Les impératifs d’un nouvel environnement financier

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L’une des voies entrevues au début des réformes économiques pour mobiliser le nerf de la guerre nécessaire au financement des nouveaux investissements était la privatisation des entreprises publiques, ou, du moins, la cessions d’une partie de leurs actifs à des repreneurs privés algériens ou étrangers. Pour plusieurs raisons, cette option n’a pas pu connaître de prolongement sur le terrain. La crise financière mondiale qui a montré ses premiers signes en 2007 et les couacs de l’accord d’Association avec l’Union Européenne ont quelque part ‘’légitimé’’ ce manque d’ardeur pour l’option de privatisation.

C’est ainsi qu’en 2008, un revirement spectaculaire a été enregistré en la matière. L’État renonçait officiellement à la privatisation de 220 entreprises publiques classées quelques mois plutôt, dans le premier contingent des entreprises privatisables.

Par Amar Naït Messaoud:

L’observation avancée à l’époque par le patron de l’UGTA est que la relance économique devrait avoir pour poutre maîtresse le secteur public. « L’appareil public économique doit être préservé comme étant un élément de souveraineté et de stabilité économique », dira-t-il. La relance du secteur public s’inscrit, d’après lui, dans le cadre de la nouvelle stratégie qui « vise à consolider la croissance hors hydrocarbures, sans laquelle notre survie deviendra aléatoire, notamment en cette conjoncture (…). Pour cela, le secteur public est appelé à être le maillon fort et l’élément moteur de la politique de développement ».

Pourtant, aussi bien pour les pouvoirs publics que pour la centrale syndicale, le choix de la privatisation des entreprises publiques paraissait au début du processus des réformes économiques comme une donnée naturelle imposée par le nouveau contexte de l’économie mondiale. La seule condition liée à cette option était le maintien des emplois.

Cependant, les gestionnaires de l’économie nationale et les partenaires sociaux ont pris conscience des limites des investissements étrangers directs, créateurs de richesses et d’emplois, comme il a été aussi prouvé à partir de l’expérience de certains pays ayant le mêmes contraintes et les mêmes besoins de réformes que l’Algérie, que la privatisation à tout va ne constitue pas la panacée aux problèmes économiques du pays.

Si des faiblesses techniques et des lourdeurs administratives grèvent encore de leur poids l’acte d’investissement, il demeure cependant acquis que les orientations économiques établissant la nécessité de l’investissement privé qu’il soit national ou étranger, ne relèvent plus de choix doctrinaux qu’il serait loisible de prendre ou de répudier en cours de route, mais répondent à une impérative nécessité de faire redémarrer la machine économique du pays sur des bases solides délestées de la mentalité rentière qui nous a valu bien des errements. Que cela se fasse simultanément avec un secteur public rénové et revigoré ce n’est qu’un atout de plus. Cependant, les effets de l’ancienne mentalité ne cessent, jusqu’à présent, de brouiller, au sein de certaines structures décisionnelles, la vision et l’organisation de l’acte d’investir au point de faire subir à certains secteurs de l’économie des situations de dommageable surplace.

Identifier les entraves à l’investissement

Il est établi que les rentes de situation et la solidarité clanique autour de certains intérêts ne peuvent être neutralisées du jour au lendemain. Mais une chose demeure certaine : la course effrénée vers la mondialisation et l’interdépendance des économies- tout en ayant leur revers de médaille- ne peuvent tolérer les replis et la navigation à vue qui caractérisent la gestion de certaines économies des pays du Sud.

Les pouvoirs publics se sont penchés sur l’identification des divers et nombreux blocages qui ont rendu aléatoires jusqu’ici les grands flux d’investissements que notre pays est en droit d’attendre dans une conjoncture exceptionnellement propice sur le plan des finances publiques et de l’équilibre des grands agrégats économiques. Le traitement des dossiers par l’ancienne APSI, devenue par la suite ANDI (Agence nationale du développement de l’investissement) ne semble pas donner tous les résultats escomptés. Et pour cause, le passage au crible de cette Agence des différents dossiers qui atterrissent sur son bureau se limitait à faire valoir les avantages (fiscaux, douaniers, taux d’intérêt des crédits,…) accordés par l’État aux candidats à l’investissement. De nombreux projets validés par cette institution qui travaille pour le compte de l’État n’ont pas pu voir le jour des années après leur validation en raison des lenteurs, entraves et dysfonctionnements qui caractérisent les autres institutions chargées d’encadrer l’investissement (banques, caisses de garantie, services de la wilaya pour ce qui a trait au foncier industriel,…).

Ce n’est que depuis deux ans que l’ANDE a vu s’étoffer et s’élargir ses prérogatives de façon à suivre le destin réel des investissements dont les projets sont validés.

« Les entraves résultant de la complexité de l’arsenal juridique, des difficultés d’accès au foncier et de la rigidité du système bancaire étant identifiées comme principales contraintes que rencontrent les investisseurs potentiels et les entrepreneurs nationaux et étrangers », soutient le président de la République.

La Banque mondiale, à travers son rapport 2009 (Doing Business) portant sur le climat des affaires classe l’Algérie à la 132e place sur un panel de 181 pays étudiés. A titre de comparaison, l’Arabie Saoudite est positionnée 16e. Le rapport en question informe l’opinion que, entre juin 2007 et juin 2008, soit pendant une année, l’Algérie « n’a enregistré aucune réforme majeure ». En matière de création d’entreprises, notre pays occupe la 141e place. Pour l’embauche des travailleurs, l’Algérie occupe la 118e place. Le reste des critères utilisés par la Banque mondiale donnent une image médiocre du climat général d’investissement et des affaires de notre pays.

Même si, ici et là des commentaires et des spéculations prennent place dans médias au sujet des choix économiques de l’Algérie, cependant, au niveau des orientations politiques officielles, des signaux forts et des mesures incitatives de façon à drainer plus efficacement et plus diligemment les investissements hors hydrocarbures, n’ont pas manqué. Les grands programmes d’investissements publics que le gouvernement a conçus depuis 1999- et dont le plus important est celui mis en branle cette année (Plan 2010-2014) doté d’une enveloppe financière de 286 milliards de dollars-, étant des projets structurants, c’est-à-dire qu’ils sont censés servir, en tant que grandes infrastructures publiques, d’armatures susceptibles de drainer et recevoir les vraies investissements portés par les entreprises. Ces derniers, en tant qu’actes économiques généreront à leur tour les emplois et les plues-values sociales exigés de tout système économique. Cependant, dans une première phase, comme l’on si opportunément rappelé certaines institutions internationales, les lourds investissement publics déployés dans les ouvrages, les infrastructures et les équipements génèrent toujours un surcroît de consommation sans équivalent en production immédiate. Ce qui, nécessairement, nous conduit à un phénomène inflationniste ne serait-ce que temporaire. Ce qui, en effet, se ressent dans la vie quotidienne des populations depuis au moins les trois dernières années et que les statistiques officielles confirment dans les chiffres de l’inflation (4,5%).

Indispensable réforme du système bancaire

Instruit par des actions d’investissements étrangers qui ont pris les allures de simples opérations de transactions commerciales dans le sens des exportations vers le marché notre pays, le gouvernement algérien a procédé par le truchement de la loi de finances complémentaire de l’année 2009, à un recentrage de la politique économique, particulièrement dans son versant lié à l’intervention des partenaires étrangers.

Déjà une année auparavant, les observations du président Bouteflika n’ont pas manqué de mettre à l’index une politique de partenariat économique basée presque exclusivement sur des opérations commerciales. « Nous devons encourager davantage les investissements productifs nouveaux, non pas ceux spéculatifs, mais ceux qui contribuent à la création de richesses véritables et qui participent à la création d’emplois. Le gouvernement doit donc trouver des solutions à cette question », assénera Abdelaziz Bouteflika lors d’une des auditions de ses ministres. De même, dans le cadre de l’installation de nouvelles banques étrangères en Algérie, le président Bouteflika demande l’établissement d’un nouveau cahier de charges qui contraindrait ces établissements à certaines règles allant dans le sens de l’encouragement à l’investissement ; il s’agit de les « obliger à réserver une partie de leur portefeuille au financement réel de l’investissement et non pas à se limiter à l’accompagnement du commerce extérieur ou à la promotions de crédits à la consommation. Nous sommes pour l’ouverture des banques étrangères et aux banques privées, mais dans le respect des normes universelles. Nous respecterons les normes internationales avec nos partenaires étrangers dans tous les domaines, mais nous attendons aussi de leur part le respect des intérêts de l’Algérie ».

Dans le bras de force opposant l’Algérie aux autorités judiciaires de la Couronne britannique au sujet de Abdelmoumène Khalifa, ce serait sans doute moins la personne de Khalifa qui importe que les leçons censées être tirées d’une aventure économique permise par l’ouverture précipitée et maladroite du secteur financier aux investisseurs privés.

Avec l’affaire ‘’Khalifa’’, l’Algérie et son projet de réformes économiques auront sans doute perdu en crédibilité et en capital confiance plus que n’auront perdu le Trésor public et les clients de Khalifa Bank en espèces sonnantes et trébuchantes. Quels que fussent les circonstances et les acteurs de ce qui est appelé ‘’la grande escroquerie du siècle’’, ses répercussions sur la conduite de la politique économique et financière de notre pays dans les prochaines années seront longuement ressenties. Ses ondes de chocs risqueront de happer les efforts des autorités nationales tendus vers la réhabilitation et le renforcement des instruments de financement de l’économie dont la colonne vertébrale est incontestablement la banque.

Dans le sillage de cette affaire, dont l’instruction et les rebondissements ont fait durer l’angoisse chez les uns et la jubilation chez les autres, les pouvoirs publics ont procédé à l’assainissement de dossiers de plusieurs autres institutions financières privées ayant abouti au retrait des agréments qui leur ont été accordés par le Conseil de la Monnaie et du Crédit. Des irrégularités, allant des crédits douteux jusqu’à l’escroquerie en passant par la situation d’insolvabilité ont été mises au jour. La Khalifa Bank, qui représentait un ‘’empire’’ auréolé d’une compagnie aérienne et d’une chaîne de télévision du même nom, constitue en la matière un cas extrême qui, indubitablement, a terni l’image que les autorités ont voulu donner des premières actions de libéralisation de l’économie algérienne. Cependant, à y voir de plus près, rien ne disposait l’Algérie- engluée qu’elle était dans l’économie de rente, le clientélisme, les ‘’Plans anti-pénurie’’ et l’autocratie politique- à une transition en douceur où tous les acteurs se ‘’repentiraient’’ et déclareraient la paix des braves. Au contraire, les ébauches de l’ouverture économique, ayant succédé à la fameuse ouverture politique qui a failli emporter le pays dans la tourmente d’un pluralisme débridé ont intensément aiguisé les appétits et allègrement congédié toute moralité. Cela tenait d’un ‘’saut dans le vide’’ que la culture dominante dans les rouages de l’État et dans la société ne pouvait malheureusement ni empêcher ni même amortir. Les réflexes de gestion nés de cette fâcheuse expérience des banques privées ont installé un climat de défiance qui s’est matérialisé par des réticences légitimes pour tout investissement dans le domaine de la finance. Mais les comportements radicaux ou les verrouillages systématiques ont-ils jamais réglé les problèmes ? D’autant plus que le ‘’procès’’ des banques publiques- auxquelles est reproché le manque d’efficacité dans le financement de l’investissement- a été fait par l’ensemble des acteurs économiques, y compris le président de la République dans ses différentes interventions. Des institutions internationales ont mis en relief cette aberration qui a fait que nos banques publiques sont noyées dans les surliquidités qui- dans d’autres circonstances (bonne performance des banques et excellence de l’ingénierie financière)-auraient pu servir à financer des segments importants de l’économie nationale. Dans l’avenir immédiat, seul un partenariat avec l’étranger ou une prise de participation d’organismes privés pourraient peut-être ‘’inoculer’’ une nouvelle culture managériale aux établissement financiers publics pour sortir d’un médiocre statisme qui fait de nos banques plus de simples caisses de dépôt ou des guichets pour les salaires que de véritables instruments de financement de l’économie.

Amar Naït Messaoud

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