Une cohésion sociale qui se lézarde

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L’extrême tension qui caractérise le front social, particulièrement depuis le début de l’année 2011, est inexorablement inscrite dans l’agenda de la phase cruciale que traversent la société et l’économie algériennes en général. C’est une étape marquée par des revendications où les éléments fondateurs d’une vie décente se déclinent simultanément en deux volets: Amélioration du pouvoir d’achat pour les travailleurs et insertion stabilisée dans le circuit de l’emploi pour les chômeurs et les travailleurs occasionnels ou saisonniers. Nonobstant le classique sujets de  »fierté » nationale, connu sous le nom de stabilité macroéconomique, acquise au prix d’un considérable sacrifice social qui se déroula simultanément avec le règne du terrorisme intégriste, et abstraction faite des réserves de changes (près de 200 milliards de dollars) issues des recettes pétrolières, l’on ne peut, moralement et politiquement, faire table rase d’un principe sans lequel la justice sociale serait un vain mot : la paix sociale se négocie par une équitable distribution des richesses, un rythme soutenu de création d’emplois et une lutte sans merci contre l’économie informelle, la corruption, la fraude fiscale et les autres formes de perversion qui prennent en otage l’idée même d’un bien-être social partagé. C’est un dilemme dans lequel évoluent, depuis quelques années déjà le pouvoir politique en général et le gouvernement en particulier. Dans tous les programmes conçus et mis en œuvre par les pouvoirs publics, la donne de l’emploi demeure nodale. Le contraire serait carrément insensé dans un pays dont une grande partie de la jeunesse est soit au chômage soit dans une situation d’attente sur les bancs des écoles et des universités. Cette attente, supposée être studieuse, ne prémunit malheureusement pas contre le chômage. L’Algérie est officiellement passée d’un taux de chômage de 31 % au milieu des années 1990-lorsque les entreprises publiques commencèrent à mettre la clef sous le paillasson avec un départ au chômage de 500 000 travailleurs-à un taux de 10 % à la fin de l’année 2011. Si une partie de l’emploi ne souffre aucune ambigüité conceptuelle ou statistique (performance due à un jeune fragile tissu de PME), l’autre partie est sujette à caution, d’après des experts algériens et des notes élaborées par des organismes financiers internationaux. Cette dernière partie représente la part des dispositifs sociaux (pré-emploi, DAIP, filet social,…) qui dissimulent le véritable état de l’emploi dans notre pays. Ce sont des emplois d’attente, précaires et mal rémunérés (des ingénieurs et des licenciés sont payés moins que le Smig). Lorsque des économistes et des responsables d’institutions financière internationales se penchent sur le taux officiellement déclaré du chômage, soit 10 % de la population active, ils ne manquent pas d’attirer l’attention sur la composante humaine de ce taux, qui fait que, en réalité plus de 20 % des jeunes sont au chômage. Ces jeunes chômeurs, qui, psychologiquement abattus, pensent qu’ils  »n’ont rien à perdre »; ils sont malheureusement utilisés et manipulés par des aventuriers politiques, aussi bien pour peupler les maquis islamistes à partir de 1992, que pour « plaider » la cause des nababs de l’informel en janvier 2011. Leurs aînés ont fait octobre 1988 et d’autres étaient allés guerroyer dans les monts de l’Afghanistan contre l’ennemi…russe. On en retrouvera les survivants dans la prison de Guantanamo quelques années plus tard. Dès le début de 2011, lorsque passa la semaine des barricades, les autorités politiques et tous les démembrements de l’État ne jurent, dans le cadre de leurs agendas quotidiens, que par la création et l’offre d’emploi. Des programmes souvent mijotés à la hâte, des ordres parfois irréfléchis aux structures subalternes, des avertissements, des directives d’autres  »procédures d’urgence » pondues par une cellule de crise permanente sont évoqués ou convoqués pour prétendre juguler un tant soit peu la pression du chômage devenue une demande urgente, menaçante, n’attendant pas de délai. La tension régionale à l’échelle du monde arabe a parfois renforcé le  »sentiment de foule » pour tenter toutes formes de pression sur les autorités afin de pouvoir obtenir un emploi. Tout a été essayé y compris le nouveau phénomène d’immolation, jusqu’à même une certaine banalisation.

Une énergie saine traînée comme un boulet

Certains projets que le gouvernement met en œuvre dans la grande précipitation n’ont de  »fiche technique » que la rubrique  »impact sur l’emploi ». La justification technique passe quasiment en second au second plan. C’est la panique. Or, ce même pouvoir politique est averti depuis longtemps, aussi bien par des observateurs et experts étrangers que par des organismes algériens à l’image du Conseil économique et social (CNES), sur la stratégie, la seule, qui puisse réduire fortement le chômage des jeunes. Il s’agit d’une politique claire et offensive en matière d’investissements (création de milliers de PME/PMI); une politique délestée de la bureaucratie et du climat dissuasif des affaires. Comment se pourra-t-il que ce que le gouvernement n’a pas réussi à réaliser pendant des décennies-à savoir créer des centaines de milliers par ans- il va pouvoir le faire en quelques mois (selon la fougue et les promesses du printemps 2011)? La peur panique des pouvoirs publics, qui les porte à délirer sur les performances de création d’emplois, se justifie sans doute par cette menace permanente que constitue la jeunesse algérienne; jeunesse pour laquelle les deux dernières décennies sont synonymes non seulement d’insécurité et de chômage, mais également de rapine et de corruption à l’ombre de la florissante rente pétrolière Le sentiment d’injustice est à son comble; d’où le danger que cette énergie juvénile, originellement saine et porteuse d’espoirs, se transforme en moyen de destruction et de  »fausse révolution », comme celle que sont en train de vivre certains pays touchés par ce qui est communément appelé le  »printemps arabe ».

A. N. M.

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