L’épopée comme genre littéraire

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Il a eu le prix Goncourt pour son premier livre. C’est un exploit rare. Jean Rouaud est revenu récemment avec un nouveau texte, sorti aux éditions Gallimard.

L’écrivain revisite l’histoire française pour donner un texte agréable à lire. Une grande histoire d’amour sur fond de Commune, flamboyante comme l’affiche d’Autant en emporte le vent. Jean Rouaud, dont on connaît les romans finement ficelés sur son père, sa mère et les petites gens passe à l’épopée ! Le coup de foudre entre la plus belle ornithologue du monde et un rescapé de la semaine sanglante. Constance est apparemment une bourgeoise riche, sorte d’Emma Bovary belle et huppée qui, montée à Paris, s’en retourne d’abord en train puis par la diligence vers sa province cévenole où l’attend son mari, le manufacturier Monastier, son aîné de quarante ans.

Octave Keller, lui, a réchappé par miracle aux exécutions à la mitrailleuse des communards dans le jardin du Luxembourg. Blessé, il fuit à travers les mêmes Cévennes, espérant rejoindre le Sud et franchir la Méditerranée. « Cette chronique d’un télescopage annoncé usera de mille détours et correspondances concentriques avant de nous offrir au sommet de la pièce montée : les amants totémiques ! », estime l’écrivain Patrick Grainville dans le Figaro. Rouaud reprend les faits depuis Homère, il faut ce qu’il faut ! La guerre de Troie, les histoires de chevalerie. Sa thèse, commentée un peu en longueur, est que le roman meurt avec la disparition des chevaux, le naturalisme zolien a tué l’héroïsme merveilleux pour se raidir dans le rapport clinique.

C’est la science qui veut ça, l’invention de la bicyclette, du train, de l’appareil photographique. Une fois le roman castré, le cinéma s’est chargé de la fiction effrénée. Alors comment raconter la rencontre entre le rebelle aux abois et la bourgeoise renégate ? Il procède façon Diderot, par détours, digressions, analogies, surimpressions.

Tous ces amuse-gueules théoriques ou rigolos sont entretenus pour ne pas tomber dans le ronron du roman chronologique. Mais surtout pour sertir d’anneaux propitiatoires son féerique diamant : tous les feux de Constance, l’orpheline originelle adoptée par un vieil Arnolphe riche. La rencontre, suivie en un long panoramique, débouche sur une contre-plongée médusante où le fuyard couché dans son sang voit se dresser au-dessus de lui la flamboyante madone rousse dans sa robe ivoire. Pendant qu’elle panse sa plaie avec un morceau de son jupon, il lui racontera les épisodes marquants de la semaine sanglante, l’opposition entre les blanquistes doctrinaires et totalitaires et les libertaires plus littéraires, Eugène Varlin, Courbet, Vallès. Pour chanter ces preux, Rouaud prend des accents carrément hugoliens. Cela donne un récit de près de six cents pages. D’une remarquable diversité d’angles et de jeux narratifs, imbriquant sa marqueterie de parenthèses et de raccords malicieux. On est loin de son premier livre Champs d’honneur mais l’auteur a toujours une grande imagination qui captive le lecteur.

Farid Ait Mansour

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