Accueil Culture «C’est un appel à l’aide des oubliés de l’Histoire»

SADIA TABTI, auteur-illustratrice, parle de son dernier livre : «C’est un appel à l’aide des oubliés de l’Histoire»

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Sadia Tabti, auteure-illustratrice, est née à Alger de mère française et de père kabyle et vit actuellement en France. Son dernier livre Comme Un commUne est un regard croisé sur la condition des déportés de l’insurrection de 1871 et des communards (révolte à Paris contre l’esclavage salarial en 1870).

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La Dépêche de Kabylie : Quel est le sujet du livre et comment a-t-il germé ?

Sadia Tabti : C’est le regard croisé de deux enfants qui font un parallèle entre deux évènements simultanés vécus par leurs deux pays. Au fil des pages, on découvre un appel à l’aide des oubliés de l’Histoire. J’ai eu l’idée de ce livre suite à diverses rencontres avec des descendants d’insurgés. J’ai par ailleurs lu différents ouvrages portant sur l’insurrection de 1871, ainsi que des films qui m’ont interpellée, notamment la série documentaire « Les témoins de la mémoire ».

Il était devenu impensable pour moi de ne pas raconter l’histoire de ces insurgés qui ont sacrifié leur vie pour la paix et la justice. Les insurgés algériens contre le colonialisme et les communards français contre l’esclavage salarial. L’insurrection des algériens a duré un an et demi et celle des communards un mois et demi. Les Communards et les Algériens se rencontrent au Fort Lamalgue à Toulon, puis se retrouvent à l’Ile des Pins (Nouvelle Calédonie). Aziz Haddad est décédé dans les bras du communard, son ami, Eugène Mourot en face du mur des fusillés (Père Lachaise).

L’amnistie de 1880 fut proclamée en faveur des déportés communards. Quinze années plus tard, en 1895, fut proclamé l’amnistie générale. A leur retour Louise Michel, Henri Rochefort et Jean Allemane ont défendu la cause des Algériens et leurs conditions de détention en mettant en place le premier mouvement associatif de France pour leur libération.

Qu’est-ce qui causa l’insurrection de 1871 et quelles furent ses conséquences sur l’Algérie, notamment la Kabylie ?

Différentes causes ont déclenché l’insurrection de 1871. D’abord, les trois années de sécheresse, l’année des criquets, l’année de la faim (aâm echar) avec un tremblement de terre en 1867. Ensuite vint le choléra qui frappa durement les villages et surtout les habitations éloignées. Puis, en 1870 la France était en guerre contre la Prusse. Suite à la défaite de la France, Napoléon III fut capturé à Sedan. Deux jours après, la IIIème république fut proclamée.

C’est ainsi que la France perdit l’Alsace et une partie de la Lorraine. Cette grande pagaille a fait douter les Algériens de la suprématie de la France. Ensuite, les troupes algériennes mobilisées, tirailleurs zouaves et spahis, furent durement éprouvées, ce qui déclencha une rébellion des spahis qui refusèrent de partir sur le front, car ils étaient en première ligne. Le Ministre de la Justice, Adolphe Crémieux, promulgua un décret, le 24 octobre 1870, accordant aux seuls juifs d’Algérie la nationalité Française.

En 1871 parurent, en Algérie, les «permis d’occupation». Il est évident que tous ces faits en Algérie ont déclenché une révolte. El Mokrani[i], à la tête d’une armée de 8 000 à 10 000 hommes, donna le signal de l’insurrection. C’était le 16 mars 1871 et le 8 Avril 1871, Cheikh El Haddad, accompagné de ses deux fils Mohamed et Aziz, fit une proclamation au marché de Seddouk.

L’armée française contre-attaqua et c’est l’amiral Gueydon qui fut chargé d’écraser la révolte. L’insurrection s’étendit sur une grande partie du territoire algérien, elle dura un an. La répression fut très sévère, il y eut beaucoup de sanctions. Toute la population fut prise pour cible. Tout d’abord des milliers d’algériens furent tués, des villages entiers rasés et des récoltes brulées. Des Tribunaux « Conseil de Guerre » sont mis en place à Alger, Constantine et Oran. Tous les grands chefs furent arrêtés et transférés dans les prisons en attendant d’être jugés. Eh bien plus de 500 000 hectares ont été confisqués. Des biens ont été mis sous séquestre.

Des familles entières furent expulsées et éparpillées dans d’autres régions. Évidemment suite à ces spoliations, beaucoup durent s’exiler. Quelques autochtones furent enrôlés de force pour la campagne de Madagascar. La Kabylie a dû payer un tribut de guerre de trente six millions de francs. Plus de trois mille déportés algériens furent parqués, dans des dépôts de transit, plus de trois ans et d’autres plusieurs mois avec peu de nourriture dû à leur religion.

Avec une hygiène épouvantable en attendant leur déportation en Nouvelle-Calédonie. La traversée fut longue de cinq mois et mi-octobre commença le ramadan. Certains n’arriveront jamais à destination suite à des maladies telles la phtisie, le scorbut, la gangrène.

Quelles étaient les conditions des déportations ?

Les déportés simples, insurgés kabyles, arrivèrent à l’Ile des Pins et quelques mois plus tard ils allèrent au camp des Arabes de la presqu’ile de Ducos. Ils étaient exilés malgré eux en Calédonie et devenaient à leur tour des colonisateurs. Ils étaient « chapeau de paille » et bicot.

On les appelait « les arabes ». Lors de ce débarquement forcé, rien ne fut prévu pour les recevoir. On les installa sous des tentes et plus tard ils construisirent leurs paillottes. Ils tentaient de survivre aux sauterelles, aux maladies, aux inondations et sécheresse. Les conditions de détention furent terribles: humiliations quotidiennes. Les transportés, les plus nombreux, étaient condamnés pour des crimes de droit commun jugés en cours d’assises ou en conseils de guerre subissant une peine de travaux forcés.

Les condamnés de plus de 8 ans étaient en résidence perpétuelle, un aller sans retour et ceux de moins de 8 ans en résidence obligatoire égale à la durée de la peine. Les algériens étaient les seuls déportés à ne pas faire venir leur famille et aucune femme condamnée algérienne n’a été envoyée en Algérie. Pour réinsérer et peupler la colonie, le gouvernement français fit venir des femmes condamnées françaises ou océanienne. Elles sont hébergées dans un couvent tenu par les Sœurs jusqu’à leur mariage.

Quelle fut l’attitude des premières générations en Nouvelle Calédonie, leurs rapports avec les Kayaks et leurs revendications ?

Beaucoup d’humiliation et de mépris mais toujours cette fierté. Au fil du temps il y eu un enracinement avec des mariages mixtes, femmes condamnés ou filles de condamnés. Attribution de concession rurale ou urbaine, pour bonne conduite. Ils pourront la cultiver pour leur propre compte. Ils pensèrent retourner dans leur pays, mais hélas la majorité des « insurgés arabes » sont décédés en Nouvelle Calédonie.

De nombreuses correspondances administratives ont été effectuées auprès du gouverneur, Ministre des Colonies afin d’obtenir des remises de peine. Évidemment l’installation de concessionnaires nécessitera plus de terres au détriment des Kanak, ce qui déclencha l’insurrection kanak en 1878. Mort du grand chef Atal. Une cinquantaine d’insurgés « Arabes Mokrani, prirent part au combat du côté des troupes françaises. Six transportés furent victimes de l’insurrection de 1878.

La France avait promis la grâce à Mokrani, mais elle ne tiendra pas sa promesse. D’ailleurs lors de l’Amnistie Général, Mokrani se voit refuser son retour jusqu’en 1904. La France craignant qu’il réclame la restitution des biens et surtout un soulèvement en kabylie. Seule une poignée d’insurgés retournera en Algérie et Aziz Haddad s’évadera en bateau à vapeur en Égypte – Arabie Saoudite, à force d’attendre l’amnistie générale.

Qu’en est-il des rapports des nouvelles générations avec l’Algérie ?

La transmission est faite par la mère, donc il y a perte de langue et de religion. Il aura fallu attendre quatre générations pour pouvoir s’exprimer et dire sa fierté d’être Algérien. Des associations se sont créées dans les années soixante afin de préserver les traditions, de se faire reconnaître. Il y a eu plusieurs voyages de descendants de déportés « arabes » au pays de leurs ancêtres. Beaucoup de descendants ne connaissaient pas leur propre histoire.

Il y a eu des non-dits sur les origines pénales. Vingt ans de recherche par Seddik Touati et Mehdi Lallaoui ont permis de mettre bout à bout l’histoire des insurgés « Arabes ». Il en est sorti une série documentaire « Les témoins de la mémoire » de Saîd Oulmi et Fatiha Si Youcef qui a symboliquement réhabilité les vieux Algériens et les enfants des chapeaux de paille.

Entretien réalisé par Mohand Ibersiene

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