Ali Asard’oun (Ali le mulet)

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(5e partie et fin)

S’il avait voulu, il lui aurait brisé le cou, mais il le laisse en vie. Le bouvier est très content de cet exploit. Il lui dit, que s’il a de la chance, il pourra tuer Ouaghzen (l’ogre). Il lui indique le chemin qui mène à l’antre du monstre hideux et velu.En début d’après-midi, il arrive enfin à l’endroit indiqué. Il fait le guet, écoute les bruits, puis s’engage dans la tanière de Ouaghzen.Il marche doucement, s’arrête souvent, les sens aux aguets. Après quelques instants, il débouche dans la grande cour intérieure. Il voit une splendide femme, qui se chauffe autour d’un brasier. Pour ne pas l’effrayer, il lui dit en se montrant :- Our tsa gad’ ara, nek d’-g’ma-m a outma aâzizen felli. (N’aie crainte, je suis ton frère, chère sœur !).La sœur est étonnée. Elle savait qu’elle avait six frères mais le huitième, elle l’ignorait. Elle demeura interdite quelques instants et le laissa s’approcher.En quelques minutes, il la met au courant des principaux faits, et lui demande à brûle-pourpoint si elle savait où étaient ses six frères.- Je ne le sais que trop petit frère ! Ils sont prisonniers depuis des années dans le gouffre qui se trouve à l’intérieur de cette grotte aux parois abruptes d’où ils ne peuvent s’enfuir.- Montre-là moi vite, afin que je les délivre. Elle lui montre l’endroit profond et escarpé. Ali Asard’oun fait le tour. Pour pouvoir les délivrer, il lui faut une longue corde. Il n’y en avait pas. Le temps presse. Mais il avait encore un peu de temps devant lui. Sa sœur lui a dit que Ouaghzen ne rentre qu’à la tombée de la nuit pour pouvoir dormir et se reposer. Avisant des toisons de moutons amoncelées dans un coin, Ali Asard’oun demande à sa sœur une dague. Il les découpe en lanières qu’il attache bout à bout, jusqu’à avoir la longueur voulue.Il se ceinture avec la grande lanière qu’il lance ensuite au fond du gouffre. Il demande à ses frères de l’attacher autour de leur taille. C’est de cette façon qu’il arrive à les hisser un par un de leur prison. Ce n’est que par ce moyen qu’il pouvait les délivrer. Leurs membres se sont affaiblis par des longues années de captivité. Une fois dehors, il leur annonce qu’il est leur frère et c’est pour cette raison qu’il est là, pour les ramener tous à la maison à condition qu’il tue Ouaghzen (l’ogre). Ses frères sont sceptiques. Ali Asard’oun est fort, mais est-il capable de venir tout seul à bout de la terrible créature? Ils en doutent, d’autant plus qu’ils ne peuvent lui être d’aucune utilité, sans armes et très affaiblis.Pendant qu’ils faisaient connaissance en se racontant les péripéties de leur vie mouvementée, ils entendent les cris gutturaux de Ouaghzen qui rentre chez lui. Leur sœur est pétrifiée cette fois-ci, si Ouaghzen n’est pas tué, il va tous les dévorer et elle aussi pour l’avoir trahi. La dernière fois, il a épargné ses frères par pitié et pour ne pas trop la contrarier mais cette fois-ci c’est sûr qu’ils vont passer. Elle demande à ses frères de se cacher.Dès qu’il rentre dans la grande cour, il lance un cri qui la glace d’effroi.- Je sens une odeur d’étranger !(Choumagh rih’a ouvarani !)- Qui est venu ici en mon absence, fille du péché ? (A illi-s lah’ram, anoui id youssan d’effir-i ?)Sortant de sa cachette, tenant entre ses deux mains sa terrible massue, Ali Asard’oun lui dit :- C’est moi ! Et je suis venu spécialement pour te tuer, pour tout le mal que tu as fait à ma famille.Ouaghzen lance un grognement qui fait vibrer les parois de la grotte.Ils se lancent l’un contre l’autre. Ali Asard’oun, pour ne pas se laisser approcher, fait tournoyer sa massue dans tous les sens. Ouaghzen essaye de l’agripper. Si jamais il parvient, il va le dévorer en ouvrant sa gueule démesurée. Ali Asard’oun rompu au combat esquive tous ses assauts.Il vise sa tête et quand il est sûr de la toucher, il lui lance à la volée, sa terrible massue. Blessé, Ouaghzen titube et s’affaisse légèrement. Ali Asard’oun profite de ce moment de répit pour se saisir de son arme. Il lui donne sur la tête des coups saccadés jusqu’à la fracasser. Sa tête réduite en bouillie Ouaghzen est inanimé. De sa gueule grande ouverte, sortent des borborygmes saccadés. Il est au bord de l’agonie. C’est fini pour lui. Ses frères et sa sœur qui ont assisté au combat héroïque sont émerveillés. Ali Asard’oun a vaincu Ouaghzen. Il est félicité.Le corps de Ouaghzen est traîné à l’extérieur où Ali Asard’oun prépare un bûcher. Il le met dessus et allume le feu, en présence de ses frères et de sa sœur. Ce soir-là, un mouton est égorgé et du couscous mangé avec grand appétit par les anciens prisonniers, qui n’ont pas goûté à ce met délicieux depuis des années. Durant toute la nuit ils passent ensemble en revue, l’histoire de leur vie.C’est là qu’ils apprennent de la bouche de leur sœur que, si cela s’est produit, c’est à cause de son caprice d’enfant qui a exigé de son père l’ag’ellid’ ’’Thiksiouth ichet’h’en ouah’des’’ (La robe enchantée qui danse toute seule).Or cette robe se trouvait entre les mains de Ouaghzen (l’ogre). Son père se l’est procurée pour ne pas la chagriner, mais il a conclu un marché avec Ouaghzen, qui pour ses intérêts, se déguise en homme pour mieux berner ses victimes, même si c’est dans ce cas il s’agit du roi. A l’aube, tout le monde connaît l’histoire dramatique de la famille. Avec les richesses accumulées dans la grotte, les frères achètent des mulets pour les transporter au palais. En cours de route ils trouvent le bouvier et le berger qui leur ont indiqué le chemin de la grotte auxquels ils annoncent que leur plus jeune frère a terrassé Ouaghzen et, qu’à partir de cet instant, ils ont la possibilité de prélever quelques bêtes des troupeaux, qui sont devenus les leurs, ou de les suivre avec leurs bêtes au palais.Ils choisissent la première solution mais acceptent de conduire les animaux dans les écuries du palais.En recevant au palais ses enfants au grand complet, le roi est fou de joie, de même que la reine.Le plus moche de ses fils a réussi le plus grand exploit de sa vie, tuer Ouaghzen (l’ogre) et délivrer ses frères et sa sœur prisonniers.Pour fêter l’événement, le roi ordonna des réjouissances qui durèrent sept jours et sept nuits.’’Our kefount eth h’oudjay inou our kefoun ird’en tsemz’in as ne-elaïd’ anetch ak’soum tsh’emz’ine ama ng’a thiouan z’izine’’.(Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’Aïd, on mangera de la viande et des pâtes jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

Benrejdal Lounes

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