Leur art se vend à prix d’or mais les Aborigènes restent pauvres

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l Tapis dans un entrepôt entouré de barbelés, près d’Alice Springs, dans le centre de l’Australie, des artistes aborigènes s’affairent, accroupis sur des grandes toiles. Debout, un Blanc surveille leur travail. Bienvenue dans l’un des nombreux ateliers de cette région désertique, au coeur de l’Australie, où des hommes d’affaires peu scrupuleux paient une misère des peintures aborigènes, qu’ils revendent ensuite à prix d’or aux touristes et collectionneurs des grandes villes. « Ils les enferment dans des baraques et les font peindre en échange de quelques verres d’alcool. C’est un vrai scandale d’Etat », s’insurge William Tilmouth, directeur d’un Conseil aborigène à Alice Springs. L’art aborigène connaît actuellement une cote exponentielle. Une toile a ainsi pour la première fois atteint le million de dollars (830.000 dollars US) lors d’une vente aux enchères le mois dernier à Sydney. La multiplication des cas d’exploitation, qui salissent une industrie artistique aborigène de quelque 500 millions de dollars par an, a poussé le Parlement à lancer une commission d’enquête. Son rapport, qui doit être publié la semaine prochaine, devrait recommander aux galeries d’adopter une règlementation stricte, précisant les origines des oeuvres afin d’empêcher la circulation de faux ou d’objets acquis en dehors de toute éthique. Parlant souvent mal l’anglais et n’ayant généralement pas idée de la flambée de leur art, les peintres aborigènes sont des proies faciles. « Les artistes ne perçoivent à la fin de la journée qu’une petite somme d’argent, environ un dixième de la valeur de leurs œuvres », explique Liesl Rockchild, qui coordonne un programme de défense de l’éthique dans le commerce des arts. Les marchands appâtent les artistes avec des vieilles voitures, de l’alcool et même du Viagra, raconte-t-elle, soulignant que les peintres aborigènes se retrouvent complètement coupés de leurs communautés. Cette rupture n’est pas sans conséquence sur la transmission des savoirs aborigènes, dans cette société où l’oralité est centrale. « Ces marchands cassent notre communauté, en éloignant les meilleurs artistes », dénonce Mary Kemarre Turner, artiste aborigène. « Les artistes les plus expérimentés doivent enseigner aux jeunes. Mais beaucoup d’entre eux sont emmenés par les profiteurs, et nos histoires disparaissent ».

Certains marchands font carrément l’aller-retour dans la journée depuis Sydney. Ils apportent du matériel de peinture bon marché aux artistes aborigènes du centre du pays, distribuent quelques poignées de dollars, et repartent le soir même avec les toiles.

Liesl Rockchild cite l’exemple d’un artiste, dont une oeuvre a récemment été vendue 15.000 dollars en Italie, et qui n’en a récupéré que 100.

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