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Tamacahutt n Basghar

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Nadia Ben Mouhoub, cette militante infatigable de la culture et de la cause féminine, a sillonné toute la Kabylie pour recueillir des contes, proverbes et poèmes qu’elle a laissés en état de manuscrit. Elle vient enfin d’être publiée, malheureusement à titre posthume. Auteur aussi de plusieurs pièces de théâtre, chansons de son cru, Nadia Ben Mouhoub n’a pas pu se faire éditer. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Elle qui a tapé à toutes les portes des maisons d’édition, qui a vu tous les producteurs et parlé de ses projets à tous les animateurs du mouvement associatif.Ce fut en vain. Elle nous quittera à jamais le 27 octobre 2002 après un malaise cardiaque à la fleur de l’âge (33 ans). Deux années après son décès, la consécration viendra enfin du HCA qui a tenu à lui rendre hommage même à titre posthume.Tamacahutt n basghar qui vient donc d’être publiée dans la collection “Idlissen negh” est un conte du terroir que Nadia Ben Mouhoub avait recueilli auprès des vieilles femmes à qui elle rendait visite jusque dans les villages les plus reculés du Djurdjura. Elle sait mieux que quiconque que ces vieilles femmes qu’on méprise souvent, sont de véritables bibliothèques sonores. Elles sont la mémoire vivante de toute une société à forte tradition orale et qui ne disposait pas des moyens audiovisuels actuels. Seule la parole comptait. En véritable courroie de transmission de cette tradition orale, la femme kabyle a participé, de fait, à la survie de notre langue.Le père étant toujours occupé aux durs travaux des champs, quand il n’est pas coupé carrément de l’ambiance familiale par l’exil qu’il soit interne ou externe. Dans tous les cas de figure, c’est toujours la maman qui enseignait la morale, éduquait et qui racontait des histoires autour d’un kanoun incandescent qui réchauffait les cœurs durant les longues et glaciales nuits d’hiver. On raconte qu’en 1945, des familles entières étaient restées bloquées chez elles, durant plus d’un mois. Que peut-on faire de ces longues nuits et journées de froid imposées par une météo impitoyable, qui ne prévenait même pas, contrairement à aujourd’hui ? On racontait alors aux enfants des histoires pour leur faire oublier l’absence du père protecteur, le froid et la faim. C’est l’un de ces contes que Nadia Ben Mouhoub a immortalisé.Elle raconte l’histoire d’un vieux père parti en pélérinage à la Mecque. Il sera absent durant de longues années, étant donné que le pélérinage se faisait à pied. Laissant 7 filles à la maison, elles ne doivent ouvrir à personne sans aucun prétexte. Le sage père avait pris soin de laisser une quantité nécessaire de provisions suffisantes. Mais le conseil a vite été oublié. Heureusement que la plus jeune des filles, une handicapée de surcroît, sauvera ses sœurs des griffes d’un méchant imposteur qui s’est fait passé pour un oncle. Cette histoire présente une similitude profonde avec la fable de Jean de la Fontaine “La chèvre, les sept chevreaux et le loup”. La maman-chèvre partie chercher quoi manger avertit ses enfants de ne pas ouvrir, sauf si elle leur montre patte blanche, d’où l’expression proverbiale fortement usitée de nos jours.Le livre Tamacahutt n basghar, objet de la présente lecture est abondamment illustré des mains de l’auteur. Ces dessins bon enfant rappellent la vie paysanne, la beauté de la nature, les travaux des champs, les mariages…Chaque page illustrée est une véritable prairie, où fleurissent et poussent jasmins, coquelicots, maïs et oliviers. C’est un véritable hymne à la nature. Des décors d’intérieurs de maisons sont aussi incrustés dans le texte à côté des peintures abstraites. Les dessins ont été imprimés en quadrichromie et à bien les observer, on croit sentir l’odeur fraîche des crayons de couleurs utilisés par le défunt auteur.Mais là où se situe l’autre originalité de ce recueil, c’est l’interruption du récit selon des cadences régulières par des beaux poèmes du cru de l’auteur qui résument, selon les normes de la versification, les différentes chapitres du récit. Au bout de 3 strophes, le récit reprend de plus belle, et ainsi de suite jusqu’à la fin du conte…La préface du livre est signée Na Ldjouher, une autre poétesse qui n’est autre que la mère de l’auteur. La préface commence par une question : “C’est quoi, le conte ?” Ce à quoi Na Ldjouher répondra : “Le conte est une manière de replonger dans nos racines, de nous remémorer nos ancêtres, de nous rappeler les belles paroles des vieilles femmes”. A bon entendeur, salut !

M. O.

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