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«On ne peut dire que dans sa langue»

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La dépêche de Kabylie : Généralement et très souvent, le premier roman est autobiographique, ce n’est pas votre cas… Tahar Ould Amar : Pas du tout, mais, semble-t-il, il y a toujours des fragments de vie, plus ou moins importants, de l’auteur dans ce qu’il écrit. Cela dit, Bururu est essentiellement un témoignage que je ne voulais ni noir ni blanc de l’horreur qui a failli enterrer la République. Mon regard sur la décennie dite noire refuse la lecture politique, ce cliché opposant les bons d’un côté et les méchants de l’autre. En fait, je n’avais qu’une seule ambition, je ne sais pas si j’y suis parvenu, raconter la vie, parler de l’homme dans tous ses états. Vous êtes journaliste francophone mais vous avez écrit votre roman en berbère, pourquoi ?Je suis aussi arabophone. On peut écrire dans n’importe quelle langue mais on ne peut dire que dans sa langue. Ceci pour vous dire qu’il faut que je sois français, culturellement s’entend, pour prétendre traduire, du moins essayer, des états d’âme. Chose qu’on ne pourrait réussir que dans sa langue et sa culture. Il faut vraiment être de la trempe des Feraoun, des Mammeri, et autres Dib pour pleurer et rire dans une langue étrangère. Mais il s’agit là d’une autre génération et d’un autre contexte socioculturel. Vous racontez des événements douloureux, tout en usant de l’humour, quel est votre message en utilisant ce style ? Il parait que c’est mon style. De toute façon même les choses graves peuvent être sujettes à l’humour, d’autant plus que l’Algérien se prête facilement à l’autodérision. En plus, l’humour à doses modérées allège le texte. Et c’est tant mieux si à la fin du roman le lecteur ne se tire pas une balle dans la tête. Pour vous, où réside la différence entre le style journalistique et celui littéraire ? Le journaliste est factuel, il ne s’implique pas dans ce qu’il écrit, il n’a pas la liberté de ton du romancier et est, au moindre écart, tout de suite rappelé à l’ordre par la ligne éditoriale. Le romancier, par contre, n’est soumis qu’aux seules contraintes que lui dictent sa conscience et le message, si message il y a, qu’il veut transmettre. S’agissant de l’outil, c’est-à-dire la langue, le littéraire soigne la forme, il fait attention à ce qu’il dit et surtout comment le dire. La beauté formelle est recherchée par le littéraire. Votre roman est-il inspiré de faits réels ?En partie. J’aurais aimé vous dire que ‘’Toutes ressemblances avec la réalité ne sont que pures coïncidences’’, mais…. Pourquoi le choix du titre Bururu ? Etant tout enfant pour m’endormir rapidement, ma mère me disait :’’ettes negh tura ara d-yas bururu (dors, avant que ne vienne le hibou). Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’elle me faisait marcher et qu’en fait bururu est un oiseau inoffensif. Il servait d’épouvantail. Pareil pour l’islamisme intégriste qui n’avait réellement aucun ancrage dans la société et se servait du terrorisme comme d’un épouvantail pour faire peur à une société qui rêvait d’un meilleur destin. A la longue, bururu a fait peur et a réussi à imposer un régime ‘’démoctateur’’, d’où, ‘’ur teqqim, ur tengir’’. bururu est aussi un oiseau de la nuit noire comme le sont les appétits de l’islamisme. Comment appréciez-vous le roman amazigh ? Beaucoup de gens écrivent. C’est une bonne chose, mais, hélas, le lecteur (un mot à mettre entre guillemets) a l’impression de lire, à chaque fois, le même ouvrage, tellement c’est la sempiternelle thématique identitaire qui revient dans la plupart des œuvres. Ce qui participe à la ghettoïsation de la langue, déjà si fragile. Cela dit, des auteurs comme Mezdad et Tazaghart (il y en a sûrement d’autres que je n’ai pas lu) essaient de sortir de l’ornière. Le kabyle, la langue, peut et doit aborder beaucoup de sujets. Ce n’est qu’ainsi qu’un jour elle dévoilera son génie. Et ce n’est qu’ainsi que mon ami Brahim Tazaghart, l’auteur de Akkin i Tira, pourra, comme il aime à le dire pour secouer le cocotier, se voir un jour  »nobeliser ». Il est temps que le roman kabyle s’intéresse à l’Homme, sorte du cocon de taddart et essaye de se frayer un chemin dans l’universel. Le lecteur dans tout ça ? La relation lecteur et roman amazigh rappelle celle de la poule et de l’œuf : qui doit précéder l’autre ? Faut-il attendre un lectorat avant de produire ou produire d’abord ? J’estime que le lecteur, en dehors de l’initié, est là, il a d’ailleurs toujours été là. Il faut arrêter de rabâcher que le livre amazigh n’a pas de lecteurs et que ces derniers sont en chantier. La vérité est qu’un lectorat important en nombre et en qualité se complait dans l’hibernation. Je fais allusion à tous ces Kabyles qui maîtrisent les langues étrangères et qui ‘’défendent tamazight’’ comme personne sans jamais faire l’effort d’apprendre à lire et à écrire leur langue. Va proposer un roman pour une fiche de lecture à un journal. On te répondra dans un kabyle parfait : navré, je ne sais pas lire ! Je ne comprends pas une réponse pareille. Pour moi, je suis désolé de le dire, c’est de la condescendance, c’est mépriser sa langue. Depuis déjà quelques temps, apprendre à lire et à écrire tamazight pour le lettré kabyle est un jeu d’enfant, pour peu qu’il y ait de la conviction dans taqbaylit-is.

Entretien réalisé par Aomar Mohellebi

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