La femme et la voix de l’exilé

Partager

Des rappels qui évoquaient des serments prêtés des deux côtés, des pleurs et des tourments extirpés du tréfonds saignant de la femme natale, pour dénoncer l’intransigeance d’un destin affreux nourrissant une séparation mourante et souvent étalée dans le temps. Cheikh Arab Bu Yezgarène, dans l’une de ces chansons en vogue, d’ailleurs à ce jour, a mis en relief, l’attachement constant de la femme natale à celui pour qui le morceau de pain aurait réservé un sort méconnu et lointain;Ce ne sont pas des cris de douleur dus à la blessure de l’amour. Ce sont des larmes incessantes que le désespoir latent aurait imposées à une femme gémissante qui ne songeait qu’au jour de délivrance. Troublée, et sans nouvelles de son (bien-aimé), elle se plaignait, suppliait souvent des messages muets — synonyme de l’éloignement — en quête d’éventuelles nouvelles réconfortantes.Ainsi, El vavur — le bateau, ithvir — le ramier, ettir, l’oiseau seraient des porteurs sollicités pour communiquer les soucis et les complaintes terribles d’une amoureuse toujours en attente. Zerrouki Allaoua, lui aussi, faisait partie de ces grands artistes qui ont prêté leurs voix à ce personnage souffrant, cloîtré dans les mœurs d’autrefois, qui n’avait pas les moyens de s’exprimer librement et de créer son immense frustration laquelle serait noyée.El Hasnaoui, digne de sa parfaite compréhension du drame qui ne cessait de prendre de l’ampleur, puisait son génie dans ses appels incessants que le cœur brisé émit. Père de la chanson de l’exil, véritable révélateur de la situation critique dans laquelle la femme natale était violemment jetée, El Hasnaoui restera sans doute une référence de taille, un puits inépuisable de ces face à face — appels — réponses, soigneusement dictés.Avec une rare lucidité, une franchise absolue, il nous rapportait avec une fidélité remarquable l’impatience, la peur, la solitude, le souhait et même l’espoir que la femme natale gardait toujours comme l’ultime recours à son mal agonisant.Ainsi, la longue attente, devenue désespérante, aurait poussé la voix féminine à chercher un moyen “un associé” qui saurait lui prêter de l’aide, lui faire revenir vite l’être aimé.Le Dieu, le tout-puissant serait imploré. Les saints vénérés garnissaient les sensibles plaintes, non seulement pour faire revenir celui auquel elle serait attachée, mais aussi de le préserver de tout mauvais œil, de freiner son mal-agir.Ce couplet extrait de l’une des meilleures œuvres d’El Hasnaoui “Arwah, arwah” dont la source est la voix féminine, prouve amplement l’ardent attachement de la femme natale à son frère exilé. Le temps de l’attente qui n’était pas limité, consolidait audacieusement et sans aucun doute le refus de l’oubli. L’évocation du Dieu, dans différentes chansons, souvent protecteur pour l’exilé nous renseigne du degré de l’amour sans limite qu’elle portait à celui qui, dans l’horizon lointain serait assujetti aux multiples supplices auxquels il lui serait difficile d’en sortir indemne.Cependant, les soucis s’accentuaient et les chagrins s’accumulaient. Ainsi, l’amoureuse qui s’accrochait sans relâche à son bien-aimé comme celui qui se trouvait dans une mer agitée, loin du rivage, s’élançait dans une autre voix comme l’ultime truchement de faire revenir à de meilleurs sentiments celui que, les jouissances d’El Ghorba auraient gavé la raison.De cette constation, la femme natale par la voix de ces frères exilés assez conscients des tourments qu’elle nourrissait dans un mutisme forcé et que les mœurs d’autrefois auraient imposé, prenait le devant pour dénoncer les bévues de l’immigré et crier l’inconscience de celui qu’elle considérait toujours comme son âme et le remède à son mal.L’inconscience, l’errance et sa perdition seraient relatées dans des cris moralistes envers l’absent qui fuyait une réalité amère, qui jouissait d’une liberté, jadis, interdite.C’était la flamme sans braise qui brûlait l’âme de la femme natale torturée, les cris d’une abandonnée à son sort injuste que la recherche d’un moyen pour breuver les siens lui aurait causé.

Ali Khalfa

Partager