Accueil Culture Entretien Nadia Sebkhi : “Nos talents sont abandonnés”

Entretien Nadia Sebkhi : “Nos talents sont abandonnés”

4516
- PUBLICITÉ -

Nadia Sebkhi a, avec le temps, apprivoisé la science romanesque elle est aussi poète. Récemment, elle a fondé le magazine L’ IvrEscQ. Pour en savoir plus sur sa trajectoire atypique, Nous l’avons approchée.

- PUBLICITÉ -

Elle en parle…

La Dépêche de Kabylie : Les mots tiennent une place importante dans votre vie. Pourquoi un tel attachement ?

Nadia Sebkhi : Le mot est la lueur qui couve au tréfonds de l’être. Le langage oral ou écrit est un tissage de mots. Je reviens toujours à la littérature où le mot traduit l’écrit. Le langage dans la littérature est façonné de mots. En fait, c’est le mot bien choisi ou mal choisi qui définit l’inspiration de l’écrivain. Mon intérêt pour le mot est vital dans l’écriture, quand je lis un roman sans style dans lequel les mots sont mal accordés, j’abandonne et j’oublie de l’en avoir acheté. Dans mes lectures, si le commencement d’un livre ne m’entraîne pas par l’intensité et la beauté je mets de côté l’ouvrage. Je suis exigeante dans mes lectures.

Après la poésie, et le roman, comment vous est venue l’idée de création du magazine L’IvrEscQ ?

Dans mon expérience de l’écriture, j’ai commencé d’abord par le roman ensuite la poésie, c’est ce recul qui m’a permis de créer le magazine ; il y a des livres qui sortent mais le quidam algérien n’a pas trop d’informations. L’écrivain algérien de cette époque est presque paumé par ce qui lui arrive comme difficulté d’ailleurs, rares sont ceux qui continuent à écrire. Autour de moi, lorsque je rencontre des licenciés en littérature, ils me parlent encore d’Amin Malouf et Paulo Coelho, la grande hérésie, vous imaginez la faille de la littérature en Algérie. Autre lacune pesante, à présent, les éditeurs attendent à ce que le succès arrive de l’Hexagone pour recevoir ces auteurs algériens sur des tapis rouges, sachant que la ligne éditoriale de là-bas n’est pas toujours dans notre intérêt en Algérie ; en fait la création de L’IvrEscQ est à partir d’un courroux. C’est une prise de conscience venant d’une romancière-journaliste croyant profondément que le talent est chez nous, seulement, la hardiesse nous manque. Pis encore il y a des ‘’éditeurs’’ qui pensent qu’il n’y a pas de talent chez nous, et cette vision est une grande supercherie pour la littérature algérienne!

Pourquoi ce titre, L’IvrEscQ ?

Le mot Ivresse porte Livre et son adjectif livresque. Dans la composition de L’ivrEscQ, Ivresse est entremêlée dans Livre d’où la passion est indubitablement frappante ! Il faut être passionnément ivre du livre pour oser un tel pari dans une actualité littéraire orientée encore vers la facilité.

Quel est le profil du lecteur idéal ?

Nous n’avons pas de profil idéal, si j’ai bien compris votre question. Le livre passionne tout le monde conséquemment nous ciblons toutes les personnes qui ne sont pas orientés vers tel ou tel ouvrage pour le présenter dans le magazine. Actuellement, nous évitons les critiques négatives d’un ouvrage pour la simple raison que le romancier a disparu laissant place aux « historiquo-politiques » qui occupe l’espace. En cette Rentrée Littéraire à l’approche du Festival de la bande dessinée et au Salon du livre, les parutions des livres se comptent sur les bouts des doigts pendant qu’ailleurs ils parlent de 700 à 800 titres !!!!

Hormis le roman et la poésie, vous intéressez-vous à d’autres genres littéraires ?

Ma réponse est résumée dans mes précédentes réponses ! Bien évidemment, nous avons plus d’autres genres littéraires et pas assez dans le roman encore moins dans la poésie. Nos rubriques dans L’ivrEscQ, accueillent toutes les disciplines confondues.

Où en est la numérisation du livre en Algérie ? Et que pensez-vous en tant qu’écrivaine du passage du support papier au numérique ?

Il y a quelques numérisations de livres datant des siècles passés qui sont conservés à la Bibliothèque Nationale grâce à la numérisation ; l’information reste timide malgré l’exposition de juin passé qui s’est déroulée à la BN. En tant qu’écrivaine, je ne crains aucunement ce passage, au contraire, le livre a besoin du support papier et du support numérique, seulement, il faut veiller à ce que l’ONDA soit vigilante pour la protection des livres et de leurs auteurs. Je suppose qu’au point où sont les situations du livre, nous devons y remédier par des chevronnés en marketing- communication pour que nous percevions la lueur !

Peut-on avoir en avant-première, le titre et la thématique de votre prochaine publication ?

Les sanglots de Césarée est un roman dans lequel plusieurs thèmes sont abordés. A travers ce roman, Noha, mon personnage est archéologue. Elle remonte très loin dans le temps et découvre que l’Algérie était berceau des civilisations ; les empreintes de Cléopâtre Séléné Juba II, Ptolémée&hellip,; le montrent. Férue d’archéologie, elle va découvrir l’art en saisissant l’intensité de la métaphysique. Elle rayonne de foi comme si elle possède les organes de Dieu; alors que son mari Racym, officier de l’armée, exècre Dieu et ses saints. Il désespère. Des sons bouleversants rétorquent en lui par le tumulte de sa mémoire en peine. Les horloges grincent par un ciel qui se charge d’odeurs que la mort laisse en vestige. Racym alterne son amour inconditionnel pour sa femme et son obligation pour sa patrie.

Diriger un magazine littéraire c’est cohabiter avec le monde de l’édition. Comment percevez-vous le monde de l’édition et le marché du livre aujourd’hui ?

Le monde de l’édition se cherche en Algérie; le livre patine et pourtant, lors des salons du livre, le consommateur est prêt à débourser, il a ce besoin profond de consommer le livre. Selon nos enquêtes, la promotion reste encore défaillante. Aujourd’hui, ces éditeurs ont un espace pour la promotion de leur maison d’édition, pour le rôle du maillon du livre à travers L’IvrEscQ, seulement, ils sont restés dans leurs anciennes habitudes, et s’étonnent pourquoi le livre stagne. Il leur faut un travail marketing- communication pour qu’ils se réveillent de leur torpeur, car leur vision d’antan est révolue. Nous sommes le seul magazine littéraire algérien ils doivent s’appuyer sur cette aubaine et la porter….

Je vous laisse conclure…

Nous avons des talents qui risquent de ne jamais être révélés ! Nous en sommes capables, je ne donne de leçon à personnes, seulement, la perception de tous les maillons du livre à ce jour est du has been. Nous devons revoir les lacunes et mettre l’aspect pécuniaire en second plan pour nous en sortir. Car souvent on s’interroge : les professionnels du livre, sont-ils réellement amoureux de livres ? L’IvrEscQ appartient à tous les acteurs du livre et nous sommes tout ouïe pour aider le livre en dépit de la difficulté. Je m’arrête sur cet humour caustique : bizarrement, les éditeurs étrangers nous contactent plus que et les éditeurs de chez nous !

Entretien réalisé par Tarik Djerroud

- PUBLICITÉ -