Les arts du monde / Manu Dibango : Un nomade musical invétéré

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Emanuel Ndjoké Dibango dit Manu Dibango est considéré comme le plus grand et le plus original saxophoniste de son temps et père fondateur d’une musique moderne africaine mêléede blues, de salsa, de gospel de funk et de reggae.

Avec raffinement et aisance, il revient à ses premières amours qui sont le jazz ; il revisite alors le plus grand et le plus populaire de l’histoire du jazz, Sidney Bechet, ses sonorités d’instruments originaux, pour interpréter avec beaucoup d’humeur et de beauté des mots, Oignons, Les rues d’Antibes, Si tu vois ma mère et Petite fleur, dont la simplicité des vers et la superbe interprétation subjuguent et émerveillent. «Vous pouvez habiter une chanson, une chanson peut vous habiter, les paroles sont belles, c’est à vous de les faire ressentir», dit-il en réponse à la question d’un journaliste à propos de cette singulière chanson. En 2007, il compose un hommage Cousin Bechet blues. Dans l’album, Manu Dibango chante Sidney Bechet, une merveille qui fait dire à un fan : «L’album est un véritable antidépresseur inoculé par des musiciens de haut niveau».

Au croisement du jazz et de la soul

En 1949, Manu Dibango, Camerounais d’origine, découvre le jazz en France où il se rendit pour étudier. Il prend des cours de saxo et de piano, En 1956, il se rend en Belgique et est engagé comme saxophoniste dans le groupe du chanteur Joseph Kabasélé pour jouer de la musique congolaise. Mais le grand succès ne vient qu’en 1972 avec le tube très mythique Soul makossa, une musique populaire inspirée d’un rythme traditionnel makossa qui fait la gloire et la fortune du chanteur et devient une chanson incontournable aux Etats Unis. A l’occasion de Wakafrika, un album des reprises des plus grands tubes africains enregistrés en 1992 et qui paraitra dans le monde entier, le saxophoniste camerounais n’accueille en effet rien moins que le malien Salif Keita, l’ambassadeur de la musique malienne avec Emma, les Sénégalais Touré Kunda Diarab et Youssou N’ Dour sur Soul Makossa, le Nigérian King Sunny Adé Hi-Life, l’Angolais Bonga, la Béninoise Angélique Kidjo, et le Congolais Papa Wemba. Et les citoyens du monde, Sinead O’connor et Peter Gabriel. Ce bouquet musical offre au plus célèbre instrumentiste l’occasion de réunir les plus renommés musiciens du continent africain.Nourri au jazz, celui que l’on qualifie de «nomade musical invétéré» s’ouvre à tous les courants musicaux et tous les projets basés sur l’échange l’intéresse.Il travaille à la création d’un pont solide entre l’Afrique et le reste du monde ce qui lui vaut, en 2004, d’être nommé Artiste de l’Unesco pour la paix «En reconnaissance de sa contribution exceptionnelle au développement des arts, de la paix et du dialogue des cultures dans le monde», dira le directeur général de l’organisation.

Night in Zéralda

Le mélange culturel du Panaf 69 a inspiré plus d’un artiste, la preuve nous est donnée par Night in Zéralda de Manu Dibango.

Le musicien, lors d’une soirée à Zeralda, avait subjugué le public algérois. Improvisant sur son saxophone, il donne naissance à Night In Zéralda, un croisement subtil et délicieux entre le rythme maghrébin et celui d’Afrique centrale. Son retour en Algérie à l’occasion du festival panafricain de 2009, est un évènement qui marquera longtemps Constantine, Sétif et surtout Alger ; où il séjourna pendant l’été 1972 pour animer des soirées musicales aux Sables d’or à l’époque où le tourisme était encore possible en Algérie. Sadia Tabti, l’artiste peintre qui manipule avec dextérité et élégance l’art du collage se souvient de cette époque : Dans les années 1970 disons en 72, j’ai travaillé à Tipaza Matares avec Belgrine. Chose étonnante j’étais la seule à loger à l’hotel Matares. Tout le personnel aussi bien les animateurs hommes que femmes étaient dans des dortoirs, mais pas à l’hotel. Je travaillais énormément et j’étais appréciée, donc je faisais un peu ce que je voulais : j’ai commencé accueil (2jours) et ensuite Belgrine m’a mise de suite sur un poste qui me permettait de rebondir à chaque problématique. Aller chercher les touristes à l’aéroport avec navette ou bus. Déposer les touristes sur tous les sites touristiques de la côte (souvent Zéralda et Moretti jusqu’à Tipaza). Une excursion n’avait pas eu lieu, je mettais en place une autre excursion où au restaurant, au port de Tipaza… J’ai amené tous les responsables des Tours Opérateurs d’Europe faire un circuit dans le sud. Super ambiance au début costume, cravate et attache case et au retour à l’aéroport chèche et djellaba. En Algérie c’était la belle époque.

Je m’éclatais…

Au tout début de ma prise de poste je me suis occupée de toute la logistique de Manu Di Bango de son hébergement, du matériel. Beaucoup d’artistes se produisaient en Algérie à cette époque. Manu Dibango était accompagné de sa femme (qui est Belge) et de son orchestre et ils se produisaient à Zéralda. C’était un artiste complet et il aimait beaucoup l’Algérie. A la fin du spectacle, il s’amusait en chantant Chorba… couscous…couscous Chorba… il adorait notre cuisine algérienne, et il était souvent invité dans les familles algériennes. Avec un ami nous l’avions amené à Blida dîner en famille, il avait beaucoup apprécié. C’est en Algérie que Dibango a composé Soul makossa qui est devenue un succès planétaire une année plus tard, Manu Dibango, à qui on doit ce succès, a popularisé ce style musical propre au Cameroun : le Makossa. La musique makossa est issue d’une danse traditionnelle douala accompagnée de voix des chansons populaires, le kossa, avec des influences significatives de jazz, de musique latine, de high-life (genre musical typique d’Afrique de l’ouest) et de rumba zaïroise. Cette musique révélée au monde grâce à Manu Dibango qui l’a popularisée au niveau international était un générique dédié à la 8e Coupe d’Afrique des nations de football organisé en 1972, elle a inspiré le musicien américain Joshua Thompson qui en a fait un hymne de soutien à Barack Obama pour sa compagne en 2008.

Manu Dibango aligne plusieurs récompenses et les distinctions honorifiques aussi bien en France qu’aux Etats Unis et au Cameroun où il est nommé artiste du siècle en 2000. A 77 ans, celui qui a lancé le twist en Afrique, continue à enflammer les scènes du monde au grand bonheur de ses nombreux admirateurs.

Hadjira Oubachir

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