Un parcours semé d’embûches et de louvoiements

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Avec le recentrage de l’action gouvernementale induit par la loi de finances complémentaire 2009- développement autocentré comptant d’abord sur les potentialités nationales-, des économistes ont parlé de nouvelles réformes par rapport à la situation antérieure qualifiée de d’économie de « bazar ». Il se trouve que le concept de ‘’réformes’’ est mis à tous les râteliers. Il est galvaudé depuis qu’un gouvernement, en l’occurrence celui de Mouloud Hamrouche, a été affublé du titre de gouvernement des réformateurs. Lorsque des ministres en titre et des opposants politiques utilisent le même vocable pour signifier des choses les unes aux antipodes des autres, c’est que, quelque part, il y a maldonne, du mois dans la manière dont est appréhendé dans notre pays ce concept de réformes.

La première fois où il a été utilisée de manière solennelle, ce fut le 10 octobre 1988, dans le discours de Chadli Bendjedid où, suite aux événements qui ont ensanglanté le pays quelques jours auparavant, il promit au peuple algérien des « réformes profondes ». L’on sait ce qu’il est advenu des promesses de l’ancien président : un pluralisme débridé une ouverture anarchique sur le marché et une montée des périls par le biais du courant islamiste.

Par Amar Naït Messaoud

Dans les pays de l’ancienne Europe socialiste, le concept des réformes a précédé de quelques années l’effondrement du bloc socialiste et, symbole d’une transformation non violente, la chute du Mur de Berlin. Cette succession des événements a été dictée par l’intensité des problèmes et des contradictions internes que traînaient les régimes et les systèmes sociaux des pays en question. L’Algérie faisait partie de ces pays à économie ‘’socialiste’’ dont les orientations ont été consignées dans les textes fondamentaux de la République (Charte d’Alger, Charte nationale de 1976 élaborée sous Boumediene…enrichie en 1986 sous Chadli, les différentes constitutions). Dans le sillage de la proximité idéologique avec les économie de l’Europe de l’Est, et particulièrement de l’ex-URSS, l’Algérie s’est investie dans les nationalisations à grande échelle et opta pour l’ ‘’industrie industrialisante’’. A côté des gaspillages, des erreurs d’aiguillage et de l’immaturité de nos forces productives, sans doute beaucoup de bonne foi et d’esprit primesautier ont présidé aux choix opérés par les gestionnaires algériens. En d’autres termes, il n’est pas exclu que, en agissant et en gérant comme ils l’ont fait, il aient cherché à ‘’rendre heureux’’ le peuple. Ce que les sociologues et autres économistes appelleront, quelques années après, la démagogie, le clientélisme et le patrimonialisme était, au cours des années 1970, une euphorie générale permise par les cours du pétrole et du gaz.

C’est de ce climat d’euphorie que le président Chadli Bendjedid va hériter en février 1979 au point de fixer une slogan pour le congrès du FLN dont il était le secrétaire général : ‘’Pour une vie meilleure’’. Les jeunes Algériens qui commençaient à voir s’assombrir leurs horizons avaient ironiquement donné suite à cette devise en en faisant une belle boutade -‘’Pour une vie meilleure, il faut aller ailleurs’’- qui va se confirmer vingt ans après par le moyen du phénomène ‘’harraga’’.

Du programme anti-pénurie (PAP) à l’explosion d’Octobre

Pour avoir la paix sociale, dissuader toute forme d’opposition qui remettrait en cause le parti unique et se garantir des mandats successifs sans aucun contrôle, le pouvoir politique d’alors a crée une immense confusion entre la sphère politique et la sphère économique. L’Etat, non seulement encadre politiquement et administrativement le pays, mais aussi vend des chaussures chez Districh, des couvertures à la Cotitex, des téléviseurs à l’EDIED, des Mazda bâchées à la SNVI, des vélos, des poêles à mazout et des lentilles dans le Souk El Fellah. Cela a fini par créer des clientèles et des réseaux de corruption. Vu que toute initiative privée était brimée, sinon interdite, l’économie du pays évoluait sous le ‘’label’’ de la pénurie. A l’époque, l’opposant Aït Ahmed qualifia ainsi le pouvoir en place : « un pouvoir qui gère la société à coups de chartes et à coups de pénuries ». Le ridicule, qui n’avait aucune raison de tuer ses auteurs, était poussé un peu plus loin lorsque le gouvernement du début des années 1980 établit un Plan anti-pénurie (le PAP). Ce Plan n’a eu recours à aucun investissement productif ou autre idée géniale du même ordre. Il se contenta de faire face aux ruptures de stock par de nouvelles importations permises par la manne pétrolière.

L’Etat recrutait à tour de bras dans les entreprises publiques et dans les structures administratives. Il n’était pas regardant sur la dépense. Trois personne pour un mini-standard téléphonique utilisant deux interphones, huit gardiens pour une minuscule unité de production, 1200 ouvriers pour des ateliers dont le seuil de rentabilité n’en supporte pas plus de 400, et d’autres énormités du genre rendues possibles par la rente pétrolière.

C’est en comprenant la nature du régime politique et son assise économique bâtie exclusivement sur la distribution de la rente que l’on pourra saisir l’intention des autorités du pays de procéder à des réformes suite à l’impasse historique qui a grevé le processus de légitimation par la rente.

Moins de vingt ans après l’Indépendance, la société commence à frétiller dans le sens d’une demande de démocratisation des institutions, de la libération des initiatives citoyennes, d’un mieux-être socioéconomique et d’une franche justice sociale. Ce dernier concept- comme celui de la démocratie d’ailleurs (auquel on se pique de greffer des épithètes de ‘’responsable’’, ‘’populaire’’)- était pourtant chanté sur tous les toits de la République officielle et était inscrit dans tous les textes fondamentaux du pays. Mais, c’est connu à travers le monde, les régimes les plus décriés établissent les lois les plus enviées pour en faire table rase dans la réalité.

Le mouvement culturel berbère de 1980 fait partie de cette revendication de démocratie. Ce mouvement, qui s’est voulu public, a quelque peu ébranlé certaines certitudes officielles relatives à la soi-disant impunité de pouvoir gouverner sans répondre de sa gestion.

Au fur et à mesure que les prix du pétrole baissaient, particulièrement à partir de 1986, et que les privilèges de la clientèle se faisaient maigres, des mouvements sociaux- où se mêlaient vraies remous et manipulations provenant du sérail- faisaient leur apparition. Oran, Constantine, Rouiba et tant d’autres villes et localités commençaient à casser la chape de plomb qui pesait sur les populations.

A la veille de l’explosion d’octobre 1988, plusieurs impasses étaient identifiées dans la voie algérienne du développement et dans la gouvernance politique du pays. Sans verser dans le détail, on peut dégager les grosses obstructions qui avaient asphyxié le corps du pays.

Sur le plan politique, l’hégémonie du parti unique dans toutes les structures de l’Etat et de la société a atteint sa charge de rupture. Le contrôle de la nébuleuse d’opposition et l’élimination de tout cadre d’expression démocratique (associatif, syndical, politique,…) n’ont été rendus possibles que par la gestion clientéliste de la rente pétrolière. Le pouvoir du parti unique avait entretenu des relais dans la société de façon à absorber toute forme d’opposition et d’organisation autonome de la société. Néanmoins, à partir de 1986, le prix du baril de pétrole- unique source de recettes du pays- commençait à dégringoler. Du même coup, les relais et clientèles du pouvoir voyaient leur influence régresser et leurs privilèges chanceler. Le doute gagnait de plus en plus les hautes sphères du pouvoir. On en arriva alors à porter atteinte au plus symbolique ‘’présent’’ par lequel les autorités berçaient le rêve d’exil de la jeunesse algérienne : l’allocation touristique.

Ce début de faiblesse de l’Etat –un Etat qui n’a plus les moyens de sa politique, c’est-à-dire de contrôle et d’embrigadement- a profité surtout au courant islamiste qui a fait ses classes sur les campus de l’Université pendant les années 1970. La jonction entre cette tendance et les franges les plus économiquement marginales de la société n’a pas tardé à se réaliser dans ce climat de remise en cause et de curée générale. Cette décrépitude des structures de l’Etat et de l’économie ne pouvait visiblement pas profiter au courant démocratique embryonnaire formé dans la clandestinité. La culture de la rente et de l’assistanat ainsi que les replis sur soi que cette chute aux enfers a charriés ne militaient guère pour une alternative démocratique basée sur la culture du travail, de l’effort et de la transparence dans la gestion.

Les effets de la crise- manipulés par groupes occultes de la nomenklatura- ne tardèrent pas à se manifester dans la rue. Ce fut alors la grande explosion d’octobre 1988 lors de laquelle un millier de jeunes algériens furent tués par l’armée. La révolte d’octobre 1988 consacra la ‘’faillite sanglante’’ du régime, comme en a fait sa manchette à l’époque un hebdomadaire parisien, tandis qu’un ambassadeur algérien, qui deviendra quelques mois plus tard ministre, parlait de ‘’chahut de gamins qui a dérapé’’.

Du goulot économique au défi sécuritaire

Au plan économique, les entreprises publiques étaient étranglées par les découverts et les dettes, crise amplifiée par la taille de ces entreprises auxquelles sont confiées les missions de production et de commercialisation en même temps.

Sur le plan financier, les services de la dette extérieure- d’un encours de 26 milliards de dollars- absorbaient la presque totalité des recettes pétrolières.

Une autre impasse- consubstantiellement liée à la nature du régime politique et à la vision de l’Etat qui en est issue- se rapporte à la centralisation excessive de la gestion de l’Etat et de l’économie. Ce jacobinisme, voulu comme bouclier qui protège le sérail et qui renforce le contrôle de la société a atteint ses limites historiques par ses conséquences économiques, environnementales et culturelles qu’il a dressées comme un frein au développement du pays et de la société. De même, l’école, espoir de la société après l’indépendance du pays pour une formation de qualité et une voie de réalisation sociale de la jeunesse, a été prise en otage par les calculs politiciens où la pédagogie et la compétence n’ont presque pas droit ce cité. Le liant de tous ces errements se trouve être le secteur de la justice où l’indépendance des magistrats est devenu un vœu pieux, même si, comme pour d’autres beaux idéaux, elle est consignée dans tous les textes officiels du pays.

C’est acculées par toutes ces impasses- qui grèvent la gestion du pays et qui remettent aussi en cause le processus de légitimation du pouvoir politique tel qu’il est issu de la guerre de Libération- que les autorités du pays avaient montré au début des années 1990, des velléités de réformes. L’accélération des événements a fait que les gouvernants n’ont pas eu le loisir ni d’anticiper, ni de planifier ni- étrange impuissance-, de bien négocier les changements. Sur le plan politique, la Constitution de février 1989 a vu dans le multipartisme une panacée. Mais, c’était des associations à caractère politiques et non des partis. Une inutile manœuvre sémantique de dernière minute du pouvoir politique pour se barricader contre les assauts d’une inéluctable libéralisation. La suite des événements ne laissa de choix à personne. Le déferlement du terrorisme islamiste et le reflux de l’espoir démocratique vont cohabiter avec la grande fracture économique du pays. En effet, la cessation de payement de la dette extérieure algérienne entraînera le rééchelonnement de celle-ci, les mesures draconiennes de libéralisation des prix et de gel des programmes sociaux, le licenciement dans les entreprises publiques et d’autres contraintes sociales contenues dans dispositif appelé PAS (Plan d’ajustement structurel) dicté à l’Algérie par le Fonds monétaire international (FMI) à titre de conditionnalité accompagnant le rééchelonnement de la dette.

Au prix de dizaines de milliers de morts, de centaines de milliers de travailleurs licenciés, d’anciennes maladies-vaincues par l’Algérie des années 70- réapparues, du discrédit de la pratique politique (on a réussi la ‘’prouesse’’ de faire porter l’échec des réformes au multipartisme naissant), au prix donc d’une cassure et d’une dérive historiques, les Algériens ont traversé la dernière décennie du 20e siècle en se retrouvant, en la personne de M. Abdelaziz Bouteflika, avec un président- ancien ministre inconnu de la nouvelle génération- que personne ne voyait venir.

Pour Bouteflika, la « mère des réformes », après son accession à la présidence en avril 1999, se situait dans la sphère politique et consistait, à ses yeux, à réinstaller la paix civile par l’endiguement du terrorisme. Alors, il prolongea, par les dispositifs de la Concorde civile et de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, les efforts d’une aile de l’Armée nationale populaire commencés sous le règne de Liamine Zeoual. Les résultats sont différemment appréciés par les citoyens et les personnalités politiques même si la tendance lourde qui se dégage est que le terrorisme a véritablement reflué et que, par conséquent, il ne constitue plus une menace pour l’Etat ni ne peut donner lieu à une alternative politique qu’il s’était donné pour mission de sustenter et de défendre par la violence.

Sur le plan économique, les réformes programmées depuis 1999 par les autorités du pays seraient gênées dans leur progression par l’embellie financière qui, quelque part, renforcerait les conduites rentières et le statu quo général. C’est ce que laissait entendre une question d’un journaliste espagnol d’ ’’El Pais’’ adressée au président de la République en 2006. La question est formulée ainsi : « On a un peu l’impression que l’âge d’or que vous traversez vous incite à ajourner les réformes économiques. Est-ce vrai »? La réponse va, bien entendu, dans le sens de la réfutation et précise que l’Algérie se prépare à l’après-pétrole.

Sur le plan des principes et de la ‘’littérature’’ économique vantant les vertus de l’économie de marché l’Algérie n’a pas lésiné sur les moyens pour faire connaître les nouvelles orientations économiques qui consistent à libérer l’initiative privée, à mettre à niveau celles des entreprises publiques qui ont des prédispositions à soutenir la compétition et la pression d’une mondialisation rampante et, enfin, à orienter l’investissement dans le sens de l’exhortation à conquérir les nouveaux créneaux créateurs de richesses et d’emploi. Bref, et pour reprendre les termes de l’ancien argentier du pays, M. Benachenhou, il s’agit de passer d’une économie de rente à une économie de production. C’est ce que répétera, à un terme près, le ministre des Finances, M.Karim Djoudi, en commentant la dernière loi de finances complémentaire (LFC-2009) en disant qu’il était impératif de passer d’une économie de consommation à une économie de production.

Mais, depuis que Ouyahia, en sa qualité de Premier ministre, avait tablé au milieu des années 1990 sur un volume d’exportation hors hydrocarbures de 2 milliards de dollars comme seuil minimal à partir duquel le mouvement est censé prendre son élan, on sait ce que les prévisions des autorités sont devenues. Pour les derniers exercices, le niveau des exportations hors hydrocarbures dépasse à peine le milliard de dollars. Et la tendance pour le cours terme n’indique pas un mouvement extraordinairement florissant. Par rapport au ratio classique de la balance des payements qui établit, aux yeux des autorités et des analystes, la santé économique et commerciale d’un pays, ce critère- très positif dans notre pays- doit être considéré avec circonspection en raison de eu égard de sa composante basée sur la mono-exportation de l’énergie fossile.

Aisance financière et…émeutes !

La situation des grands agrégats économiques après la ‘’thérapie’’ de l’ajustement structurel est considérée comme satisfaisante. Le niveau de la dette extérieure est quasiment nul; l’inflation est contenue dans des proportions jugées ‘’gérables’’ même si elle a tendance à prendre une courbe ascendante suite aux investissements publics distributeurs de salaires mais non encore générateurs de richesses; le chômage est officiellement fixé à 10 %, même si des experts et des partis politiques contestent sa base de calcul ; les réserves de changes se montent à quelque 200 milliards de dollars. Les plans de développements publics se suivent au rythme des quinquennats (des investissements de quelques 600 milliards de dollars depuis 1999).

Cependant, les véritables réformes attendues par les partenaires économiques tardent à voir le jour. Les privatisations, la restructuration du système bancaire (un des piliers, avec la libération du foncier, de l’acte d’investissement), la formation qualifiante, la réforme de l’administration (censée encadrer la relance économique), tous ces segments attendent d’être mis en branle pour espérer enclencher le mouvement des capitaux qui permettrait de faire dépasser à l’économie algérienne son caractère rentier.

Les griefs adressés, particulièrement depuis ces trois dernières années, à l’Algérie par les organismes financiers internationaux dans le domaine de l’action économique sont relatifs à la lenteur dans le processus de privatisation, l’immobilisme des établissements bancaires au sein desquels des surliquidités inquiétantes sont enregistrées et certaines procédures bureaucratiques liées à la gestion du foncier industriel.

Les spécialistes des questions financières pensent que les derniers scandales qui ont éclaboussé certains établissements bancaires publics (détournements, crédits douteux,…) et d’autres établissements privés sont la preuve que les règles administratives et managériales régissant ces institutions sont faussées à la base. Les règles prudentielles- qui ne doivent pas signifier réticence des banques à financer l’économie- doivent être accompagnées d’ingénierie financière et de procédures d’audits réguliers. Les prises de participation ou la privatisation partielle de certains établissements sont une partie de la solution pour leur mise à niveau.

En matière d’investissements étrangers, les réformes économiques-dans leurs volets financier, fiscal, foncier, administratif,…- constituent le levain censé assurer attractivité et capital confiance. Jusqu’à présent, les investissement directs étrangers tournent autour d’une moyenne d’un milliard de dollars par an. Ce sont plus des opérations commerciales que des vrais investissements de production et de création d’emplois. Déçues par un telle évolution de la situation, les autorités algériennes ont, depuis juillet 2009, mis en place un certain nombre de dispositifs permettant de mieux rentabiliser l’intervention des entreprises étrangères en Algérie (sociétés mixtes à 51 %-49 % de parts d’actions respectives à l’Algérie et au partenaire étranger, fiscalisation des dividendes expatriés, soumission des travailleurs étrangers à l’IRG,…).

L’autre segment des réformes qui montre une réelle résistance est imparablement celui de l’économie informelle qui emploie, selon des estimations du Conseil économique et social, quelque un million et demi de personnes (commerce sans facture, emplois non déclarés dans certaines ateliers et entreprises,…etc.). Les montants financiers qu’il brasse, la nature des activités qu’il convoite, l’évasion fiscale dont il est coupable font du secteur informel un poison mortel instillé dans le corps de l’économie structurée.

Les dernières tentatives de ‘’régularisation’’ de ce secteur par les pouvoirs publics ont entraîné des…émeutes ! C’était au début du mois de janvier 2011.

A. N. M.

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