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Dominos, loto ou dodo !

Dans les villages de la Kabylie profonde, notamment du côté des Ouadhias, à Agouni Gueghrane, Ath Bouaddou, Mechtras, Aït Boughardane, Mâatkas, Souk El Tenine et Ath Douala, l’ambiance durant ce mois sacré est morose. Les activités sportives, culturelles, scientifiques ou autres, bref qui vous occuperaient, vous aideraient à passer le temps, vous distraire sont quasi inexistantes. Dodo, dominos et loto sont la routine des villageois.

Elle (la routine) est bien huilée, s’étant installée allégrement durant tout ce mois de Ramadhan. En effet, les activités en nocturne se limitent aux veillées dans les cafés maures, les garages et les caves aménagés à la hâte pour servir de lieux où les jeux de hasard se la jouent en maître pendant tout le mois de Ramadhan. Les dominos, les cartes et les discussions entre amis jusqu’au Shour sont souvent les seules occupations des jeunes et des troisièmes âges.

Dans certains endroits plus discrets et à l’abri des regards, le loto, le poker et d’autres jeux de hasard se pratiquent sans la moindre inquiétude, sachant que durant cette période un peu spéciale, à cause des événements que traverse le pays depuis le 22 février dernier, les services de sécurité et du contrôle de la fraude préfèrent ne pas en rajouter à la tension déjà ambiante et évitent donc de sortir sur le terrain, notamment la nuit.

Le grand paradoxe ! Cela a permis aux activités illicites de prendre de l’ampleur. A Aït-Abdelmoumène, l’un des plus grands villages de la wilaya relevant de la daïra des Ouadhias, les nuits de Ramadhan sont moroses. A Tassoukit, les cafés maures sont pris d’assaut juste après le f’tour. Les jeunes et les moins jeunes s’attablent autour d’une glace ou jouent aux dominos et aux cartes, alors que d’autres préfèrent le loto.

Un jeu qui attire des centaines de pratiquants et qui peut durer jusqu’à l’aube dans la bonne ambiance à 20 DA la partie. Si par hasard la chance ne vous sourit pas, le risque d’être déplumé devient alors une certitude. Au niveau des cafés maures, à peine quelques minutes après El Adhan, les places sont déjà prises depuis longtemps. Les joueurs de dominos et de cartes font plein de vacarme. A Tassoukit, le loto se fait discret. Il est joué dans un local assez isolé. Plus haut dans le douar de Timrijt, comme depuis des années, le loto est l’unique occupation des habitants pour tenir jusqu’au S’hour.

Plus haut encore, à Taddert-Oufella ou Tighilt-Oumezir, l’ambiance est rythmée par les jeux de dominos et de cartes. «Nous n’avons pas d’autre ambiance que les jeux de dominos, de cartes et le loto ou bien, on reste sans rien faire, en attendant le S’hour. Nous n’avons ni maison de jeunes, ni salle de fête, ni salle de spectacle, ni salle de cinéma et encore moins une bibliothèque. C’est le désert culturel, sportif et scientifique. Notre jeunesse est abandonnée à son triste sort. Les adultes sont également oubliés.

Quant aux plus petits, ils ont toute la latitude d’apprendre les jeux prohibés et interdits. Cela est dû au laisser-aller des autorités et des pouvoirs concernés, en plus de la défaillance de certains parents qui laissent leurs enfants sortir la nuit», a indiqué un membre du Comité de village. Le constat est presque le même aux Ouadhias, à Agouni-Gueghrane et Aït-Bouadou.

Dans ce dernier village, on avait l’habitude d’organiser le Festival du théâtre de montagne durant tout une semaine, animant ainsi les soirées ramadhanesques et donnant l’occasion aux familles d’assister à plusieurs pièces de théâtre. Mais cette année, le Festival ne sera pas organisé pendant le Ramadhan à cause, nous dit-on, «de la période des examens qui coïncide avec le mois sacré, mais le festival se tiendra, sauf imprévu, après le mois sacré et la période des examens».

Dommage que le festival du théâtre de montagne fut renvoyé à Ath Bouaddou

A Mechtras, que ce soit au chef-lieu ou dans les villages Aït-Imghour, Ihesnaouen ou Bouaqala, entre autres, les occupations sont les mêmes. Les villageois sortent de leurs maisons quelques instants après la rupture du jeûne. Le loto, les dominos et les jeux de cartes sont toujours de mise. Ici, les gens sont un peu gâtés, car ils peuvent se rendre au cybercafé pour surfer sur le net mais aussi à la maison de jeunes, qui a prévu un espace pour les dominos, les scrabbles, les échecs et toutes sortes de jeux éducatifs. Bien sûr, le qalb ellouz, les cacahuètes et le thé sont incontournables.

Le directeur de l’établissement indique, au sujet des activités du Ramadhan : «On fait de notre mieux pour organiser des activités en soirée car, ailleurs, c’est le désert culturel. Seuls les jeux de hasard attirent la foule. Depuis le début du mois sacré et chaque soirée, nous organisons des activités. Le 8-Mai, nous l’avons célébré avec des expositions et des représentations théâtrales. Le groupe musical de la maison des jeunes a animé des soirées musicales.

Le match de la JSK face à l’USMA, nous l’avons retransmis sur un écran géant, ce qui a attiré la foule qui l’a suivie dans une ambiance chaleureuse et conviviale. Le 17 mai, nous avons organisé un autre spectacle musical et le 18, en soirée, nous avons programmé une conférence sur le rôle du mouvement associatif dans la prise de conscience citoyenne. Le 21 du même mois, nous avons aussi regardé le match JSK – NAHD sur écran géant. Une conférence sur l’autisme, avec un spécialiste, a également été organisée.

Le 23, c’était le tour de la musique chaâbi avec les troupes de la maison de jeunes de Bounouh. Samedi dernier, une soirée musicale était prévue et pour la journée de dimanche, place à au foot. Notre programme se poursuivra tout le long du mois de Ramadhan».

Le trottoir pour veiller à Souk El-Tenine

A Aït-Imghour, les mêmes activités rythment les soirées des villageois. Poursuivant notre tournée, plus loin, à 10 kilomètres, est situé Souk El Tenine. Ces habitants ne sont pas encore endormis malgré le fait que l’horloge affichait 2 heures. La clique du postier est toujours fidèle comme chaque Ramadhan. Assis autour d’une table à même le trottoir, ils se partagent qalb ellouz, zalabia, thé, cacahuètes et eau minérale. «Nous préférons le trottoir et les étoiles, l’ambiance des cafés maures nous est insupportable.

Les jeux de dominos ou de cartes et encore moins le loto ne nous intéressent pas. Nous préférons rester sur le trottoir autour d’un thé pour discuter jusque tard dans la nuit. C’est du « copier-coller » pendant tout le mois de Ramadhan et de tous les Ramadhans à venir, si Dieu nous prête longue vie», commente l’un d’eux. Ici, l’inexistence d’espaces de jeunesse pénalise la masse juvénile, dont des étudiants et des écoliers. Une commune sans maison des jeunes, sans stade communal et sans bibliothèque, qui ne propose à la frange juvénile que les cafés maures et les cybercafés.

Plus loin, à Maâtkas, même son de cloche. Les activités culturelles, scientifiques et sportives sont inexistantes. Que ce soit au chef-lieu ou dans les 45 villages, le loto, les dominos et les cartes sont l’unique distraction possible. Ceux qui possèdent des véhicules préfèrent se rendre à Tizi-Ouzou pour profiter de l’ambiance et des programmes culturels. A signaler que dans toutes les régions que nous avons visitées, nous n’avons aperçu aucune femme. Les femmes ne sont, apparemment, pas concernées par les veillées ramadhanesques et passent le plus grand de leur temps dans les cuisines ou à effectuer les tâches ménagères. Au mieux, profiter d’un bon programme à la télé.

Hocine T.

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