«La situation exige plus de production de qualité»

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C’est à Tizi Gheniff, une région dévastée par le colonialisme, qu’est né et a grandi l’artiste Ali Belhot. Dans cet entretien, le chanteur-écrivain relate quelques facettes cachées de son parcours atypique de militant de la cause amazighe et évoque, par la même occasion, ses projets.

La Dépêche de Kabylie : Voulez-vous vous présenter à la jeune génération qui ne vous connaît peut-être pas ?

Ali Belhot : Mon itinéraire est circonscrit essentiellement dans le combat identitaire. En effet, adolescent, j’ai choisi la chanson engagée pour exprimer ma soif de liberté, de démocratie et mon refus du déni identitaire. Conscient de l’importance de l’école pour l’avancée de la cause, j’abandonne mon travail de banquier et rejoins le groupe qui a lancé tamazirt dans le système éducatif. Enseignant militant, je surmonte toutes les difficultés rencontrées sur le terrain et m’adonne durant 10 années à la formation et la conscientisation de toute une génération.

Par la suite, vous avez démissionné de l’enseignement. Peut-on en connaître les raisons ?

Malheureusement, après avoir compris l’efficacité et le professionnalisme avec lesquels on agit, les tenants du pouvoir de l’époque décident de m’injecter dans un autre corps de l’enseignement. Chose que j’ai refusée. J’ai alors démissionné par la suite. Après cela, je m’engage corps et âme dans la lutte politique et le travail associatif, en dispensant des cours de tamazirt dans plusieurs associations culturelles. Arrêté et emprisonné, lors des événements du Printemps noir de 2001, je subis depuis une sorte de marginalisation pour avoir refusé toutes les offres qui m’ont été faites.

Parlez-nous maintenant de votre parcours artistique…

J’ai grandi dans une famille où l’empreinte artistique existait déjà, et ce grâce à l’apport de mes deux oncles. L’un jouait à la flûte et l’autre à la guitare. C’est grâce à eux que je me suis mis dans le bain musical et c’est en les fréquentant que j’ai pris conscience des évènements culturels et politiques dans lesquels, souvent, les membres dudit groupe se débâtaient. Par ailleurs, les premiers vers que j’ai composés ont été dédiés à la reine Kahina. Comme tous les amateurs, à cette époque-là, je me suis donné un pseudonyme «Qesrayen» que j’ai gardé durant des années, avant de reprendre mon véritable nom. En 1988/1989, j’ai fait un passage dans l’émission «Les chanteurs de demain», animée par Medjahed Hamid, en interprétant avec succès une chanson intitulée «Ttnarfa n yir». J’ai été alors retenu parmi les sélectionnés à enregistrer à la fin de l’année dans les studios de la Chaîne II. Malheureusement, cette émission fut interrompue avant l’échéance, ce qui a nourri en moi l’idée d’enregistrer un album «Irezran remlan, ise i t-yedmen d’asif», composé de 8 chansons, chez un éditeur particulier à TiziOuzou. Cet album fut plagié plus tard par l’un de mes amis, à Paris, en 1992. Chose qui m’a brisée. Mais j’ai rebondi avec un deuxième album, en 1995, «Ay ilmezyen», suivi d’un troisième, en 1997, « Ur iyi-ttarra». «Nekkini mačči d arrab» est, quant à lui, sorti en 2001, et ce n’est qu’en 2006 que je récidive avec mon 5e album intitulé «Ccfawat ». Il m’a fallu dix années pour revenir avec mon dernier album «Tuzzma d tujjma». Chanter la misère des petites gens, le génie populaire, la liberté, dénoncer l’opportunisme sont mes thèmes de prédilection. De ce fait, je possède 6 albums comprenant environ 45 chansons, dont la majorité est composée de textes engagés, sans occulter les sujets d’ordres social, culturel et sentimental. Même si je produis peu, je suis présent sur la scène artistique à travers les spectacles ainsi que les fêtes de mariage qui m’ont permis de sillonner la Kabylie de bout en bout, sans omettre mes passages dans plusieurs émissions, à la Chaîne II 2 et Radio Soummam, qui diffusent beaucoup de mes chansons. Pour moi, la chanson s’inscrit dans le cadre de l’éveil identitaire, connu et tracé par les valeureux Azem, Moh Saïd Oubelaid, Far id Ali et El Hasnaoui… Et il est important de la perpétuer, malgré la difficulté de la situation depuis les années 2000 avec l’avènement du CD et des téléchargements à bas prix.

En parallèle à la chanson, vous vous êtes engagé dans le domaine de l’écriture avec la sortie prochaine de votre premier roman «Ajeǧǧig n ugudu» (Les roses au pied du bousier)…

Toujours déterminé et soucieux d’élever le niveau de mon action, je passe à une autre forme de lutte qui est l’écriture. Dans ce contexte, je publie, prochainement, le premier tome d’une trilogie titrée «Les roses au pied du bousier». Cela s’inscrit dans la logique de mon parcours. Une complémentarité parfaite qui se distingue par les sujets abordés, qui tous convergent et prennent dimension de la cause amazighe sous ses diverses formes. Il est du devoir de chacun de nous de fournir un effort pour la protection et la promotion de tout ce qui a trait à notre patrimoine. C’est un devoir de s’y mettre pour enrichir le paysage littéraire qui souffre énormément de production. Cette idée de repeindre ceux qui ont emboité le pas aux Belaid Aït Ali, Mammeri, aux Amrouche, Mezdad, Alliche, Bouamara… m’est venue en tête alors que j’étais enseignant de tamazit. Nous avons constaté un manque flagrant de supports pédagogiques. Il est aussi important de préciser que dans l’oeuvre entamée, j’ai mis en valeur des instruments de langue spécifiques à ma region. L’idées de ter r ains non encore défrichés sont souhaitables à la recherche et apporteront sûrement un peu plus d’enrichissement sur le plan lexical, ce qui nous évitera la néologie abusive et permettra la valorisation des compétences et du patrimoine de divers horizons.

Vous pensez avoir tout dit ?

Oui et non. Mais j’aimerais bien appuyer le fait qu’assumer sa «Kabylité» est une condition sine qua none pour tout un chacun. Fini le temps des slogans, des opportunismes. La situation exige plus de production, de qualité et de la perfection, aussi bien sur le plan artistique que littéraire. Joindre les deux bouts est certes un travail de titan, mais ça vaut bien le sacrifice pour ne pas décevoir ceux qui nous ont légué cette lourde tâche qui est, au final, synonyme d’honneur à celui ou à tous ceux dont le nom sera inscrit dans les annales de l’histoire.

Entretien réalisé par H Moula

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