Les mémoires de Zouzou de Tassadit Khelil

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Tassadit Khelil vient d’éditer son premier roman-témoignage intitulé Les mémoires de Zouzou à l’âge de quatre-vingt-huit ans.

Elle est née en 1930, à Ath Douala, sans date précise (pas de mois, pas de jour) «L’administration française qui venait de débarquer en Algérie, n’a pas jugé utile d’apporter cette précision». Le livre en question est une autobiographie de l’auteure qui a vécu les souffrances de la guerre de libération nationale doublées de la «société kabyle archaïque, aussi rigide que le granit du Djurdjura», écrivait Edition Planétaire dans sa préface et qu’elle assimile à l’autre femme aux mille et une souffrances qu’était Fathma Ath Mansour Amrouche. L’éditeur illustre ce roman-témoignage dans ce paragraphe : «L’intérêt de ce pathétique témoignage réside aussi dans l’implication malheureuse du régime colonial français avec sa guerre contre le peuple, puisqu’en vérité, de moudjahidine, il n’y avait qu’une population misérable que de sporadiques sursauts de survie poussaient à de pitoyables révoltes, avec d’insignifiantes armes précaires. Des révoltes impitoyablement réprimées et des représailles farouches, dans un décor de famine, de maladies endémiques et d’exil forcé…» Mémoires de Zouzou, est composé de quatre chapitres. Son récit commence quand elle était une toute petite fille que son père aimait bien «Papa était patron de trois bistrots à Paris et venait nous voir tous les six mois. Il m’aimait beaucoup et prenait soin de moi et de sa famille». Un évènement intervient dans la famille «Papa avait attrapé la tuberculose durant la guerre 39 /45 et il est rentré au pays. Neuf mois de souffrances, sans remèdes, sans suivi médical, il décède!» Un évènement dramatique que la fillette croyait une fête familiale tellement elle voyait les gens qui venaient et sortaient de la maison. «Je ne savais pas ce qui se passait». Plus tard, le grand frère voulait récupérer les bistrots laissés par le père aux cousins et neveux, mais sans résultat. Il fut arrêté par les Allemands et fait prisonnier en Allemagne. «A sa libération, il est entré en France et s’est installé à Lille où il a fait sa vie mais n’a pas eu d’enfants. Il est décédé la nuit du 12 au 13 Février 1973». Un deuxième drame saisit la fille, Ahcène, l’autre frère a pu dénicher un boulot dans une fonderie pour un salaire de misère, et ne pouvant résister il est rentré au pays au début de la révolution armée, avec l’intention de rejoindre le maquis et devenir «fellagha» comme les qualifiaient les militaires français. «Il fut dénoncé par un harki. Les militaires ont vite investi le village et torturé sa femme qu’ils ont pendue par les pieds pendant toute la nuit. Choquée, elle est restée handicapée à vie. Mon frère moudjahid fut tué dans une grotte en compagnie de trois autres et ma mère qui n’a cessé de souffrir s’est éteinte à l’âge de 74 ans». Dans la deuxième partie de son livre, l’auteure raconte son mariage à l’un des fils d’une famille aisée du village qui fit don de beaucoup de choses au village et rendait service à tout le monde. «J’ai eu le premier enfant et ma belle-mère l’écarta de moi. Je croyais qu’elle me voulait du bien, je me suis rendue à l’évidence plus tard, quand le gosse ne voulait pas de moi. Elle avait semé la haine entre nous, elle m’interdisait même de l’allaiter. Un an plus tard, mon mari regagna la France, émigré en Moselle». C’était une aubaine pour ma belle-mère et ma belle-sœur, qui se délectaient de me faire du mal que je supportais malgré moi et en dépit de mon jeune âge. Je faisais la couturière du village et l’argent de mon labeur est encaissé par la belle-mère. Je n’avais pas de souliers, pieds nus même en hiver». Quatre ans plus tard, Tassadit enceinte, au neuvième mois, devait aller à la fontaine puiser l’eau. Un jour, au retour, elle glissa et la cruche s’est cassée. Des gens l’ont vue, et sont venus à mon secours, pas la belle-mère qui pleurait, non pour sa bru mais pour la cruche cassée ! «J’ai accouché d’un garçon mort-né, au troisième jour de l’incident». Elle eut une naissance d’une fille, plus tard, qu’elle perdit aussi, suite à une variole non suivie. «Non guérie encore de mon accouchement, je roulais du couscous et faisais des beignets que la belle-mère ramenait à sa fille qui a accouché!» Au retour de son mari de France, pendant la lutte armée pour l’indépendance, commença une autre étape de la vie de la malheureuse Tassadit. «Il faisait, comme les autres, la garde durant la nuit, à tour de rôle!». Etant couturière, je cousais des vêtements aux moudjahidines qui, pour accéder discrètement au village avaient donné ordre d’abattre tous les chiens qui aboyaient à leur passage la nuit et attiraient l’attention des militaires français, tout comme il fallait sur leurs ordres brûler les clôtures du village pour leur faciliter l’accès. Des ordres et des contre-ordres et la population, entre deux feux, devait saboter des choses la nuit sur ordre des uns et les rétablir le jour sur ordre des autres. Mais le patriotisme l’emportait sur tout. Au troisième chapitre, l’auteur raconte son départ en France où elle rejoignit de justesse son mari en 1959 à Lyon, avec ses deux enfants car un harki l’avait reconnue sœur d’un moudjahid. «A l’aéroport, le vent emportait le foulard que je portais et que je suivais des yeux en disant : «Adieu foulard, je ne te remettrai jamais sur ma tête!». Durant une année, Tassadit rêvait, elle se sentait vivre un bonheur intense, si ce n’était ce problème respiratoire qui commençait à se faire ressentir. Son fils aîné refusait d’aller à l’école. Il s’absentait souvent et lui faisait voir de toutes les couleurs avant de finir par accepter une formation. «Il a finalement trouvé une passion dans le travail de mécanique aéronautique à Roissy où il avait fait sa vie, et depuis, je ne l’ai plus revu!» Son mari, arrêté, et torturé tomba malade à la limite de la dépression. Le couple déménagea de la Haute-Savoie pour la Bretagne, région où habitait le frère de la femme et son beau-frère. La femme de leur voisin, un algérien, avait une dent contre Tassadit qu’elle détestait sans la connaître. En 1963, elle eut une autre naissance et le couple rentra en Algérie. Elle relata le conflit algéro- marocain. C’est durant cette période qu’elle décida de retourner en France, mais ils furent refoulés de Marseille car le mari paraissait très malade. «Allez-vous faire soigner chez vous, puisque vous avez voulu votre indépendance!» «En 1964, j’ai eu une autre fille qui est née à Tizi-Ouzou, elle avait trois mois quand nous sommes retournés en France.» Elle n’en finit pas avec toutes ses misères. Son mari, dépressif a tenté de l’étrangler et a eu un problème de thyroïde. «Hospitalisée, mes enfants sont mis dans un orphelinat et le mari dans un hôpital psychiatrique.» Mais il finit par être SDF, dormait dans les cages d’escaliers, changeait de villes. «Je n’ai jamais pensé à me venger de qui que ce soit. Je me suis toujours dit : Dieu voit tout. Il me donne la force de me battre pour ma famille et nous protège du mal. Il est seul juge !» « J’ai fait le bilan de ma vie. J’ai été obligée d’être à la fois le père et la mère de mes enfants. J’ai essayé de leur inculquer les valeurs du respect et de la famille et d’autres vertus morales… Je les ai aidés à devenir des personnes responsables et honnêtes. Mes filles pour leur part, ont quitté la maison pour se marier et s’installer chez elles!», conclut-elle en page 64. Un roman-témoignage d’une femme qui a survécu miraculeusement à tant de déboires et de misères rencontrées et subies durant toute sa vie. Des passages poignants qui vous donnent la chair de poule mais éveillent les consciences, surtout de la jeunesse qui y trouvera matière à réfléchir et comprendre qu’on doit, dans la vie, prendre le taureau par les cornes mais surtout se construire et ne rien faire au détriment des autres. Le livre comporte aussi des contes et légendes. Un livre à lire d’un trait pour ressentir le courage de cette femme qui, à quatre-vingt-huit ans tient encore à la vie et publie son premier livre. Tassadit Khelil procède à la vente-dédicace de son ouvrage «Les mémoires de Zouzou» à la Maison de la culture Mouloud Mammeri !

M A Tadjer

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