Du Donatisme au Maraboutisme

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Mais à côté des religions orthodoxes, il s’est toujours développé des schismes, des mouvements populaires berbères spontanés à l’exemple du Donatisme au temps de la chrétieneté, du Kharijisme nord africain, du Mouvement des Berghwatas jusqu’au maraboutisme au temps de l’islam. Ces mouvements étaient non seulement d’opposition aux religions officielles mais aussi ils étaient animés de sentiment d’indépendance.

Le Donatisme :

Suite au refus des Numides de reconnaître l’autorité de Cecilien évêque de Carthage qui s’étant compromis avec le pouvoir de Rome lors des persécutions des chrétiens ordonnés par l’empereur Diocletien, Donat fut nommé à la place de Cécilien. Mais Rome l’évinça aussitôt de son poste d’évêque et on le remplaça par un autre. Suite à cela, les numides indignés se soulèvent. Donat fonde le donatisme au IV siècle (313-314) et s’oppose aux catholiques. Les exactions et les persécutions que subissaient les donatistes avaient suscité chez les Amazighs numides que la colère. Les paysans dépossédés, les Circoncellions mécontents de la politique de Rome et les opprimés de tous genre rejoignirent le mouvement et la révolte gagna toute la Numidie. Le Donatisme devient alors un mouvement d’indépendance dirigé non seulement contre l’église catholique mais aussi contre le pouvoir central de Rome. Le berbère catholique Saint Augustin, évêque d’Hippone le combattit avec violence. Il sollicita même l’aide de Rome pour venir à bout du Donatisme porté par des Berbères dont il serait ‘‘issu’’.

Le Kharidjisme :

Le Kharidjisme est né en Orient suite à un différent entre Mouawiya et Ali le gendre de Mohammed pour la succession du calife. Les mecontents, proches de Ali non content rejettent le coup d’état parrainé par Mouawiya au profit de la tribu koreichite, les Bani Oummawiya. Ils quittent la réunion. Ils sont alors nommés ‘’Khawaradj’’ ‘‘les sortants’’. Ce mouvement préconisait la justice sociale, l’égalité des croyants et la nomination du guide de la communauté doit se faire en dehors des critères raciaux et sociaux en outre appartenance à koreich. Le Kharidjisme fut rigoureusement combattu par l’orthodoxie sunnite. En Afrique du nord, au pays des Amazighs, cette doctrine est plutôt bien accueillie. Ainsi, elle se répandait et elle fut adoptée. Deux éléments à notre sens ont sans doute favorisé l’adhésion des amazighs et son développement. Le premier étant même l’esprit égalitaire qui anime les amazighs et qui est préconise dans le Kharidjisme. Le second élément est la lassitude des autochtones de la tyrannie des gouvernants arabes, des injustices et des humiliations commises à leurs encontre qui, trouvant en ce mouvement un sens à leur réaction et un moyen de réagir contre le pouvoir central. Le Kharidjisme nord africain était combattu aussi à son tour par l’orthodoxie. Néanmoins, une branche du Kharidjisme Ibadite subsiste à nos jours dans des îlots tels qu’au Mzab, dans l’île de Djerba en Tunisie et enfin à Djebel Nefousa en Libye.

Le Mouvement Berghwata :

Les Berghwatas tirent leur nom d’une tribu situé entre Salé et Azemmour à l’Ouest du Maroc. Les Bergwatas qui ont combattu les Arabes avec les Kharidjites se réfugièrent après l’effondrement du Kharidjisme à la Tafna à l’ouest du Maroc et fondèrent le royaume des Berghwatas. Sous Salih et Yunes le mouvement Berghwata se développa. Salih se proclame même prophète et se prétend être le Salih El Mouminin (l’envoyé de Dieu) Il compose alors un Coran en tamazight comprenant 80 sourates et érige un code religieux rigoureux allant des interdictions alimentaires à la pratique d’une dizaine de prières soit cinq le jour et cinq la nuit…

Il s’approprie donc le Coran et en le berbérisant, il l’adapte à la réalité amazighe. Pendant presque quatre siècles c’est-à-dire du VIII jusqu’au XII siècle le royaume des Berghwatas resta souverain et indépendant. Et pendant toute cette période de souveraineté la langue amazighe était utilisée au point où on peut penser qu’elle était officielle du fait que le royaume des Berghwatas fait appel aux traducteurs et interprètes pour communiquer avec les étrangers notamment les Arabes.

Comme tous les mouvements précédents autochtones qui s’opposaient à l’orthodoxie, le mouvement berghwata à son tour a été aussi combattu violemment. Et ce fut les Almohades qui viennent à bout de ce mouvement.

Le Maraboutisme :

Le maraboutisme quant à lui, doit son nom à la grande dynastie almoravide qui régna sur une partie de l’Afrique du Nord et l’Andalousie du XI au XII siècle. Un chef des Senhadjas de la tribu des Lemtouna (des Gétules, nomades du Sahara) avec l’aide d’un érudit musulman Abdellah Ou Yasin fonde en 1035 un couvent fortifié (Ribat) dans une île à l’embouchure du fleuve Senégal aujourd’hui disparue.

Ce ribat d’un millier de personnes entièrement dévouées à l’islam consacrent leurs temps à l’initiation d’un islam rigide et rigoureux par ses lois. Ils s’initient non seulement aux exercices religieux mais aussi à la préparation à la guerre sainte. Ce couvent forme en quelque sorte des moines guerriers.

C’est en l’an 1061 sous le commandement de Youcef Bnou Tachfin que la puissance des Almoravides connaîtra son apogée. Il régna sur toute l’Afrique du Nord et l’Andalousie. Georges Marcais écrivait : « Ce chef berbère qui comprend et parle mal l’arabe est cependant entouré de poètes qui célèbrent sa gloire et qui trouvent bon accueil dans son palais[1] ». Mais l’évolution est plus nette encore chez son fils Ali bnou Youcef dont on nous dit d’ailleurs qu’il est d’une piété édifiante et qu’il accorde les plus grandes faveurs aux jurisconsultes. Et c’est sous son règne (36 ans : de 1106-1142) que l’art hispanique (andalou) fut introduit en Afrique du Nord. La grande mosquée de Tlemcen (Tagrart) illustre bien cet art. La ressemblance de son décor avec la mosquée de Cordoue en Andalousie est frappante. Ainsi, la grande mosquée d’Alger, de Nedroma, de Tlemcen et la fondation de Marrakech sont toutes l’œuvre des Almoravides.

Le mot “maraboutisme” dérive du mot arabe “mourabit” et signifie gardien de frontières.

Ce mouvement instantané est né suite au déclin des grandes dynasties Almoravides, Almohades et des royaumes qui suivirent tels que les Hafsides ou les Zianides. Un groupe d’hommes ayant une foi militante confinée dans des ribâts à la Seguia El Hemra au Sud Ouest du Maroc partent en guerre sainte défendre le territoire contre les actions extérieures de la reconquista hispano-portugaise des côtes maghrébines.

L’absence d’une autorité centrale a favorisé certainement le développement de ce mouvement. La vocation originale dirigée contre l’extérieur (défendre le territoire) qui n’avait plus de raison d’être est remplacée par une autre, cette fois ci, dirigée vers l’intérieur du pays c’est-à-dire vers les masses de Berbères jugés à tort ou à raison insuffisamment non islamisées. A ce moment, le mouvement a déjà subi deux mutations importantes. Premièrement, le maraboutisme qui était à l’origine d’un mouvement ouvert à tous, est devenu une caste fermée aux gens de l’extérieur. On naît marabout, on ne le devient pas. Deuxièmement ce mouvement associe à la prêtrise, la thaumaturgie, un pouvoir surnaturel (une sorte de “baraka”).

Au Maroc, le marabout est désigné par son nom original d’ Agurram. Ce terme désigne un personnage doué de pouvoirs magiques plus que religieux, évidemment antéislamique. En Algérie, par contre le nom a disparu mais a gardé sa fonction qui survit dans celle du marabout Mammeri M. écrivait : « Aux Almoravides, le maraboutisme doit son nom et en partie la vocation [2]… La baraka du marabout est un pouvoir surnaturel, il opéré des miracles et pour cela, il est le lieu à la fois de tous les espoirs et de toutes les craintes ».

Quant à Smati M, il écrit : « A l’origine le maraboutisme signifiait combats et spiritualité; il est devenu une institution sociale recouvrant plusieurs faits où s’entremêlaient mysticisme, idéologie, tradition et un style de vie sociale[3] ».

Ainsi, à partir du XVI siècle un grand afflux de marabouts s’effectua de Targa Zeggaghen, la Seguia El Hamra pour les Arabes ou Rio de Oro pour les Espagnols vers la Kabylie. En trouvant les mêmes conditions socioculturelles de leurs pays d’origine, les marabouts s’adaptent facilement. Ils prennent comme femmes des Kabyles et fondèrent des foyers et des villages.

Dans les faits, il existe plusieurs types maraboutiques selon leurs passés. Il y a ceux qui tirent leur gloire :

– d’une affiliation au prophète (ils revendiquent une descendance chérifienne).

– de leur pouvoir naturel qui frappe l’imaginaire.

– de leur savoir religieux.

– d’actes positifs ayant par exemple un pouvoir de guérison ;

Nul n’est prophète en son pays, dit-on. Une caste qui veut faire croire à la supériorité de sa lignée et pour préserver ses privilèges doit nécessairement s’attribuer une origine étrangère. Les imrabden de Kabylie ne sont pas tous venus de Targa Zeggaghen du Sud marocain. Plusieurs origines familles maraboutiques sont signalées ici et là en Kabylie.

Rien que dans la confédération des At Iraten, Hanoteau signale dans son ouvrage ‘‘La Kabylie et les coutumes kabyles’’ que plusieures familles maraboutiques sont d’origine turque, kabyle, arabe et meme noire[4]. En revanche, beaucoups de marabouts ont perdu cette qualite et sont comptés parmi les familles kabyles.[5]

Chaque village de Kabylie a son marabout. N’obéissant à aucune autorité religieuse, il se confine dans une structure et il ne peut s’élever verticalement ni s’étendre horizontalement. Il se contente du domaine du sacré tout en gardant une certaine neutralité dans les conflits.

Son statut et sa fonction ne lui permettent pas de prendre les armes et de travailler. Si le fait de ne pas s’initier aux armes lui permet de ne pas prendre part à la guerre donc de ne pas prendre le risque de mourir, en revanche, il le rend vulnérable et indépendant des autres. Non seulement, il ne peut se protéger par les armes puisqu’il ignore leur maniement mais aussi il ne peut subvenir à ses besoins puisqu’il vit seulement avec les offres de laâchour et les offrandes qu’on lui apporte.

Dans le village, le marabout est indispensable pour l’équilibre social. Il intervient dans la solution des conflits entre groupes familiaux, entre les individus et dans les cérémonies telles que le mariage, le décès et il procède à l’ouverture et à la clôture de l’assemblée du village par la citation de la fatiha.

Dans sa pratique du sacré, le marabout puise l’essentiel dans la religion islamique, dans le droit coutumier du village et dans les traditions anciennes. L’exhérédation de la femme, est un exemple signifiant. Les marabouts en apportant leur soutien à l’abolition du droit de la femme à l’héritage en 1737 à Djemaa Saharidj ont rompu avec la loi coranique et ont agi selon les coutumes anciennes.[6]

En étant actif dans cette dynamique sociale, le marabout s’est adapte et a fait face à la concurrence des confréries religieuses telle que Tarehmanit et aux réformisme Oulémas. Et plus récemment aux intégristes islamiques.

Les premiers marabouts ont été vénérés et à leurs morts, on leur a construit des tombeaux que surplombent des koubbas. Ils sont aujourd’hui sujets de diverses cérémonies cultuelles. Les femmes notamment continuent à nos jours à se rendre en pèlerinage en ces lieus saints.

En conclusion, du Donatisme au Maraboutisme en passant par le Kharidjisme et les Berghwatas sont tous été des mouvements spontanés qui ont nés suite à une réaction normale des Amazighs contre les agressions extérieures pour défendre le territoire. Dans leurs réactions ou dans leurs pratiques de la religion, ces mouvements se présentent non seulement en opposition vis-à-vis de l’orthodoxie religieuse mais aussi du contrôle du pouvoir central. Ils réaffirment le sentiment d’indépendance de toute domination, quelqu’elle soit, sentiment cher aux descendants de Jugurtha, l’‘‘éternel’’.

Ramdane Lasheb

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