Une voix sensible

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S’installer sur un sol qui n’est pas mien et laisser les siens dans l’autre rive dans une situation primaire n’est pas une mince affaire pour l’exilé qui traversait la mer, généralement en bas âge.«En réponse aux appels aux pincements incessants du cœur maladif et pour alléger les souffrances que l’éloignement aurait causé à l’exilé on se retrouvait tous les week-end autour d’un bon couscous pour échanger les nouvelles parvenues de l’autre côté de la Méditerranée», disait Ameziane Mohamed Ameziane. Originaire de Betrouna, 15 km sud-est de Tizi Ouzou, Ameziane Mohamed Ameziane, pour échapper à son métier de berger qui ne lui récoltait que des misères, avait pris comme viatique que son courage à la recherche d’un salaire stable que la terre aride du Djurdjura n’offrait pas aux siens.C’était la fuite, sauve-qui-peut, chaque famille possédait son immigré. Généralement, c’était l’aîné qu’on envoyait au-delà de la mer dans l’espoir d’en revenir riche pour consolider la fierté de la famille. En effet, El Hasnaoui avait chanté cette situation, cet éxode frénétique et exagéré que les conditions drastiques de Tadert (village) aurait imposé.Tudar qiment tilùawinAamrent hacha s tilawin(Les villages sans hommesQue les femmes pâturent les bêtes)(chanson Maison-Blanche).Il n’avait que 17 ans, lorsque Ameziane Mohamed Ameziane frôla le sol français. C’est en 1953, juste après son arrivée, il trouva refuge comme ouvrier dans l’usine de roulement (SKF). «On travaillait dur et ce n’était pas ce qu’on aurait cru avant notre arrivée. On avait que les week-end pour chanter nos déboires et nos peines».le chanteur Sadaoui Salah, dans l’une de ses chansons affirmait et consolidait cette déclaration qui mit à nue les dures conditions de travail dans lesquelles l’exilé était souvent drapé.Aqliyi sadaw n tmurtItij felli ifutG lvir bousva lqama(Me voici enterré, sans lumière et soleil, dans un précipice très profond).Ameziane Mohamed Ameziane, consacra sa première paie à l’achat d’une guitare pour assouvir sa soif de caresser ses cordes librement, loin de l’œil qui maudissait le musicien, il chantait que pour son plaisir personnel.Son amour pour la musique le taraudait dès son jeune âge. Dans son village natal, il parcourait des distances lointaines pour rendre visite à un jeune qui possédait l’unique guitare du village.Cette passion qu’il nourrissait dans son tréfonds et à laquelle il ne pouvait donner des explications, les trouva dans l’œuvre immortelle d’El Hasnaoui (Hop la hop) El musiq aya badriNaachaq fiha men sughriFiha yefna aumriA nmut hbib ellah(Musique, ô lumière qui dissipe les ténèbres, je la chéris depuis mon enfance, en elle je mourrai, parmi les meilleures créatures).C’est en 1957 que les choses changèrent pour Ameziane. Sa rencontre avec feu Ahcène Mezani, (assez célèbre pour le présenter), serait un tournant décisif dans sa carrière artistique.«Cette étoile — Ahcène Mézani — m’encourageait, m’aidait à me perfectionner à la mandole».Pendant la guerre de libération qui contraignit les artistes au mutisme — exécution des ordres du FLN — Ameziane se consacrait uniquement à son travail à l’usine. Ensuite, vint l’Indépendance qui permettait aux artistes de renouer avec leurs instruments. la folie permanente que Ameziane portait pour la musique s’avérait sincère et fructueuse. rassuré et encouragé par son inséparable ami Hacène Mézani — auquel il rendra plus tard un vibrant hommage — il enregistra ses premières chansons en 1965 à la maison (Safy) dirigée par un Oranais Safy Mohamed.- Saha dyeq azehriw(O mon destin, je te plains)- Hazneg fellaq avoulayoun(Peiner à cause de toi, ô beaux yeux)Comme tous les artistes de l’immigration, l’amour passionnel et la nostalgie du pays submergent les textes de Ameziane. Ses pleurs et son attachement à la femme natale n’ont pas de limites, ses plaintes consécutives et espacées dans le temps démontrent amplement le chagrin et le tourment qui laminaient ses tripes. Ses chansons enregistrées respectivement en 1966 et 1967 nous renseignent du degré de l’amour qu’il portait à sa bien aimée et, surtout que l’éloignement ne pourrait être un facteur de l’oubli.- Seg asmi ikm snagh(Depuis que je t’ai connu)- Uliw ystru(Mon cœur pleure)Avec Ahcène Mézani, Ameziane sillonnait les cabarets du nord de la France, des soirées et des tournées musicales lui permettaient même le luxe. En 1967, le mauvais sort parvint, Ameziane accusé à tort de proxénétisme, serait expulsé du territoire français. Dans son village natal, il se consacra à la vannerie, à tresser de l’osier pour confectionner des articles artisanaux remarquables. D’un art à un autre, Ameziane semble nous dire «Je suis né artiste».Plus de 20 ans de silence, l’artisan décida de rompre le long mutisme pour rendre un hommage émouvant à son ami, Ahcène Mézani, décédé le 14 septembre 1985.Yetru uliw tiragwa(Mes yeux versent des larmes).Devant l’émiettement de la chanson kabyle et l’intransigeance des éditeurs qui parrainent que la chanson commerciale, Ameziane Mohamed Ameziane observa de nouveau le mutisme bien qu’il ait de quoi nous faire revivre les moments fastes de la chanson kabyle. Doté d’un cœur grand et d’une hospitalité inhabituelle Ameziane reste un artiste au véritable sens qui n’hésite pas de gratifier les nombreux jeunes qui demandent ses conseils et son savoir.

Ali Khalfa

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