Nouvelles passerelles, nouveau souffle

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Jusqu’au 18 mai, le mois du patrimoine matériel et immatériel aura suscité expositions, convoqué colloques et ateliers et braqué le regard des pouvoir publics sur la partie la moins visible de notre capital culturel et de notre matière première touristique. Un mois qui revient chaque année avec un faste plus ou moins grandiose, mais qui, visiblement, aura beaucoup de mal à ancrer pour de bon les valeurs réelles qui fondent cette partie de la culture et de l’économie algériennes.

Les cérémonies et les rituels caractérisant ces activités inscrite dans l’intervalle d’un mois, aussi élevés en couleurs soient-il et aussi généreuses que puissent être les intentions de leurs animateurs, ne peuvent jamais remplacer une véritable stratégie basée sur la culture de la permanence des actes de préservation et de promotion des produits artisanaux et du terroir ainsi que sur la protection et la viabilisation des sites naturels et historiques.

Plus qu’un prestige à faire valoir ou une gloriole à en tirer, la politique de la promotion des symboles culturels, des sites naturels et des produits du terroir équivaut à une entreprise de défense et de pérennisation de la mémoire collective, outre qu’elle sert à asseoir une matière première précieuse pour le secteur touristique. Loin de l’exotisme de pacotille, le patrimoine naturel et culturel peut et doit servir la cause du tourisme dans notre pays non seulement pour renforcer et diversifier les recettes financières du pays, mais aussi pour établir des passerelles culturelles avec les autres peuples du monde.

C’est un fait établi que le tourisme est une activité nourrie en premier lieu par une cette matière première qui a pour noms : sites naturels (plages, montagnes, grottes, gouffres, forêts, dunes de sable, stations thermales,…), lieux de culture et de mémoire (musées, sites archéologiques, vieil habitat), produits du terroir et artisanat (produits alimentaires fabriqués localement, préparation culinaire spécifique à une région, costumes traditionnels, tapis, vannerie, dinanderie, sparterie,…). Sur ce plan, notre pays accuse un immense retard pour mettre en valeur ces lieux et ces produits, les rendre accessibles par l’installation des routes, de l’énergie et d’autres équipements spécifiques, et préserver l’équilibre et l’harmonie de l’environnement qui font l’authenticité et l’originalité de ces objets porteurs d’un potentiel touristique indéniable. Il s’agit, en effet, de réveiller et de revaloriser une activité qui peine à s’insérer dans l’ossature et le corps économique du pays.

Si les touristes se déplacent ou ont l’intention de se déplacer dans un point quelconque du territoire national, c’est pour voir, admirer, connaître, apprécier un site naturel, historique, urbanistique ou culturel. C’est là le terrain primaire, le trésor immarcescible, l’appel envoûtant par lesquels le tourisme commence son activité.

Pour n’avoir pas bien pris en charge un certain nombre de sites historiques, des produits et des pièces y ont été volés par de faux touristes activant dans le domaine du commerce illégale de la mémoire des peuples.

Un patrimoine précieux et…fragile

Suite à un constat alarmant fait par les services de sécurité et la presse nationale en 2008, Mme la ministre de la culture avait annoncé dans la foulée, un plan d’urgence pour le renforcement de la protection du patrimoine culturel et de la lutte contre toutes formes d’atteinte aux bien culturels ou de tentatives de trafic de ces biens. Les informations sur les vols, la destruction et le trafic des biens culturels matériels (pièces de musée, tableaux de peinture, peintures rupestres,…) qui va jusqu’à l’exportation illégale vers les pays voisins ou vers l’Europe ne cessent de se multiplier et d’inquiéter l’élite éclairée du pays. Le membre du gouvernement a essayé de sensibiliser l’opinion et surtout les autres partenaires de l’administration (services de sécurités, municipalités, wilayas,…) pour apporter leur part de contribution à la protection des pans entiers de la mémoire du peuple algérien et de ses valeurs culturelles ancestrales.

Dans un domaine aussi sensible de la vie de la collectivité nationale, où la symbolique et le poids de l’Histoire jouent un rôle prépondérant, la sensibilisation permanente et à tous les niveaux des institutions du pays demeure incontestablement la meilleure arme pour protéger et promouvoir ce précieux legs de l’histoire nationale millénaire.

Comme a eu à le présenter à différentes occasions le ministère du Tourisme, les maillons de la chaîne touristique peuvent ainsi se présenter- sans grande exhaustivité- selon trois segments solidaires qui se complètent : potentialités naturelles ou liées à l’histoire et à la culture d’une nation (qui exigent entretiens, réhabilitation et accompagnement logistique) , les structures d’accueil (hôtellerie, instance chargées des circuits touristiques) et l’environnement économique qui conditionne les nouveaux investissements liés au secteur. L’absence ou la mauvaise prise en charge de l’un d’eux déteint immanquablement sur le reste et compromet l’ensemble de l’activité.

L’Algérie abrite une matière première brute ou façonnée par les hommes qui s’étale sur l’ensemble du territoire national et qui couvre l’ensemble du cours de l’histoire des générations qui sont passées par là. Le pays ne manque pas de sites naturels auxquels son relief, sa végétation et son climat ont donné des caractéristiques que beaucoup de pays ne possèdent pas dans leur concomitance. Des 1200 km de côtes jusqu’aux contrées de Tanezerouft, toute une série de lieux exceptionnels attiraient jadis des centaines de milliers de touristes européens.

Depuis les dernières transformation géologiques subies par la terre au quaternaire, la nature a aussi doté l’Algérie de plusieurs dizaines de sources thermales réparties sur l’ensemble de son territoire. Les vertus thérapeutiques de ces eaux ont été mises à l’épreuve au fur et à mesure que s’accroissait l’intérêt récréatif et ludique pour ces sources. De même, des preuves matérielles existent sur les aménagements que ces sources ont reçus depuis la, plus haute antiquité. Les Romains et les Byzantins y ont apporté leur touche selon les schémas des thermes de la péninsule italienne et de Byzance. Les Turcs ont développé en Algérie l’art des hammams au point d’en faire une véritable culture. Des reproductions artificielles ont été effectuées pour rapprocher les thermes des citadins et surtout des citadines.

Tout autour des sources thermales naturelles, des noyaux de vie se sont développés afin d’assurer le gîte et le couvert pour les visiteurs et les baigneurs. C’est, en quelque sorte, le début de l’ ‘’industrie touristique’’ que l’on retrouve dans certaines villes algériennes. Au cours des années 1970, l’État a pu intervenir sur certains sites pour les valoriser au vu des flux de visiteurs qu’ils reçoivent.

Projections aux horizons 2020

Au-delà de ces sites pris en charge de façon plus ou moins correcte, d’autres sites et non des moindres continuent à coltiner un destin peu enviable, réduits qu’ils sont à une situation de source sauvage que seuls les riverains connaissent, admirent et parfois mythifient. Elles sont censées, dans le cadre du redéploiement du secteur touristique, jouer un rôle de plus en plus important avec les travaux d’aménagement dont elles commencent à bénéficier.

En 2009, se sont tenues les assises nationales de l’artisanat. Ce secteur ne cesse d’attirer l’attention des pouvoirs publics à travers la politique des petites et moyennes entreprises censées conduire et faire converger les efforts des différents acteurs agissant dans ce domaine, et particulièrement les artisans eux-mêmes qui, jusqu’à un passé récent, étaient les laissés-pour-compte de la relance économique basée essentiellement sur les grandes infrastructures et la stratégie industrielle.

Le ministère Petite et moyenne entreprise et de l’Artisanat, à l’occasion de ces assises, avait exposé de façon à rendre visibles les objectifs du plan de développement de ce secteur aux horizons 2020. A cette échéance, soutient l’ancien ministre chargé du secteur, Mustapha Benbada, la production du secteur de l’artisanat atteindra un montant de 334 milliards de dinars alors que dans la phase actuelle cette production ne dépasse pas les 136 milliards de dinars. En matière d’emplois, le secteur de l’artisanat ambitionne de créer un million d’emploi à l’horizon 2020.

Cinq ateliers seront organisés à l’occasion de ces assises qui seront chargés de revoir l’organigramme du secteur et d’assurer la coordination de tous les autres secteurs qui interviennent dans le domaine de l’artisanat. Ces ateliers sont aussi appelés à travailler sur les thématiques de l’intégration économique de ce secteur, de la conception des programmes de formation idoines, de la promotion de la qualité des produits et du crucial problème du financement. Ce dernier devra être, selon Benbada, proposé à d’autres alternatives vu les réticences des banques à financer les ateliers artisanaux. Le nombre d’artisans détenteurs d’un registre de commerce est actuellement de 162 000. En 2002, il était estimé à 72 000 selon le ministre de tutelle. De même, la nomenclature des activités artisanales est passée de 244 métiers à 339 métiers.

L’année dernière, les présidents des chambres de l’artisanat et des métiers au niveau national ont présenté un ensemble de propositions pour le ministère de l’Artisanat et de la Petite et moyenne entreprise pour donner corps à la stratégie nationale conçue pour ce secteur à partir de 2010 jusqu’aux horizons 2025. A cette occasion, le président de la Chambre nationale de l’artisanat et des métiers, M.Messaoud Zaïd, a soutenu que ce secteur- dans le cas où des conditions matérielles, réglementaires et administratives lui sont garanties- pourra, à terme, générer quelque deux millions de postes d’emploi. À la tête de ces conditions administrative, le responsable de la Chambre nationale de l’artisanat, cite des décisions politiques qui devraient émaner de la présidence de la République.

Les problèmes auxquels est confronté ce secteur de l’économie sont connus à peu près de tous les acteurs qui y interviennent et sont inventoriés comme étant de véritables freins à la véritable promotion de l’artisanat. La cherté de la matière première, à commencer par l’or et le cuivre, constitue un handicap majeur. En suite, il a été fait état du poids de la fiscalité et des tarifs douaniers qui grèvent de leur poids l’essor du secteur. Cela se répercute directement sur le coût de production et sur la commercialisation qui n’arrive pas encore à se frayer un chemin d’autant plus que, autre épine sur cette voie, le commerce informel pour ces produits est aujourd’hui florissant.

Dans la foulée de ses explications, M.Messaoud Zaïd propose la restructuration du Fonds national de l’artisanat et la révision de son mode de gestion pour en faire un fonds de soutien et de crédit. Dans le même sillage, il demande à ce que soit crée un ‘’pôle touristique’’ propre au secteur de l’artisanat dans chaque wilaya.

Retards préjudiciables

À l’occasion de la mise sur la table de tous les problèmes dont souffre le secteur, il a été aussi revendiqué une action d’information et de marketing de la part de nos représentations diplomatiques à l’étranger de façon à faire connaître et à promouvoir le produit du terroir algérien et son fabricant. C’est l’une des conditions essentielles pour pouvoir pénétrer les autres marchés du monde marqués par une féroce compétition commerciale.

Le secteur de l’artisanat dans notre pays a tardé à se mettre au diapason des autres activités économiques. C’est pourquoi, les circuits administratifs, bancaires et commerciaux ne sont pas encore bien huilés pour s’ouvrir d’une façon franche à ce genre d’activité.

Dans sa relation quotidienne avec l’administration, la corporation des artisans est, le moins que l’on puisse dire, insatisfaite. Ses membres jugent qu’il y a encore trop de bureaucratie. Ils font état de la non prise en considération par l’administration des propositions et recommandations du conseil national des Chambres d’artisanat et des métiers.

Cependant, le secteur de l’artisanat a fait une heureuse ‘’incursion’’ dans le domaine du développement rural par le truchement des projets de proximité de développement rural intégré pilotés par le ministère de l’Agriculture. Dans ce cadre, des projets de proximité sont initiés sur la base de ce qui est appelé ‘’thème fédérateur’’ dont l’un des axes est ‘’les produits du terroir’’. Ces derniers s’égrènent sur une gamme fort variée allant des métiers les plus connus comme la tapisserie, la poterie et le tissage jusqu’à la vannerie, la sparterie, l’ébénisterie, la pierre taillée,…etc.

Avec la phase de la libéralisation du commerce extérieur et de l’accroissement des recettes pétrolières, de nouveaux filons-qui ne représentent pas des cas d’urgence ou d’extrême nécessité- ont été investis par les importateurs. Sur ce point précis, l’économie nationale ne s’est pas encore totalement remise des errements qui ont valu l’asphyxie de plusieurs métiers par la faute d’importations inconsidérées d’objets traditionnellement fabriqués ou produits chez nous. L’Accord d’association avec l’Union européenne et la future accession de l’Algérie à l’OMC ne sont pas faits pour aider à la réhabilitation des anciens métiers ruraux ou populaires qui font partie de l’identité algérienne et qui représentaient naguère une véritable richesse nationale.

Le recul incessant de l’activité artisanale en Algérie a atteint un seuil effarant au point où des dizaines de métiers et des centaines de milliers d’emplois ont été perdus en l’espace de quarante années. C’est, du même coup, des pans entiers de la mémoire et de la culture nationales qui sont effacés ou escamotés par une ‘’modernité’’ limitée à la seule ‘’vertu’’ de l’importation permise par la rente pétrolière. Des produits artisanaux chinois ou de contrées moins connues garnissent depuis plus de dix ans les magasins les plus reculés du pays. Impuissants devant un tel déferlement, ceux qui restent parmi les anciens artisans algériens n’ont apparemment de choix que de se tourner vers une autre activité qui rapporterait mieux.

Nos marchés, en ville ou à la campagne, regorgent de gadgets et autres joujoux décoratifs provenant de l’étranger. Il y a nécessairement ici matière à interrogations comme celle qui consiste à chercher pourquoi et comment des pays étrangers ont pu ‘’imposer’’ leurs marchandise chez nous. Ou bien encore : est-il normal qu’il n’y ait presque rien d’algérien qui puisse être exhibé commercialisé et exporté dans le domaine de l’artisanat et du savoir-faire ancestral ? Sommes-nous démunis et perclus au point où nous sommes réduits –système rentier aidant- à de simples et dociles consommateurs de produits étrangers y compris dans le domaine de l’artisanat ? Il ne s’agit pas ici, loin s’en faut, de faire le procès de pièces culturelles venant de pays de grande civilisation, comme la Chine , ni d’incriminer l’esprit commercial qui anime leurs producteurs.

Une inestimable plus-value économique

Au contraire, c’est en estimant à sa juste valeur l’effort de création des peuples concernés, le système économique qui a permis ce genre de réussite et la culture ancestrale qui en constitue le substratum, que l’on ne peut que déplorer l’état dans lequel se trouve actuellement l’un des secteurs les plus symboliquement chargés de l’âme et de la personnalité algériennes, outre le fait qu’il est censé faire partie d’une des branches essentielles de l’économie.

Les louables et fragiles initiatives de quelques fabricants ou associations pour mettre à la disposition du public, ou à exposer dans certaines manifestations culturelles, les produits du terroir devraient interpeller les pouvoirs publics et tous les acteurs économiques sur les retards et les problèmes objectifs d’un secteur qui, partout dans le monde, est considéré comme le pendant naturel de l’activité touristique et l’expression matérielle de l’âme de la communauté.

Il est en tout cas incontestable que le premier mérite du maintien de ces activités- avec d’autres métiers connus ou modestement répandus sur le territoire national- et de la tenace volonté de les préserver et de les promouvoir, revient en premier lieu aux détenteurs du message ancestral, aux porteurs de valeurs sûres et immarcescibles de la culture de nos aïeux, aux mains magiques et pleines de dextérité. Ces hommes et ces femmes, même s’ils sont organisés dans les chambres d’artisanat et des métiers, n’ont réellement attendu aucune ‘’instruction’’ pour tisser le tapis et le burnous, mouler l’argent pour fabriquer fibules et broches ou bien encore malaxer la glaise pour en sortir amphores et écuelles.

Ce segment important, situé à la confluence de la culture et de l’économie, est censé être pris en charge par plusieurs départements ministériels à la fois : Tourisme, Agriculture, Culture, PME/PMI, direction de l’Action sociale, Intérieur,…etc.

Pour s’arrêter singulièrement sur le secteur touristique, celui-ci se trouve dans une période cruciale du développement du pays où il est sollicité pour participer à la diversification des recettes budgétaire et mettre fin au stress de la mono-exportation en hydrocarbures qui étrangle le pays par l’épée de Damoclès qu’elle fait suspendre sur l’avenir immédiat et lointain de notre économie. À l’image de l’agriculture qui est considérée comme richesse permanente pour laquelle il y a lieu de tracer une stratégie et de mobiliser les moyens de développement pour en cueillir les fruits, l’activité touristique, telle que comprise par les pays dépourvus de ressources minières, est un secteur fécond de la richesse des sites et paysages du pays ainsi que de sa culture et de son artisanat. De ce fait, il devrait être considéré comme une ressource permanente qui ne demande que l’attention et l’intérêt des pouvoirs publics et du monde associatif.

La création d’emplois que projettent le ministère du Tourisme et de l’Artisanat et la Chambre de l’artisanat et des métiers ne risque pas d’être une réalité virtuelle si toute l’attention, que requiert ce secteur lui est accordée par les pouvoirs publics et les acteurs sur le terrain. Situé à mi-chemin entre les secteurs du tourisme, de la culture et du monde de l’entreprise, l’artisanat est censé apporter une plus-value économique inestimable, jouer un rôle fondamental dans la valorisation et la réhabilitation de nos valeurs culturelles et servir d’ambassadeur de la culture algérienne dans le monde.

Amar Naït Messaoud

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