Un attribut essentiel de la citoyenneté

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Figurant comme l’un des objectifs du millénaire à l’échelle de la planète, la lutte contre l’analphabétisme a aussi été intégrée depuis 1990 comme un des indicateurs de développement humain (IDH) par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ; indicateur composite porté sur les valeurs de la longévité (espérance de vie), le savoir (mesuré pour les deux tiers par le taux d’alphabétisation des adultes et pour un tiers par le nombre d’années d’études) et le niveau de vie (P.I.B. par habitant mesuré par rapport au pouvoir d’achat). Les instances culturelles et éducatives internationales ainsi que les élites éclairées d’un certain nombre pays en développement ont, particulièrement depuis une vingtaine d’années, pris une conscience aiguë du phénomène de non accès d’une partie de la population mondiale aux bienfaits de la culture et de l’éducation ; bienfaits d’autant plus précieux qu’ils participent des fondements de la citoyenneté et des attributs de la démocratie, étant entendu qu’un peuple — ou une partie de ce peuple — analphabète ne peut faire valoir complètement ses droits ni assumer correctement ses devoirs.

Cuba qui vient de célébrer le 60e anniversaire de la fondation du castrisme a réalisé une réelle performance en la matière malgré les tares connues d’un régime dictatorial qui porte le nom de son fondateur. Même si, pour céder le pouvoir, Fidel Castro a attendu d’être rattrapé par la fatalité biologique, il a cependant, au début de son règne, donné un contenu concret à une formule lancée au cours d’une grande réunion : « Il faut enlever aux citoyens le droit d’être des ânes. » Il parlait du projet de modernisation de l’école et des méthodes d’alphabétisation dont même ses ennemis ont reconnu la pertinence et le succès. Notre gouvernement a conçu, il y a deux ans, le programme de relance du vieux projet d’alphabétisation que les pouvoirs publics ont ressassé depuis l’indépendance du pays.

Le discours et la méthode

En examinant de près les différents variantes du plan du gouvernement pour lutter contre le phénomène de l’analphabétisme, l’on subit d’abord le vertige des chiffres relatifs à l’argent mobilisé pour cet ambitieux plan ; ensuite, on ne peut contenir sa déception face au déficit en méthodologie et à l’absence d’objectifs précis quantitativement et qualitativement vérifiables. Tous les spécialistes en pédagogie convergent vers le constat que l’enseignement des adultes pose des problèmes autrement plus complexes, du moins d’une nature différente, que ceux connus dans l’enseignement normal dispensé aux jeunes écoliers. Sur le plan du principe, l’action de l’Algérie visant à soustraire sa population à l’analphabétisme est digne de tous les éloges. Elle le serait certainement davantage si des objectifs précis étaient fixés et si une didactique adaptée était arrêtée. Peut-on réellement être libre si la camisole de l’analphabétisme nous enchaîne, nous ligote et nous étouffe? Le pari lancé par Boubekeur Benbouzid, ministre de l’Éducation nationale en 2006 en présentant un projet d’alphabétisation à grande échelle est d’une si fascinante ambition que l’on voudrait croire tout de suite à sa faisabilité. L’échéance arrêtée par le ministre est 2016. À cette date, c’est-à-dire dans sept ans, le membre du gouvernement voudrait effacer toute trace d’analphabétisme dans notre pays !

Le Centre national d’alphabétisation, avait, lui aussi, par la voix de son directeur., Mohamed Tahar Becouche, avancé, en 2005, un projet de même nature avec un budget de 50 milliards de dinars. Cette institution fait état de l’existence de

6 400 000 personnes analphabètes en Algérie dont 4 millions sont des femmes. On ne sait si l’Algérie dispose désormais de deux programmes de lutte contre l’analphabétisme ou d’un seul programme co-piloté par l’Éducation et le CNA. Il y a lieu de noter que même le ministère de la Formation professionnelle a prévu, depuis la rentrée 2008/2009, de prendre en charge une partie du programme d’alphabétisation. En tout cas, les moins pessimistes parmi les observateurs ne manqueront de se poser la question de savoir par quel miracle une telle ambition pourrait se réaliser en quelques années dans un pays qui, près de quarante-sept ans après l’Indépendance et avec des moyens financiers rarement égalés dans les pays du tiers-monde, a fini sa course avec un chiffre, officiel, aussi ahurissant d’analphabètes.

Nous avons souvenir d’un ancien ministre de l’Éducation, en l’occurrence le légendaire Kaharroubi, qui, le plus sérieusement du monde, nous promit, au milieu des années 80, que l’École fondamentale produirait en l’an 2000 des Mozart et des Beethoven ! Pas moins. À l’époque le ridicule ne tuait pas. Aujourd’hui, ne préjugeons de rien. L’ampleur de l’entreprise, comme le notait le ministre de l’Éducation dépasse le cadre de son département ministériel. Et l’on nous assure que le problème de l’argent ne se pose pas.

Mais, détient-on réellement la teneur d’un tel programme ? A-t-on fait le bilan du travail de toutes les organisations et structures versées dans cette activité depuis 1963 jusqu’à l’actuelle associations “Iqra” pour décider des méthodes et modalités à mettre en œuvre pour un objectif aussi généreux et aussi révolutionnaire ?

Analphabétisme, illettrisme et nature des enjeux

A-t-on défini ce qu’est l’analphabétisme et ce qui le différencie de l’illettrisme ? Officiellement, le nombre d’analphabètes en Algérie se situe autour de 7 millions de personnes. Néanmoins, les statistiques se fondent généralement sur la fréquentation de l’école. Ce point ne peut pas faire l’unanimité. Est-il logique de considérer que tous les élèves qui ont été enregistrés en première année sont hors du cercle des analphabètes ? Pourtant, les réalités de l’école algérienne sont connues en la matière.

S’il y a bien un phénomène qui n’est pas quantifié convenablement et que certaines statistiques occultent allègrement c’est bien celui de la déscolarisation.

Dans plusieurs zones rurales, des parents se résolvent à retirer leurs enfants de l’école pour plusieurs raisons qui ont pour dénominateur commun la misère sociale : école trop éloignée, charges financières insupportables générées par les fournitures scolaires et l’habillement, et souvent nécessité d’aider les parents dans les travaux agricoles, ce qui nous fera déborder sur l’épineux sujet des enfants qui rentrent précocement dans le monde du travail. « D’une manière générale, les interrelations entre pauvreté et analphabétisme sont nombreuses et complexes, même si elles varient selon le type de pauvreté et les caractéristiques propres à chaque environnement culturel et social.

Sur bien des aspects, la carte de l’analphabétisme mondial et celle de la pauvreté se recoupent », écrit Fraenkel Béatrice dans l’Encyclopedia Universalis. Même en quittant l’école à l’âge de 16 ans, qui pourra nous convaincre que ces adolescents ont véritablement transcendé l’analphabétisme ou l’illettrisme? Et puis, à l’ère de la révolution technologique et numérique, il faut bien redéfinir cette notion nébuleuse qui ne se fonde pas sur les critères de 1962 lorsque la population analphabète du pays était évaluée à 85%.

Dans quelle langue enseigner ?

Comme pour tout nouvel apprentissage qui, plus est, se donne pour ambition le savoir pratique devant servir immédiatement dans la vie domestique, le processus d’alphabétisation pose la problématique de la langue d’apprentissage avec une acuité particulière. En effet, comme le note Fraenkel Béatrice, « un certain consensus existe aujourd’hui sur l’efficacité accrue d’une alphabétisation en langue maternelle. Il semble légitime de privilégier la langue maternelle d’un adulte qui désire s’alphabétiser. L’effort à fournir serait limité, l’apprenant maîtrisant déjà la langue orale. En revanche, alphabétiser dans une langue » étrangère « revient à obliger l’apprenant à fournir un double effort : acquérir les mécanismes de la lecture et de l’écriture, mais aussi apprendre une nouvelle langue. Un deuxième argument en faveur de l’alphabétisation en langue maternelle met en avant le souci de préserver et d’affermir l’identité culturelle ». Dans le cas de notre pays, la charge idéologique que charrie l’École fondamentale ne manquera pas de déteindre sur les programmes d’alphabétisation. Le risque demeure présent de voir ces programmes déviés de leurs objectifs techniques et culturels. « L’alphabétisation elle-même est un acte politique qui a été souvent utilisé pour imposer une langue. Les gouvernements des pays multilingues en voie de développement ont ressenti le besoin de promouvoir une langue afin d’affermir l’unité nationale et de contrôler les populations de leur territoire. L’alphabétisation a alors été utilisée pour diffuser la langue au détriment des langues des minorités », souligne Fraenkel Béatrice.

Le projet du gouvernement semble s’inscrire en dehors du cursus scolaire normal puisqu’il touche les populations de différents âges. Cependant, le seul et vrai garant d’une formation qui peut dégager définitivement les jeunes Algériens des affres de l’analphabétisme, c’est bien une école performante, rationnelle et moderne qui demeurera l’alpha et l’oméga de toute entreprise de modernisation de la société.

Amar Naït Messaoud

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