Au-delà du handicap

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Alors, si vous me parlez d’un militant infatigable de toutes les libertés existantes, j’aurais une certaine idée de votre insinuation. Encore, si vous me dites que l’intéressé est le président de l’Association des handicapés de Bouzeguène et que lui-même est un non-voyant, je réponds que ça se précise, mais quand vous me confirmez que le personnage en question est un poète qui confectionne de simples mots pour en faire un ensemble lourdement plein de sens, je n’hésiterai pas à dire que seul Aâmi Said peut rassembler toutes ces qualités. Et oui, Dda Said Ath-Amar, ou Hamoum Said, né à Bouzeguène-village, il y a quanrante-huit ans dans une modeste famille.Comme c’était le cas dans tout le pays sous le joug colonial, la paupérisation de la société a fait paraître beaucoup de maladies qui furent fatales pour les enfants. Dda Said n’échappera pas à la rougeole qui le condamna à vivre non-voyant dès l’âge de deux ans. Un handicap qui n’a pas freiné le non-voyant de «voir» le monde et ses mystères, quand on sait le sort réservé chez nous à cette tranche non négligeable dans notre société qui ne leur procure que mépris et marginalisation. Dans la vie, chacun de nous a une vocation pour laquelle il est prédestiné. Dda Said en a plusieurs, puisque au moment où il était employé au sein de l’Entreprise nationale de brosserie (montage de balais), il n’hésitait pas à rentrer dans la peau d’un syndicaliste chevronné pour défendre les moindres droits de ses camarades travailleurs. Malheureusement, la conjoncture politique de l’époque qui favorisait les licenciements massifs n’a pas laissé indemne l’entreprise de Dda Said qui se retrouve en chômage forcé, en dépit du fait qu’il devait subvenir aux besoins de sa femme et de ses quatre enfants.Mais l’homme aux multiples vocations ne baisse pas les bras. Il décide d’ouvrir une épicerie au sein du village. Comme la politesse et la rigueur ne sont pas étrangères à lui, le nouveau commerçant arrive à satisfaire les besoins de sa proche clientèle en matières de premières nécessités. Pour beaucoup de nous, Dda Said n’est ni commerçant ni un militant mais c’est beaucoup plus un homme de culture, pour l’intérêt qu’il porte au patrimoine identitaire.D’ailleurs, il est présent dans toutes les fêtes du village pour déclamer les poèmes chèrement conservés par l’artiste. «Isefra Ihenni» c’est la poèsiade du duo de Dda Said et de Akkou Amar qui représente le charme d’un mariage célébré par des troupes musicales qui deviennent bruyantes de nos jours.Pour donner du rythme à ses poèmes, Dda Said n’hésite pas à prendre sa guitare pour composer quelques chansons qui restent malheureusement sous le couvert de l’anonymat;En ce moment où le mouvement associatif reprend un peu ses droits, Dda Said, lui, prend le taureau par les cornes, en présidant l’association des handicapés et de leurs amis. Il s’implique corps et âme pour ne laisser aucune occasion de manifester le désarroi de nos handicapés face aux autorités qui devraient prendre en charge les moindres droits insatisfaits comme la canne blanche, le fauteuil roulant, les aides sociales, etc… Quand on croise sur notre chemin quelqu’un comme Dda Said, on sent que l’handicap est poussé à devenir juste un critère parmi d’autres comme le surpoids ou la tenue vestimentaire. Ce n’est pas facile d’arriver à ce stade au point de banaliser la cécité pour en faire un accessoire, mais, j’en suis sûr, que Dda Said l’a dépassé d’un cran !

Nadir MessaouiIn Echos de Bouzguène

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