Le TRB a vibré sur les airs de la troupe “Debza”

Partager

Regroupée autour d’un grand intellectuel de gauche et militant des causes justes, Kateb Yacine en l’occurrence, leur père spirituel, la troupe Debza a tout de suite gagné la sympathie des étudiants et des masses populaires. Alliant la pratique théâtrale et la chanson dans les deux langues (le kabyle et l’arabe algérien), Debza est devenue le porte-voix de tous les opprimés en Algérie (poètes, artistes, intellectuels, femmes, jeunes, étudiants, syndicalistes, ouvriers, paysans, chômeurs, etc…); tout comme l’était la JSK de l’époque, le porte-flambeau de toute la Kabylie avant que ne vienne le MCB, prendre la relève, mais pas pour longtemps malheureusement, pour les raisons que tout le monde connaît : la tragique incapacité millénaire des Amazigh, et des Kabyles en particulier, de se supporter mutuellement, de se cohabiter sous le même toit, malgré les divergences d’opinion. Est-ce une fatalité ancestrale, ou un manque génique de maturité politique !? Pourtant lors de son séjour en Algérie vers la fin du 19e siècle pour des raisons de santé, le philosophe allemand Karl Marx, citait “Tajmaât” (ancienne assemblée kabyle) qui gérait chacun de nos villages, comme modèle de gestion basé sur la solidarité, l’entraide, la communion et la prise de décision collégiale et concertée.Même si ses éléments (et ils sont nombreux, de toutes les régions, répartis en trois générations : fin 1970, 1980 et début 1990) n’étaient pas tous là, car n’ayant pas pus se déplacer à Bgayet, qui pour des raisons familiales, qui d’autres pour des raisons professionnelles, néanmoins, les présents nous ont gratifiés d’un riche exposé sur le parcours de la troupe Debza et de la chanson engagée en général, présenté par Bezza et complété par Rachid, et d’un chaleureux et émouvant récital, avec Rachid Djellouli à la guitare sèche et au chant, et Abdelhak Ziani (dit Bihik) l’accompagnant à la percussion (Bendir), pour clôturer en musique et en poésie de toute beauté, en trois langues évidemment, fidèles à la pensée, aux principes et idéaux katebiens. Maintenant, et pour ce qui est de la promesse d’avoir la troupe Debza (coup de poing) au grand complet à Bgayet, ce n’est que partie remise (pour ce mois de juin 2005), selon l’un de ses membres-fondateurs, en l’occurrence Bezza Bencheikh, lors de sa conférence, toujours dans le cadre des “Jeudis Littéraires” de la Ligue des Arts dramatiques de la wilaya de Béjaïa, en collaboration avec ses partenaires, entre autres le TRB.Comme il fallait s’y entendre, on ne peut parler du parcours de la troupe Debza, sans parler du mouvement de contestation des étudiants de l’Université d’Alger des années 1970 et 1980, qui lui a donné naissance et l’a vu grandir et se développer au fil des ans. De même qu’on ne peut parler de Debza, sans parler de son père spirituel qu’était le militant progressiste et grand intellectuel algérien Kateb Yacine ! Lui qui a recueilli et adopté Merzouk, comme son propre enfant, et l’a aidé à mettre sur pied avec ses amis et camarades de l’époque, la troupe Debza, qui pratiquera un théâtre contestataire et chantera la révolution, la justice sociale, mais aussi l’amour, la femme (au sens noble), et l’humanité.C’est ainsi que lors de la conférence (et des débats qui ont suivi), quand Bezza s’y appliquait à expliquer la genèse de la troupe Debza, dont il est membre fondateur, il a été beaucoup question d’avril 1980 (avec la trentaine de détenus entre Tizi, Bgayet et Alger), et même plus loin pour remonter aux années 1970 et les premiers collectifs d’étudiants de l’Algérie indépendante, qui ont milité pour les Droits de l’homme, le reconnaissance de l’identité berbère (en opposition à l’arabo-baâthisme imposé) et ont revendiqué le vrai socialisme (par rapport au “socialisme spécifique”, cher au régime de l’époque).De même qu’il a été question, en cette Journée nationale de l’étudiant, du soulèvement des lycéens à Bgayet et de la région, un certain 19 mai 1981 à partir des deux principaux lycées de la ville à l’époque : le lycée El Hamadia — ex-polyvalent — et le lycée Ihaddaden. Au total, plus de 500 détenus au niveau de toute la wilaya, qualifiés de voyous, sauvagement torturés et accusés de tous les actes de vandalisme, et défendus par un collectif d’avocats volontaires, avec pour rappel Maître Zehouane et Mme Bitat à leur tête, et la symbolique présence de Ferhat Imazighen Imula, pour chanter en chœur “tizi B’Assa” en plein tribunal ! Certains élèves arrivés en classes de terminales, vont réussir le pari d’avoir leur baccalauréat en prison et avec mention ! Ce 19 mai 1981, les lycéens de Bgayet se sont mobilisés pour simplement revendiquer, pacifiquement, les libertés d’expression, la reconnaissance des langues populaires (Tamazight et l’arabe algérien), le vrai socialisme, l’amélioration des conditions de scolarité, mais aussi pour dénoncer “la hogra” des despotes de l’époque, ainsi que pour dénoncer la rumeur de l’éventuel détournement de projets locaux au profit de wilayates limitrophes, à l’exemple du projet de la cité de Sidi Ahmed et de l’aéroport, mais surtout du projet de l’Université de Bgayet.Le conférencier Bezza Bencheikh, nous a parlé aussi du rapport de la troupe Debza, avec les autres groupes et chanteurs engagés de l’époque, à l’exemple d’Imazighen Imula, Inemlayen, Tagrawla, Yougourthen, Inaslyen, Ideflawen, Matoub Lounès, T34, Imnudah, etc…, pour nous dire qu’ils étaient tous amis et travaillaient tous ensemble la main dans la main.Le conférencier nous a parlé aussi de leur expérience théâtrale avec Kateb Yacine, en montant quelques unes de ses pièces, comme “Mohamed prends ta valise”, “La guerre de 2000 ans”, “La poudre d’intelligence”, etc…Ainsi qu’avec le mathématicien et mythique dramaturge kabyle Mohya, avec qui, ils lièrent une solide amitié et étaient en contact régulier. De même qu’il a été question aussi, de leur combat des années durant, contre les hordes des islamistes intégristes, du temps où ils vitriolaient les jeunes filles, et surtout depuis le lâche assassinat de Kamel Amzal (probablement la première victime de l’intégrisme en Algérie), un certain 02 novembre 1981, dans l’enceinte même de l’Université d’Alger, poignardé dans le dos au moment où il s’apprêtait à coller une affiche annonçant une activité culturelle du collectif universitaire.Par ailleurs, et à la question de savoir où en est la troupe Debza aujourd’hui, l’orateur nous révéla l’existence d’un troisième album fin prêt, et que Debza en tant que troupe, attend son quatrième souffle ! Parce qu’en parallèle, et individuellement, ses éléments sont toujours actifs chacun dans son domaine, versés beaucoup plus dans le théâtre et l’écriture.A la fin des débats, ce fut le tour des instruments de musique de prendre “la parole”, par la “voix” des sonorités des fils d’une guitare merveilleusement grattés par les doigts connaisseurs de Rachid (Médecin de profession), et les vibrations de la peau tendue d’un bendir magistralement caressée par les mains expertes de Bihik (responsables des “Ateliers de musique & chant” de la Ligue), pour une belle remontée dans le temps (des années de braises, comme dirait notre cher Mohamed Lakhdar Hamina), sur les airs de “L’Berwaggya” de Mohya, “L’école” de Gream Allwirght adapté en kabyle et en arabe populaire “Cceyed Q’Surek” de Cheikh Imam, “Wac-rrah Sayer, Fi L’Djazayer”, etc…, et surprise… “L’Auvergnat” de Brassens comme chanson d’adieu, ou plutôt d’au revoir ! Sous le regard admiratif des présents, parmi lesquels on pouvait reconnaître, Omar Fetmouche, Mohand Aït Ighil, Kamel Bouamara, Hocine “Bleck”, L’Aziz le pharmacien, les Drs Kitoune et Bouraoui, Nacer le journaliste, Makhlouf l’artiste, et bien d’autres anciens militants des causes justes à Bgayet. Le tout arrosé, avec le traditionnel thé à la menthe, préparé par Abelkrim du café “Cintra” jouxtant le Conservatoire “Sadek-Abdjaoui” et le théâtre régional “Abdelmalek-Bouguermouh” de Bgayet.

N. Khaled Khodja

Partager