohia n’est pas mort. Le dernier vers en effet semble sortir d’outre-tombe. Mohia continue de « vivre » à travers ses œuvres revisitées sans lassitude. La deuxième chanson « Iles-iw » est une reprise d’Ikhoulaf, une troupe qui a vu le jour dans les années 1970, à l’avant-garde de la chanson kabyle moderne contestataire. Signée Abtout, membre du groupe Ikhoulaf, qui ne produit plus depuis les années 1980, la chanson parle de la chape de plomb qui pesait à cette époque-là sur les libertés et l’identité Amazighe. «A vava amɣaṛ» est la troisième chanson de cet opus. Ali Ideflawen y implore un vieux sage de raconter, car «on veut entendre/De tes connaissances nous voulons apprendre», chante-t-il en substance dans cette chanson qui rend hommage à la sagesse des vieux de nos villages. Une chanson qui raconte un peu la vie d’antan, la vie rustique et calme. Dans la suite des hommages, Ideflawen n’oublie pas la mère, la maman, la femme. Dans «Yemma-s d mmi-s», il raconte, accompagné d’une superbe musique, l’histoire de cet « enfant » qui est contraint de quitter sa mère pour l’exil. Une chanson-dialogue entre la mère et son fils. La mère prie son fils de revenir, et celui-ci lui rétorque qu’il ne veut pas vivre comme un esclave, mais lui promet à la fin de revenir accompagné de ses frères d’exil. Ali termine sa chanson avec une phrase qui en dit long sur cet attachement des Imazighen à la liberté : «A yemma ɣef tilelli, ma lluẓeɣ ad ččeɣ laḥcic» (Mère, pour la liberté, je mangerais l’herbe si j’avais faim !). La cinquième chanson de cet album qui dénote de la fidélité du groupe à son « éditorial musical » est un classique repris par plusieurs chanteurs dont l’énorme Djamel Allam. Il s’agit de «Ṭiṛ lqefṣ», une œuvre magistrale du Cheikh H’sissen, vénérable maître auquel le groupe Ideflawen rend hommage. «Amedakul-nni» est une autre chanson dont le texte est de l’inénarrable Mohia et la musique d’Ali Aït Ferhat. L’artiste y chante les péripéties d’une amitié empreinte de trahison, d’intérêts et de faux-semblants. Les paroles de Mohia y sont mi-amusantes mi révoltantes. «Ɣuṛi yiwen umedakul/Am netta yifit waḥdi//Mi yeṛwa ad iṛegul felli/Mi yelluẓ ad iyi- t’nadi//As mi it-id nfan/Kul ass yezga ɣuṛi//Lbda yidi i teddu/Aḥelil win uṛ neẓṛi//Hak a lulu hak a lulu//A mummu a mummu (…)». Le titre phare de l’album «Abudali» (le vagabond) est la septième chanson que nous propose Ideflawen. Les paroles sont de Ziani Lhacène qui raconte ces mythes qui entourent les vagabonds qui vont d’une contrée à l’autre en suscitant mille et une histoires sur eux. Dans une lointaine époque, des vagabonds ont réussi à s’imposer comme des personnages incontournables allant jusqu’à devenir vénérables. « Anfet-as d-abudali/Uṛ ixebec uṛ it keṛṛic/Yiwen isebeɣ-it d lwali/Wayeḍ yeqqaṛ-as d-adeṛwic/Wa iẓeṛ-it d-aẓawali/ Wa iwhem amek yetɛic/Yewwit-id akk d-acali/Deg laxlawi d temdinin/(…)/ Iheddeṛ i taddam waḍu/Mači aṭaṣ is-d ifahmen/ Ala wi ḥuza usefṛu/Ma mqaraben ulawen/(…) ». La dernière et ultime chanson de l’album est en fait une reprise de l’album produit en 1996 en pleine période du terrorisme islamiste. Le chanteur y exprime le désarroi du peuple confronté à un phénomène nouveau pour lui. Dans «Nhati» (soupires), les paroles sont déclamées sur fond de son de flûte et de bruit du vent. «Ce vent qui souffle est celui de la liberté. De tous ceux qui souffrent. Un vent de la misère. Le vent de ceux qui ont faim, qui sont nus, enchaînés, assoiffés de liberté et de culture. Ce vent est celui des noyés dans l’oppression et le déni, le soupir de ceux qui sont enfoncés dans les ennuis, de ceux qui chantent les origines…», chante en substance Ali Ideflawen.

Syphax Y.

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