Ali Asard’oun (Ali le mulet)

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(2e partie)

L’affaire étant entendue, les deux hommes se quittent par une appréhension indicible pour l’ag’ellid’ et une joie immense pour l’inconnu qui vient de conclure une affaire en or.En rentrant au palais par une porte dérobée, l’ag’ellid’ est accueilli par sa petite fille qui ne lui laisse pas une seconde de répit.- M’as-tu ramené la robe enchantée ?- Oui ma petite fille, je te l’ai ramenée. La voici !La petite fille saute de joie, elle a en sa possession l’unique robe enchantée de la contrée. Elle est fière de sa robe aux reflets multicolores. Elle l’enfile aussitôt et demande aux membres de sa famille de battre la mesure. Comme par enchantement, la robe enchantée se met à frétiller et à se tortiller sur le corps de la petite fille qui ondule lui aussi. Tout le monde rit. la petite fille est comblée, elle rit aux éclats. Elle s’exhibe durant toute la soirée. Sa famille est heureuse. Seul son père est pensif et il a raison de l’être. Il sait que le prix à payer pour cette robe est trop lourd et cela lui pèse sur le cœur.La robe enchantée n’est mise par sa fille que lors des cérémonies. Elle rend jalouse toutes les filles de son âge.Le compte à rebours a commencé, dans quelques mois, dix ans seront passés. L’ag’ellid’ frémit à l’idée de donner sa fille bien-aimée en pâture à un inconnu. Mais puisqu’il a donné son accord il ne peut se dérober.La princesse va avoir vingt ans et la robe enchantée lui va comme un gant. Elle suit l’épanouissement de son corps et embellit ses formes. Mais elle ignore que le prix à payer est trop fort et elle va bientôt payer de sa personne, la robe enchantée qu’elle a tant désirée.Son père est dans tous ses états. Dès qu’il se met à pleuvoir, qu’il y a du vent, des éclairs du tonnerre, il se met à trembler de tous ses membres. le moment fatidique va bientôt arriver, il ne le sait que trop. Parfois il se dit que l’inconnu avec lequel il avait conclu le maudit marché est mort, car depuis qu’il lui a remis la robe enchantée, il ne s’est jamais manifesté. Au fur et à mesure que le temps s’égrène inexorablement, le roi est saisi d’effroi. L’angoisse lui étreint le cœur, il ne dort plus, se réveille la nuit en sursaut et parle tout seul comme un fou. la reine est intriguée par son attitude. Elle le questionne sur son état de santé, il lui dit qu’il va bien, il est seulement préoccupé par quelques affaires qu’il n’a pas encore réglées.Il n’ose pas lui dire la terrible vérité. Il est seul à l’assumer. Une nuit, alors qu’il faisait très froid, un orage éclata, une pluie diluvienne tomba, les éclairs zébrèrent le ciel, et le tonnerre gronda. L’ag’ellid’ anxieux s’était éloigné de ses enfants qui dînaient, il regardait au dehors en son for intérieur, il se disait que la nuit tant redoutée est peut-être arrivée. Et c’était la triste réalité.A un certain moment, l’ag’ellid’ entendit une voix de plus en plus distincte et qui disait :- Thine rebbi a lmoumnine !(la part du pauvre ô croyants !)Le roi frémit. C’était bel et bien le signal convenu avec l’inconnu depuis une dizaine d’années. Son cœur bat la chamade. Que faire ? Ne pas tenir parole, le tente un instant, mais il ne peut trahir son serment. C’est la mort dans l’âme qu’il appelle sa fille et lui dit :- Il y a un pauvre mendiant dehors qui a faim et froid, sers-lui un plat et, va le lui ramener sur le champ.- Pourquoi veux-tu que ce soit moi qui le lui amène père, je vais appeler une domestique c’est à elle de le faire.- Non ma fille, j’insiste c’est à toi de le lui amener et je t’en prie ne discute pas ! La jeune fille prend le plat et va à la rencontre du mendiant. Intérieurement, elle maudit les gardes de faction qui ont laissé pénétrer ce miséreux dans l’enceinte de la demeure du souverain. Quand la princesse fut dehors, elle fut happée dans les airs par une étrange créature. Surprise, elle laissa tomber le plat de couscous garni de viande qui s’éparpilla sur le sol, et fit le bonheur des chats.L’ag’ellid’ espérait le retour de sa fille, mais en vain. Il donna l’alerte et tout le monde se mit à la chercher, on ne retrouva que le plat brisé. On questionna les gardes, mais personne n’a vu quoi que ce soit. C’est étrange se dit le roi. Sa sécurité était-elle à ce point défaillante ? Si personne n’a vu ou entendu le mendiant, c’était grave. Mais comment les gardes pouvaient-ils voir l’étrange créature qui était en fait un ogre (ouaghzen). Ouaghzen a la faculté de se métamorphoser en n’importe quel personnage. Cette nuit-là, il était devenu un mendiant et lors de son entrevue avec le roi qui remonte à dix ans, il s’était métamorphosé en un homme de bonne foi. Telle est la terrible explication. Tous les gardes sont mis à contribution pour rechercher la jeune princesse dans les moindres recoins du palais. Les recherches durèrent toute la nuit et toute la journée, mais aucune trace de la jeune fille. le roi dut se rendre à l’évidence, le marché qu’il a conclu il y a une dizaine d’année était un marché de dupes. La robe enchantée qui danse toute seule lui a coûté une princesse qu’il espérait marier à un prince, et la, voilà mariée sans tambours ni trompettes à un inconnu sans aucune cérémonie et dont il ne connaît pas l’identité. C’est la pire des choses qui pouvait lui arriver. Coupable de s’être laissé attendrir, l’ag’ellid’ a exaucé le vœu de sa fille, mais le prix à payer est trop lourd. Une jeune fille contre une robe enchantée, c’était trop cher payé. Mais il est désormais trop tard pour y remédier. Le roi, la reine, les frères et toute la famille royale sont inconsolables. La disparition dans des circonstances étranges de la jeune princesse a mis tout le monde en émoi. Si son cadavre avait été retrouvé, un deuil serait décrété, et les esprits se seraient calmés et apaisés, mais ce n’était pas le cas. Un seul connaît la vérité, le roi et il la cache au fond de lui.

Benrejdal Lounes (A suivre)

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