Plaidoyer pour une approche scientifique

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Les participants au Colloque international, qui s’est achevé avant-hier au niveau de l’auditorium de l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, ont amorcé une nouvelle connaissance de la chanson kabyle et berbère. Réparti en séances plénières et ateliers, où plusieurs enseignants et chercheurs ont débattu de la problématique relative à la quête identitaire et revendicative permanente de la chanson amazighe en général, ce rendez-vous s’est clôturé par l’annonce de plusieurs recommandations, entre autres : «Faire de la chanson kabyle et berbère une entreprise et un projet scientifique dans lesquels les chercheurs nationaux et internationaux seront intégrés pour faire avancer ce genre littéraire dans la culture et la réflexion scientifique».

En ce qui concerne les communications présentées au deuxième jour de ce colloque, on notera l’intervention du Dr Allaoua Rabehi sur la poésie féminine, intitulée «Y a-t-il des caractères spécifiques à la poésie dite féminine en Kabylie». En débattant des productions «féminines», l’universitaire s’est intéressé aux problèmes relatifs à l’attribution des œuvres, en examinant à travers un échantillon, les thématiques, les aspects linguistiques et stylistiques de ces poésies. «Même si des documents anciens ne mentionnent que quatre femmes, dont trois poétesses, on ne trouve que le nom de Yemma Xlija Tukrift, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres poétesses d’expression kabyle.

Au contraire, à voir le nombre de poétesses dont font état les diverses recherches récentes effectuées dans les départements universitaires, à voir la pléthore de poétesses-chanteuses contemporaines… on est tentés d’émettre l’hypothèse du défaut de l’égalité des chances tout au long de l’histoire des sociétés», fait-il remarquer. En évoquant quelques caractéristiques de cette poésie, notamment les thématiques, la versification, la langue, le niveau morphosyntaxique et le niveau lexico-sémantique, l’orateur confirme que «la veine de la poésie orale féminine existe bel et bien». Les différents recueils le démontrent, ainsi que le veut la réception, qui l’attribue volontiers à des poétesses célèbres ou non. Cette poésie, orale, ancienne ou contemporaine, publique ou privée, édifiante ou lyrique est l’œuvre de l’homme comme de la femme. «Car, comme le souligne Tassadit Yacine, la femme est associée non seulement au travail matériel physique mais aussi à la production culturelle».

Et de conclure : «Au vu des exemples et contre-exemples ici examinés, les poésies dites féminines sont d’une grande diversité sur tous les plans (thématiques, prosodique, linguistique) ; il ne resterait alors, en l’état actuel de nos connaissances, qu’à croire sur parole les acteurs eux-mêmes ou, à défaut, les ‘’transmetteurs’’ et la réception de manière plus générale».

La chanson amazighe dans la littérature maghrébine d’expression française

Pour sa part, le Marocain Dr Zahir Mohamed situe sa communication intitulée «La chanson amazighe dans la littérature maghrébine d’expression française» à la lisère du littéraire et du musical, en essayant d’appréhender la représentation et l’insertion de la chanson amazighe dans les textes de certains écrivains maghrébins d’expression française, comme Mammeri, Chraibi, Kair-Eddine, Djaout etc. «La chanson amazighe, de par son rayonnement, son potentiel mobilisateur, incitateur, catalyseur, instigateur et exhortateur, eu égard à sa dimension testimoniale et documentaire en tant que réceptacle qui recueille la mémoire collective et l’expérience historique des peuples maghrébins, structure profondément notre être culturel.

Elle signifie les conditions matérielles d’existence des masses populaires, leurs aspirations profondes et charrie leurs croyances religieuses et mythologiques, leurs coutumes, leurs us et tout ce qui constitue le fondement de leur conscience collective», faisait-il remarquer. Pour étayer ses propos, l’orateur prend comme exemple le roman «L’Opium et le bâton» de Mouloud Mammeri. «Dans l’univers fictionnel du roman ‘’L’Opium et le Bâton’’ de Mammeri, marqué par la violence de la répression coloniale, la musique amazighe renvoie à un ancrage terrien, viscéral et organique avec la terre nourricière.

Ainsi, quand le héros Bachir a été invité à danser avec sa fiancée, Claude, le narrateur a décri dans un discours elliptique et allusif sa prédilection pour les musiques à ancrage organique, moins classiques moins structurées, moins cérébrales et plus dionysiaque». Et d’enchaîner à titre comparatif avec son pays : «Ces références pastorales et champêtres, nous allons les retrouver plus loin suite à la retraite paisible de Bachir au Moyen Atlas au Maroc, lieu d’une grande tradition musicale où l’Izli représente un genre très prégnant. L’inscription intertextuelle de l’Izli dans le texte, assortie d’un champ métaphorique de limpidité, de clarté et de pureté, exprime ce lyrisme de la vie et ruine la dichotomie culture/nature.

L’Izli chanté par Itto, et qui revient en leitmotive dans le roman de Mammeri, représente le réceptacle qui recueille et consigne l’expérience historique du peuple, en général, et de la condition féminine, en particulier». En conclusion, le conférencier admet que «le discours identitaire rattaché à la terre natale en exhume la mémoire enfouie. La chanson qui nourrit le texte en exprime les résonances profondes de la sensibilité et lui confère toute sa charge culturelle et émotionnelle.

Ce potentiel affectif reste intraduisible et inexprimable dans le langage conceptuel et rationaliste des sciences humaines et sociales, dit les aspects nocturnes, impensés, inconscients, bref dionysien de notre identité. La chanson est le lieu où affleurent les mythes, les rêves et les fantasmes. Le texte littéraire est à même d’actualiser les virtualités sémiologiques latentes dans l’inconscient collectif. Au travers de l’insertion intertextuelle de la chanson amazighe, ces écrivains revendiquent leurs enracinements et leurs originalités géographiques et historiques tout en s’ouvrant sur l’Universel. En fixant cette littérature orale, le texte tente de capter ce que Paul Zumthor (1983) appelle «des vocalités primordiales» et se lance dans la redécouverte d’une intériorité profondément enracinée dans l’«humus culturel nord-africain».

H Moula

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