Tawriqt Tacebhant, le nouvel album de Lounis Aït Menguellet

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Durant toute une journée, ou plutôt toute une ère, cette feuille blanche, refusait de contenir,

de recevoir l’encre du stylo par lequel l’humain transcrit ses pensées. Dans cette 1re chanson,

ce n’est pas de n’importe quel humain qu’il s’agit, Lounis parle beaucoup plus du poète,

peut-être de lui-même.

Traduit en français, ça donnerait ceci:Je me suis réveillé tôt le matin, Décidé à écrire

La feuille vierge m’attendait

Qu’allais-je lui raconter?

J’avais peur de m’y mettre

Et que la raison ne soit pas au rendez-vous

Peut-être espère-t-elle un arbre

Pour qu’elle puisse s’y adosser

La feuille blanche reste figée

L’encre ne voulant la noircir

Après une absence de cinq années, Lounis Aït Menguellet a repris sa plume pour un nouvel album. Pour produire du neuf, pour écrire de nouveaux textes, il faut prendre une «feuille blanche», c’est du moins ce que les gens interpréteraient en entendant Lounis parler de «Feuille blanche» et, comme à son habitude, il aura à éblouir son public. Comprendrons-nous que Lounis veut «tourner la page» ? C’est à ce questionnement qu’il répond dans son nouvel album, intitulé «Tawriqt Tacebhant», entendre par là : «La feuille blanche».

«Je me suis réveillé tôt le matin, décidé à écrire, la feuille blanche m’attendait», sont les trois vers qui entament le nouvel album contenant sept chansons, au lieu des huit prévues.

Durant toute une journée, ou plutôt toute une ère, cette feuille blanche, refusait de contenir, de recevoir l’encre du stylo par lequel l’humain transcrit ses pensées. Dans cette 1re chanson, ce n’est pas de n’importe quel humain qu’il s’agit, Lounis parle beaucoup plus du poète, peut-être de lui-même. Pour notre aède, la journée représente-t-elle, la période d’un album à l’autre, ou encore plus que cela. Cette journée n’est que ressentiments et sensations.

Au moment ou le désespoir vient, au moment il n’y a plus d’issue, que la rivière est sèche, c’est là où les paroles viennent abreuver cette rivière et la rendre en crue ; c’est aussi au moment ou tout être est résigné à attendre la sortie, le bout du tunnel, que l’espoir renaît, la solution vient à lui. Même si la porte n’est pas mentionnée dans ce texte de Lounis, «Tawriqt Tacebhant» y fait allusion dans le passage suivant !

J’allais sortir, résigné

La raison continuait de m’ignorer

Je me retournai, pourtant,

Pour contempler cette feuille blanche

J’y ai trouvé disposés les mots

De tout ce que je viens de décrire

Ressemblants à des hirondelles

Sur un fil perchées

La feuille blanche est enchevêtrée

Noircie par l’encre

L’hirondelle n’annonce-t-elle pas le printemps ? Telle la sortie de crise imaginée et imagée par Lounis Aït Menguellet qui dira dans cette chanson pour la clôturer : Lorsqu’ on ne sait plus que dire, le poème nous fait nous souvenir,lorsque nous nous mettons à oublier, le poème est là pour nous réveiller.

Dans la 2e chanson intitulée «Amennu$», le conflit, Lounis traite de l’individu, la famille, le pays ou tout simplement le monde. La raison de tout conflit n’est autre que la gourmandise, l’égocentrisme, le narcissisme, et ce, depuis que le monde est monde. Du conflit personnel, entre soi-même et son ego, au conflit familial et enfin mondial, l’aboutissement ne peut être autre que la fin du monde où il ne restera qu’une seule personne qui se demandera avec qui elle entrera en conflit, et ce n’est que ce jour que la paix reviendra, d’après Lounis. Dans le 1er couplet, ou la naissance du monde, donc le début du conflit, entre deux «poissons», la vie est ainsi faite, le grand dévore le petit. Mais voila que surgit son frère. Il le bouscule et le renverse, puis le dévore avant qu’il n’ait pu crier

Au second couplet, c’est l’homme lui même qui ne s’est pas reconnu devant un miroir, ne comprenant pas ni ne reconnaissant ce que le miroir lui renvoya, il promit à Dieu «le ciel», de suivre sa volonté.

Pour être en accord avec sa conscience

Et pouvoir affronter le lendemain

Il leva les yeux vers le ciel

Et lui dit: je ferai selon ta volonté.

Mais c’est ce jour là que le conflit débuta. Dans les couplets qui suivent, au nombre de cinq, le même problème resurgit cette fois entre des pays

Un pays se dressa contre un autre

Et lui dit : je veux m’agrandir

Tu me laisseras tes terres

De gré ou de force

Tu ne pourrais te défendre

Je détruirais jusqu’à tes fondations

Il me faut ta terre

Moi je saurai la bâtir.

Un conflit peut aussi paraître lorsqu’on met la charrue avant les bœufs comme dans ce 4e couplet de la chanson amenough. Aller à la recherche d’une clef avant de trouver la porte qu’elle ouvrira c’est comme chercher une solution à un problème qui n’existe pas, ou qu’on ne connaît pas. On pense au printemps, ou comment sera-t-il alors qu’on tombe transis de gel. En poète prévoyant, et extralucide Lounis, dans cette chanson, parle du narcissisme qui habite certains individus

Chacun finit par ne voir que ce qu’il a envie de voir

Entre eux la concorde est devenue trouble.

L’école est aussi citée, dans ce texte, où l’éducation qui existait dans le temps a disparu, ceci lorsque le professeur conseille mal son élève, lui demandant et ordonnant de désobéir à son père

Le père, dès qu’il ouvrait la bouche

Le fils se levait pour obéir

Mais son professeur le retint

Lui disant : repart d’où tu viens

Dis à ton insolent de père :

Les choses ne vont plus ainsi

Lorsque tu voudras m’envoyer où que ce soit

Demande moi si je suis d’accord ou pas

Avant d’arriver à la fin du monde qui pourrait être la solution &hellip,; le problème d’héritage resurgit et devient le facteur déterminant du conflit entre frères, où l’aîné exige la grande part. Lorsque ce monde se sera vidé de tout et de tous, le dernier des vivants, se retrouvera donc seul, et se demandera sur qui déverser sa haine. Dans la chanson du thème suivant, Lounis qui a pour habitude de faire parler «Amghar» (le sage), a, cette fois ci, changé de «registre», en s’adressant au «fou». Et le poète s’en est allé chargé de questions à poser au fou, pour avoir des réponses sur le comment ce dernier voit la vie. Et le fou n’est pas allé par quatre chemins en lui répondant :

Pour ce qui t’a amené

Voici mes réponses, comprends les

Prends les si tu en as besoin

Si elles ne te plaisent pas passe ton chemin

Voila comment ce pauvre fou

Voit la vie.

Ainsi le fou, lui a parlé d’un peu de tout, du temps, de l’age et de la mort pour conclure dans la chanson qui porte comme titre : «serreh i waman ad lhun» Laisse la rivière suivre son cours.

Laisse l’eau suivre son cours

Voici ce que peut t’offrir un fou

Des mots simples mais qui viennent du cœur

S’ils ne te profitent pas, ils ne peuvent te nuire

Du fou et des questionnements sur la vie, Aït Menguellet nous livre cette fois-ci, ce que «son» cœur désire, mais aussi ce que son cœur refuse et rejette, cette chanson de 12 couplets. Parmi les quelques désirs du cœur…

Ce que mon coeur désire

Partir loin au-delà du seuil

Ce que mon coeur désire

Aller d’errance en errance

Ce que mon coeur désir

Pour quelques exemples de ce que le cœur rejette et refuse, nous les trouverons dans le dernier des 12 couplets de la chanson.

Ce que mon coeur refuse

L’injustice des puissants

Ce que mon coeur refuse

Les ennuis d’où qu’ils viennent

La cinquième chanson, «Ghas ma nruh», (même si nous partons), nous plonge dans l’aller, le retour. De ce qu’on laisse derrière soit mais aussi de ce que nous trouvons à notre retour.

La chanson suivante, la 6e, est un peu un remake de ce qui a été dit dans les 5 premières, où un couplet de chacune est repris. Dans cette chanson, nous revoyons un peu le titre «tiregwa» qui ont été un résumé de presque toutes les chansons «des années d’or» de Lounis Aït Menguellet. Il n’est pas aisé ni facile de parler des poèmes de Lounis Aït Menguellet qui, à chaque album, donne du fil à retordre à ses fans. La poésie de Lounis est un régal pour tout un chacun, Lounis est une école ; à travers la poésie, ce sont des messages, des constats aussi mais surtout des prévisions qu’il nous livre.

A cette poésie, le sel familial a rajouté une beauté rare à trouver, celle des arrangements faits par son fils Djaffar. La touche de ce dernier ne laissera pas le public indifférent, bien au contraire.

La 7e et dernière chanson de cet album est une adaptation d’une chanson de Bob Dylan «Blowing in the wind», qu’il avait interprétée en 2003 à Bercy en duo avec Hugues Aufrey. Lounis l’a adaptée en kabyle sous le titre «la réponse est dans le vent» (ledjwav deg wadu).

Quant à la huitième, prévue dans cet album, une adaptation, d’une chanson d’Akli Yahiaten « Lmenfi». Yahiaten n’étant pas présent pour le duo lors de l’enregistrement, Ait Menguellet a préféré surseoir et ne pas l’inclure dans cet album.

M.AB

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