Délices subversifs peu ordinaires

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C’est en 1704, qu’Antoine Galland publia le premier tome de Mille et une nuits chez la veuve de Charles Barbin. Le 25 mars 1709, Galland fit une heureuse rencontre avec un chrétien de Syrie, qui l’a aidé en lui confiant d’autres contes, comme Histoire d’Aladin ou la Lampe Merveilleuse. La publication de l’œuvre complète fut achevée en 1717, soit deux ans après la mort de Galland le 17 février 1715. Pendant les années consacrées à la traduction des Mille et une nuits, Antoine Galland à travaillé comme lecteur du Roi pour les langues orientales, et professeur d’arabe au collège de France. Il publia une traduction du Coran en 1710.

Texte et prétexteDans son ’’avertissement’’, l’auteur reconnaît qu’il ’’n’est pas besoin de prévenir le lecteur sur le mérite et la beauté des contes qui sont renfermés dans cet ouvrage. Ils portent leur recommandation avec eux. Il ne faut que les lire pour demeurer d’accord qu’en ce genre on n’a rien vu de si beau, jusqu’à présent, dans aucune langue.’’ Un roi, d’une contrée persane jetant ses tentacules sur le sous-continent indien avait régné en se faisant aimer auprès de ses sujets par sa sagesse et sa pondération et en se rendant redoutable à ses voisins par sa vaillance et la réputation belliqueuses de ses troupes bien disciplinées.Après sa mort, son fils aîné, appelé Shahraiar, qui tient de lui toutes les vertus, monta sur le trône en se faisant seconder par son frère Schahzenan, bien que ce dernier fût exclu de tout partage de l’empire en vertu des lois implacables en vigueur dans ce pays. Mais son frère aîné lui concéda une partie du royaume, la Grande-Tartarie, qu’il gouverna avec poigne et dextérité.L’histoire qui sera le véritable ’’déclencheur’’ narratif est liée à un fait d’adultère dont se rendit coupable la femme du roi. Celui-ci, ne vit d’autre solution que d’exterminer la femme et son amant en les décapitant d’un coup de sabre à l’intérieur du lit même où le roi les surpritSuite à un tel affront, le souverain jura de se venger en mettant à mort toutes vierges du royaume après les avoir successivement épousées. Il a diligemment commencé à son entreprise funeste, puis vint le tour de Schéhérazade. Fille d’un bourgeois, ’’elle avait un courage au-dessus de son sexe, de l’esprit infiniment, avec une pénétration admirable’’. Par son imagination féconde et son audace, a décidé d’arrêter le funeste sort qui s’abattit sur les filles du royaume : ’’J’ai dessein d’arrêter le cours de cette barbarie que le sultan exerce sur les familles de cette ville. Je veux dissiper la juste crainte que tant de mères ont peur de perdre leurs filles de manière si funeste’’, dit-elle à son père.’’Elle avait beaucoup de lecture et une mémoire si prodigieuse que rien relui échappait de tout ce qu’elle avait lu. Elle s’était heureusement appliquée à la philosophie, à la médecine, à l’histoire et aux beaux-arts, et elle faisait des vers, mieux que les poètes les plus célèbres de son temps. Outre cela, elle était pourvue d’une beauté excellente, et une vertu très solide couronnait toutes ces belles qualités’’. Ayant épousé le roi, elle lui racontait chaque nuit une histoire si captivante qu’il en était toujours émerveillé au point d’oublier son horrible dessein. Schéhérazade arrête à chaque fois sa narration à l’aube en laissant en suspens le cours du récit dans sa partie la plus attirante qui précède le dénouement. Après l’aube, le roi ne se sent pas lié par son engagement meurtrier. Il laisse vivre ainsi sa femme.’’Bon Dieu ! Ma sœur, dit alors Dinarzade,que votre conte est merveilleux !. La suit est encore plus surprenante, répondit Schérazade, et vous en tomberiez d’accord, si le sultan voulait me laisser vivre encore aujourd’hui et me donner la permission de vous la raconter la nuit prochaine. Schahriar, qui avait écouté Schéhérazade avec plaisir, dit en lui-même : ’’J’attendrai jusqu’à demain, je la ferai toujours bien mourir quand j’aurai entendu la fin de son conte’’.Le même scénario se répète ainsi chaque jour pendant mille et une nuits, période au bout de laquelle le roi renoncera à sa funeste intention. La force et l’imagination fertile de Schéhérazade ont été payantes.Durant mille et une nuits, furent déroulés les récits où se mêlent le merveilleux et l’intrigue, les petits calculs d’épiciers et les grandes conjurations, Ali Baba et les quarante voleurs, Aladin et la lampe merveilleuse,Sindbad le marin, l’androgyne Kamarazaman et beaucoup d’autres histoires aussi captivantes les unes que les autres.Malek Chebel se demande (in Le Monde du 16/04/2004) : ’’Qu’est-ce qui explique la vogue phénoménale des nuits,l’énigme de leur jeunesse et peut être leur modernité ? Est-ce leur intrigue ou l’incroyable pied de nez qu’elles font à la morale établie ? A moins que ce soit leur caractère sulfureux et salace.(…) Divertir, instruire, il n’y a pas que cela. Les mille et une nuits sont une contre-culture, avec un modèle de société qui s’oppose radicalement à celui de la tradition corsetée de l’islam, presque un anti-coran. Dix siècles après, leur gouaille populaire et leur irrévérence n’ont pas pris une seule ride. Les bas-fonds sournois et peu sûrs de la ville orientale voisinent ainsi avec la sensualité débordante des danseuses au ventre lisse et des matrones intéressées. Le palais demeure leur théâtre, car il est le lieu où l’intime peut frayer sans souci avec la politique. Le vizir, le chambellan et jusqu’au calife qui boivent leur soûl de bon vin, admirent au besoin les vulves épilées des courtisanes soumises et le corps musculeux d’esclaves noirs. A tous ces sans foi ni loi, la transgression des tabous par les Nuits est un délice peu ordinaire’’.Dans bien des cas, le récit-qui a bénéficié d’une multitude de traductions et d’un nombre indéterminé de rééditions, est vu et vécu comme un lieu d’immersion dans la liberté originelle qui n’était pas encore ligotée par la camisole de la morale et de l’hypocrisie. Comme le fou du roi connu dans la littérature européenne classique, les courtisans, les eunuques, les valets des Milles et Une nuits sont en contact discret mais efficace avec le sérail. Ils font passer des vérités dans les arcanes du pouvoir politique qu’un ministre, soumis et docile, n’a pas les moyens ni la mission de transmettre. ’’Si le fou meurt, qui dira la vérité au roi?’’, se demandait Mouloud Mammeri.’’Leur capacité à générer un quelconque bonheur les faisant craindre de bien des despotes, les Mille et une nuit deviennent un texte de résistance, souvent une catharsis salutaire. Elles éclairent ainsi la part cachée de la société de cour et de son prestige. A leur corps défendant, elles véhiculent une certaine idée de l’islam au temps classique, un islam tolérant et curieux, et constituant aujourd’hui le rêve éveillé des arabes’’, (malek Chebel).

Amar Naït Messaoud

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