Quelles chances pour le nouveau mode d’emploi ?

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Les deux tripartites de l’années 2011, tenues dans un intervalle de quatre mois, ont aussi bien insufflé des espoirs dans le monde du travail et au sein des classes sociales les plus touchées par la crise que généré des interrogations auprès des populations sur les vraies solutions à même de booster leur niveau de vie et des les sortir de la zone des incertitudes.

Le fait est que le mouvement social qui a connu ses heures de gloire pendant les premiers neufs mois de l’année 2011 est devenu presque insensible à ce genre de rendez-vous des forums sociaux du type tripartite. Les acteurs se sont fait une idée quasi tranchée sur la manière de gérer le bras de fer avec les pouvoirs publics et avec les employeurs. Le maître mot est, dans ce cas de figure, est la pression qu’il y a lieu d’exercer continuellement avec des sections syndicales qui s’autonomisent de plus en plus par rapport à la centrale UGTA.

Les cas les plus emblématiques et les plus extrêmes sont incontestablement ceux des secteurs de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Santé. Ces corps de métier ont, en réalité marqué l’actualité sociale sans discontinuer depuis les trois dernières années. De même, la crise larvée dans les autres secteurs ne semble pas s’acheminer vers la détente, malgré l’adoption de statuts particuliers et de régimes indemnitaires pour la totalité des fonctionnaires de l’Etat, et malgré aussi les promesses de conventions de branches pour les travailleurs des entreprises publiques économiques (EPE). Pour les entreprises privées, outre le rehaussement du SMIG porté par la dernière tripartite à 18 000 dinars et qui touche l’ensemble des travailleurs algériens, il est également proposé des conventions collectives au même titre que celles qui régissent la relation entre travailleurs et employeurs publics.

Nonobstant tous les efforts de concertation entre les pouvoirs publics, les syndicats et les employeurs, ce serait certainement une illusion d’optique de croire que le simple regroupement des principaux acteurs de la vie économique et sociale du pays puisse rehausser d’une façon mécanique le pouvoir d’achat et ramener l’amélioration du niveau de vie des ménages. Il ne faudrait pas omettre qu’en l’absence d’un rythme soutenu de la croissance et de la productivité c’est l’inflation qui guette le pouvoir d’achat des Algériens. Celle-ci est déjà à l’œuvre particulièrement depuis 2007, avec des taux officiels qui ont dépassé 5 %. Cependant, la réalité du calcul de l’inflation dans notre pays est autrement plus complexe que ce que veulent bien montrer les chiffres de l’ONS. Ces derniers ont plusieurs fois été remis en cause par des experts nationaux et des institutions internationales. C’est connu, une augmentation incontrôlée des salaires ne fera que tirer davantage vers le haut le taux d’inflation. Les revendications et les surenchères ayant précédé la tenue de la tripartite du 28 et 29 septembre 2011 ont même atteint le sommet fantaisiste d’un SMIG à 40 000 dinars.

Il est de établi qu’une augmentation inconsidérée des salaires, outre qu’elle asphyxie les entreprises publiques fragiles, nourrira généreusement le processus inflationniste qui érode le pouvoir d’achat des travailleurs en quelques mois.

Fragilité des emplois crées depuis 2000

En dépit de ce qui, au niveau gouvernemental, est appelé la stabilité macroéconomique, situation acquise au prix d’un énorme coût social, et nonobstant les réserves de changes issues des recettes pétrolières (soit un montant de 174 milliards de dollars à août 2011), la paix sociale se base imparablement sur une équitable distribution des richesses nationales et sur un rythme soutenu de création de richesses et d’emplois. A cela s’ajoute la nécessité de procéder à une lutte conséquente contre l’économie informelle, la fraude fiscale et les réseaux de corruption.

Dans tous les programmes de développement formulés et mis en œuvre par le gouvernement, le paramètre de l’emploi demeure un facteur prépondérant. Il ne peut en être autrement lorsqu’on sait qu’une grande partie de la jeunesse est soit au chômage soit dans une situation de stand-by –sur les bancs des écoles et des universités- qui ne le prémunit pas d’une façon automatique contre le chômage ?

Il est indéniable que les programmes publics d’investissement (infrastructures routières, ferroviaires, hydrauliques, secteur du bâtiment,…) mis en œuvre depuis le début des années 2000 ont crée des centaines de milliers d’emplois. Cependant, une certaine fragilité les caractérise du fait que ce sont, pour une grande partie, des emplois temporaires sur des chantiers de construction. C’est une fois que ces infrastructures- autoroutes, routes, chemins de fer, barrages hydrauliques, stations de dessalement de l’eau, nouvelles centrales électriques,…etc.- deviennent en état d’exploitation et de fonctionnalité qu’elles pourront générer des emplois permanents du fait des investissements privés- nationaux ou étrangers- qui viendront s’y greffer.

Pour le prochain Plan d’investissement public 2010-2014, il est aussi prévu quelque 2 millions d’emplois à raison de 400 000 postes par an.

Le Commissariat à la planification et à la prospective soutient dans une note de d’information aux directions et ministères concernés par ce programme que « la situation actuelle des finances publiques ainsi que les perspectives pour les prochaines années permettent d’envisager encore un programme pluriannuel d’investissement public relativement consistant. La réalisation des projets du PSRE et du PCSC a permis d’établir des constats et de relever les forces et les faiblesses de notre système de préparation et d’exécution du budget d’équipement de l’État et des collectivités locales ».

L’on sait que Plan d’ajustement structurel (PAS) imposé à l’Algérie par le Fonds monétaire international dans le cadre du rééchelonnement de sa dette extérieure au début des années 1990 avait induit des chamboulements radicaux sur le monde du travail et de l’emploi. Plus d’un demi-million de travailleurs des entreprises publiques seront compressés. Du jour au lendemain, sans dispositif social particulier qui amortirait le choc, la société algérienne était sommée d’accepter l’amère réalité du chômage, donc de la disparition de revenus, qui plus est, intervient au moment le pays entrait dans le tunnel de la décennie du terrorisme..

Depuis cette grande lézarde dans la sphère sociale et dans la machine économique algérienne, de multiples tentatives, les unes plus judicieuses que d’autres, de redresser la situation de l’emploi ont été faites par les pouvoirs publics.

Tout au long des quinze dernières années, les dispositifs sociaux- tels l’emploi de jeunes, le filet social, le pré-emploi, le DAIP, les TUP-HIMO, l’ABC et autres formules qui ont évolué dans leur système d’intervention – ne pouvaient objectivement pas répondre à la problématique de l’emploi au sens économique du terme. Ces sont plutôt des formules qui ont permis d’amortir le choc de la récession économique et de limiter un tant soit peu les mouvements de contestation sociale. La précarité de ces postes d’emploi s’est révélée au grand jour quelques années après leur mise en application pour la simple raison que les mécanismes économiques d’investissement devant créer des emplois réels ont tardé à se mettre en place et ont manqué visiblement d’envergure.

Depuis plus d’une décennie et à différentes occasions- séminaires, cadre de la tripartite,…-une multitude de thème liées à la problématique de l’emploi et de la formation ont été abordés, à l’exemple du marché de l’emploi, du système éducatif et de ses effets sur le développement, de la formation professionnelle et de sa contribution à l’insertion des jeunes dans la vie active, de l’avenir de l’entreprise,…

Tout la monde a pu mesurer l’écart qui sépare de la réalité des chiffres en matière de création d’emplois. Une chose est sure : les dispositifs sociaux évoqués plus haut risquent, lorsque leur défenseur est de mauvaise foi, de gonfler facticement les chiffres des emplois crées par le secteur économique. C’est ce qui se passa exactement en juillet 2011 lorsque le gouvernement donna le bilan de l’emploi du premier semestre de l’année. Aucune précaution particulière n’a été prise pour un annoncer un millions d’emplois crées dans un intervalle de temps de six mois (janvier-juin 2011). Les experts les plus indulgents et les analystes les plus proches des thèses du gouvernement n’ont pas manqué de souligner l’aberration des chiffres d’un tel bilan.

Dans les économies les plus actives de l’Europe occidentale ou de l’Asie du Sud-Est, de tels records ne sont pas enregistrés. A cette occasion, l’économiste algérien Salah Mouhoubi a invité le gouvernement à revoir ses chiffres.

Pourtant, dans son discours devant l’APN en mai 2009 où il a présenté le plan d’action du gouvernement, Ahmed Ouyahia a tenu clairement à établir la distinction entre, d’une part, les vrais emplois crées par les entreprises ou dans la cadre de la création de postes budgétaires dans la fonction publique et, d’autre part, le soutien temporaire de l’État apporté aux jeunes chômeurs à travers des dispositifs sociaux précaires.

Investissements et nouveau régime du travail

La relance économique suppose incontestablement des investissements conduits par des porteurs de projets- qu’ils soient publics ou privés, nationaux ou étrangers- censés produire des richesses (produits, prestations de services, fiscalité) et des emplois. Ainsi, le gouvernement est puissamment interpellé dans le cadre des investissements publics et des incitations à l’investissement privé à faire preuve d’un trésor d’imagination pour que la politique de l’emploi ait toute la place que la société attend d’un tel mouvement de relance économique. Néanmoins, il importe d’observer ici que le concept de l’emploi a évolué de façon fulgurante au cours des dernières décennies suivant en cela le rythme et le régime des changements économiques, de la transformation de l’entreprise et de l’accélération des échanges à l’échelle mondiale. En tout cas, il ne répond plus à la définition figée d’un poste salarié stable, d’une carrière assurée et d’un revenu correspondant toujours au coût de la vie. Ce fut une période où l’illusion de richesse et de prospérité permise par l’économie rentière assurait un plein emploi factice généré par une pléthore de personnel dans les entreprises publiques et l’administration. Le pays paya chèrement ce genre d’errements politiques où le populisme rivalisait avec la démagogie. Il se réveilla brutalement à une nouvelle réalité où les le quotidien est grevé de plusieurs aléas et d’une kyrielle d’interrogations. Ainsi, un nouveau jargon s’installe progressivement dans toute la ‘’littérature’’ relative au monde du travail (législation, contrats, aspect administratif) : marché du travail, flexibilité du travail, chômage structurel, qualification, compétences pratiques, valeur réelle d’un diplôme, contrat à durée déterminée (CDD), contrat à durée indéterminée (CDI) et d’autres concepts qui sont en rupture avec l’ancien glossaire du socialisme triomphant qui faisait presque automatiquement de l’écolier d’aujourd’hui un futur cadre dans l’administration ou dans une entreprise publique.

Ainsi, le monde du travail (entreprise, emploi, production) se dirige incontestablement vers plus de flexibilité dans presque la totalité des domaines (horaires, rythmes de travail, congés, relations contractuelles, primes et rémunérations,…). Contrairement à l’ancien mode de gestion de l’économie administrée, l’intervention de l’État se limitera aux impératifs minimaux qui devront sauvegarder la santé et la dignité humaine du travailleur, y compris par un salaire minimum imposé (résultat de la concertation avec les partenaires sociaux) et une obligation de déclarations sociales (desquelles découleront les droits aux assurances sociales et à la retraite). Hormis ces paramètres relevant des minima sociaux, les entreprises ne pourront attendre de l’État que l’incitation à l’investissement, l’équité fiscale et l’exercice de son pouvoir régulateur.

Afin d’assurer de tels types d’intervention en direction des entreprises, des travailleurs et du marché de l’emploi, les pouvoirs publics ont procédé à des réformes économiques, sociales et juridiques qui demeurent imparfaites, tronquées et qui souffrent d’un déficit d’harmonie générale. Ce sont là les constats plusieurs partenaires et d’opérateurs économiques ainsi que les observations de certaines analystes de la scène économique nationale.

Dérives et travers de la transition

En tout état de cause, les ambitions de passer d’un régime d’économie rentière à un système d’économie de production- ambitions réitérées l’année passée par le ministre des Finances, Karim Djoudi- demeurent entourées d’un flou ‘’artistique’’ lorsqu’on considère l’environnement réel dans lequel évolue l’économie nationale. En effet, la période de transition qu’est en train de vivre l’Algérie a secrété un certain nombre de situations pénalisantes pour les populations sur les plans du pouvoir d’achat et de l’emploi. Au début des années 90 du siècle dernier, le taux de chômage était évalué officiellement à 31 %, un taux jugé intolérable sur le plan social et dangereux sur le plan politique du fait que c’est la cohésion sociale qui était menacée dans ses fondements. La remontée de la pente, qui a fait conduire le taux de chômage au chiffre officiel de 10,2 % à la fin 2010, n’a pas été une œuvre facile.

Il faut reconnaître que l’employabilité continue à connaître des résistances et des retards non seulement en raison de la faiblesse du tissu des entreprises, principalement des PME/PMI, mais aussi en raison du déficit de formation et de qualification des prétendants à l’emploi. Soit que le candidat a été trop tôt déscolarisé soit que sa la nature et le niveau de sa formation ne répondent pas aux besoins et exigences des nouvelles entreprises. C’est là un débat de fond qu’il importe de mener à bon port par les parties concernés (ministère de la Formation professionnelle, ministère du Travail, des instituts de recherche et des bureaux d’études) pour obtenir une adéquation maximale entre les profils enseignés et les métiers qu’offre le marché du travail algérien dans sa nouvelle configuration.

En outre, malgré une certaine performance dans la lutte contre le chômage, le nombre d’exclus ne cesse d’augmenter. Certes, le gouvernement- à travers certains des différents dispositifs sociaux- essaye de contenir le cercle de la pauvreté en venant en aide aux catégories les plus vulnérables. Avec l’ouverture de l’économie nationale au privé une nouvelle faune d’entrepreneurs a pris le relais d’une économie publique moribonde. Dans presque tous les secteurs d’activité des miro-entreprises de travaux, de prestations de service ou de production ont vu le jour. Le recrutement du personnel s’est limité au strict minimum pour faire des gains de productivité partant, des gains de marge bénéficiaire. Cela dans le cas où l’employé est déclaré à la sécurité sociale. Souvent, ce n’est pas le cas. Dans plusieurs villes d’Algérie, des ateliers de confection, de petites usines de maroquinerie, emploient des travailleurs et des travailleuses dans des caves hermétiques pour éviter des visites de l’administration (inspection du travail, services de sécurité agents des impôts,…).

L’on sait que le travail clandestin ne se limite pas à des activités commerciales non déclarées, mais il a aussi touché une grande part des activités légales (sites de production). Dans beaucoup de cas, les patrons ne déclarent aux assurances sociales qu’une partie du personnel recruté. Les craintes de perdre son emploi ne peuvent qu’installer la loi de l’omerta. Résulta : les inspections de travail des wilayas sont très peu sollicitées pour recevoir et instruire des plaintes relatives au non respect des lois du travail.

Au milieu des années 2000, un bilan issu d’une enquête réalisée par le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement établit que sur 7500 petites et moyennes entreprises, 42% des effectifs ne sont pas déclarés et 30% de leur chiffre d’affaire échappent au fisc.

Les conséquences d’une transition économiques mal conduite ont entraîné une libéralisation effrénée des prix, des plans sociaux pour les entreprises publiques, un taux de chômage effarant et d’autres maux sociaux (banditisme, suicide, alcoolisme, violence dans les stades,…) que le pays n’arrive pas encore neutraliser.

Le gouvernement a, entre autres chantiers législatifs prévus depuis 2009, projeté de réviser le code du travail. Selon le SG de l’UGTA et le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Tayeb Louh, cela va se faire au courant de 2012 avec la promesse ferme de l’abrogation du tant controversé article 87 bis sur la base duquel sont calculés le salaire de base et l’IRG . C’est là un maillon vital dans le nouvel édifice des lois et règlements que le gouvernement compte intégrer dans les réformes économiques et sociales.

Amar Naït Messaoud

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