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La politique de l’habitat face aux impératifs de développement : Une synergie qui tarde à porter ses fruits

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Les différentes tensions grevant le climat social depuis quelques années en Algérie sont presque toujours majoritairement nourries par une demande jamais satisfaite en logements. Les dernières émeutes spécifiquement ‘’dédiées’’ à cette revendication ont eu lieu en décembre 2010 à Alger au niveau des quartiers de Bachdjarrah, Les Palmiers et Diar Echems. De toutes les problématiques constituant la complexe relation entre les pouvoirs publics et les populations, celle inhérente à la demande de logement paraît la plus aigue et la moins candidate à une solution définitive. En effet, la politique de l’habitat dans notre pays a connu un parcours tortueux aussi bien dans ses ambitions de répondre à une demande exponentielle inscrite dans la durée, dans son évolution dans une logique territoriale peu soucieuse des équilibres, que dans les typologies architecturales offertes jusqu’à ce jour. Les explications de ces distorsions sont évidemment liées à l’histoire contemporaine de notre pays, particulièrement celle d’après l’indépendance, et à la politique économique à laquelle elle a donné naissance.

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Par Amar Naït Messaoud

Sous la colonisation, la grande majorité des Algériens ‘’indigènisés’’ étaient des ruraux. Ceux qui ont le loisir de se rapprocher de la ville européenne étaient confinés dans des quartiers dits arabes bien délimités. L’offre d’habitat était celle destinée aux Européens aussi bien dans la réalisation de l’habitat collectif que dans la mise à disposition d’assiettes foncières destinées à recevoir la construction de villas coloniales dans différentes villes d’Algérie.

L’accession à l’indépendance a charrié avec elle le fantasme chez les populations rurales, qui ont souffert des affres d’une longue guerre de Libération, de venir en ville ‘’prendre la place’’ de l’ancien colon, entendant par là acquérir un statut social valorisé par la présence en ville.

La politique industrielle des années soixante a favorisé en quelque sorte ce mouvement d’exode du fait des villes commençaient à recevoir leur pôles industriels (Rouiba, Arzew, Skikda, Annaba) alors que le monde rural était laissé pour compte, particulièrement sa frange confinée dans des zones éloignées des grandes exploitations agricoles. Ce sont des zones où les propriétés sont situées sur des terres marginales, montagneuses et érodées. Ce sont également des propriétés morcelées, sans titre de propriété et grevée par l’indivision.

En se déplaçant dans les milieux urbains, les populations rurales improvisent souvent leur habitat quitte pour cela à s’installer dans des taudis constituant des quartiers de bidonvilles. Les dernières attributions de logements effectuées au début de l’année 2010 dans la ville de Birtouta au profit des foyers habitant dans des bidonvilles d’Alger a quelque peu ‘’rafraîchi’’ le dossier de l’habitat précaire dans la capitale et dans d’autres villes du pays. L’on nous rappelle à l’occasion que l’installation de certains bidonvilles remonte aux années cinquante du siècle dernier. Ce sont ceux qui reçurent le ‘’lumpenprolétariat’’ du Sersou, du Hodna, du Titteri et d’autres cantons défavorisés de notre pays.

Un capharnaüm bien établi

Il se trouve que même ceux qui, parmi les nouveaux ‘’débarqués’’, et par une rare chance, ont accédé à des logements collectifs plus ou moins décents, n’ont pas eu la culture et les prédispositions mentales pour vivre une citadinité régulière et apaisée. C’est un constat établi par les sociologues, les démographes et d’autres experts en urbanisme. La ‘’critique’’, si c’en est une, ne s’adresse pas aux nouveaux habitants des villes mais au système qui a rendu possible et même inévitable l’exode rural, provoquant ainsi un phénomène connu sous le nom de ‘’ruralisation’’ des villes.

Les résultats d’un tel processus ont commencé à peser sur le tissu urbain, sur les rythmes de vie dans les villes, sur la culture du voisinage et sur le cadre de vie en général à partir des années soixante-dix. Personne n’y trouve son compte, ni le rural déplacé ni le citadin ‘’assiégé’’.

La décennie rouge du terrorisme a porté à son acmé le phénomène d’exode au point où des villes qui n’ont auparavant jamais connu de bidonvilles ont été défigurées dans leur cœur ou à leur lisière par des constructions rudimentaires et anarchiques en tôle ou en parpaing. Des garages se sont même transformés en ‘’studios’’ sans sanitaire ni eau courante.

Sur un autre plan, les spécialistes de l’aménagement du territoire et de l’habitat n’ont pas manqué d’établir la relation de cause à effet entre les effets dévastateurs des séismes dans notre pays (Aïn Temouchent, Boumerdès,…) et le degré d’anarchie et de non conformité de certaines constructions. Lorsqu’il n’y a même pas une venelle pour laisser passer les secours et les éléments de la protection civile, le nombre de victime se trouve nécessairement augmenté. Lorsque des bâtiments sont élevés dans l’urgence et la précipitation, il est difficile d’effectuer le suivi et le contrôle techniques adéquats (qualité des matériaux, dosage du béton et du fer,…). Dans des cas d’urgence- et Dieu sait que la quasi totalité des programmes est conçue et réalisée sous la pression des besoins-, même les études géotechniques où la sismicité des lieux est censée être passée au peigne fin sont menées au pied levé.

Sur le plan de la politique économique et de la gestion des territoires, la problématique du logement et de l’habitat dans notre pays ne cesse de jeter à la figure des gestionnaires et des responsables leur impuissance à gérer dans la rationalité et l’harmonie l’ensemble des segments de l’économie nationale : territoire, urbanisme, environnement, infrastructures de desserte, équipements publics, agriculture, zones industrielles, mobilité des populations, politique de l’emploi,…etc. Car, c’est connu depuis que l’homme s’est constitué en société l’habitat- en tant que ‘’nid’’ regroupant la cellule familiale, nucléaire ou élargie-, ne se crée et ne se fixe qu’autour des zones de production et de consommation, autrement dit, ce sont le travail et l’emploi qui fixent les individus dans des espaces qui seront appelés par la suite des habitats.

Des plans sur les comètes et des réalités têtues

Au vu de tous les aléas qui ont pesé sur la politique de l’habitat jusqu’à ces dernières années, les pouvoirs publics ont essayé tant bien que mal de réorganiser le secteur en définissant des catégories de logements selon les catégories sociales auxquelles elles s’adressent (logement social locatif, logement social participatif, logement évolutif, auto-construction, location-vente AADL, promotionnel, habitat rural,…).

Pour la prise en charge des aspects urbanistiques et de la répartition géographique de l’habitat, d’autres parties sont impliquées : les communes avec les Plans d’aménagement et d’urbanismes (PDAU) ainsi que les Plans d’occupation du sol (POS) ; le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement à travers le Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT).

Pour le prochain quinquennat 2010-2014, un programme d’un million de logements est prévu. Contrairement au programme réalisé pendant le quinquennat précédent (un million d’unités toutes catégories confondues), le nouveau programme bénéficiera d’études plus adaptées et touchera l’ensemble des wilayas du pays de façon à réduire le mouvement d’exode rural et à fixer les populations dans leur région d’origine. Ce sont là du moins les orientations officielles du ministère de l’Habitat. Ainsi, le choix et l’établissement de nouveaux quartiers et de zones d’habitat seront soumis aux plans d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) dont sont censées être dotées toutes les villes et agglomérations. Il s’agit, selon les déclarations du ministre Nordine Moussa au début de l’année 2010, de favoriser une mobilité des populations du nord vers les Hauts Plateaux et vers le sud de façon à créer une équité en matière de chances de développement. Cela contribuera également, selon la vision du Schéma national de l’aménagement du territoire, à atténuer la charge démographique sur les régions côtières.

Dans le cadre de la politique de soutien de l’État aux couches défavorisées, le ministre a aussi insisté sur l’importance de poursuivre l’effort entrepris dans la réalisation de l’habitat rural et de logement social. Cependant, pour combattre la fraude et le trafic dans les programmes d’habitat soutenus par l’État, le ministre fait état de l’élaboration d’un fichier national qui recensera l’ensemble des bénéficiaires. Il faut dire, dans ce contexte, qu’un retard est enregistré dans ce domaine vu le nombre d’unités de logement déjà livrés depuis le lancement du premier plan quinquennal (PSSR) en 1999.

Les pouvoirs publics ont fourni des effort considérables dans la satisfaction d’un besoin social primordial, mais les résultats sont en-deçà des attentes. Le déficit, hérité de la colonisation, en logements et en habitat décent, est une donnée connue dans l’histoire contemporaine de notre pays. Cependant, à lui seul, ce déficit historique n’explique pas l’acuité et la permanence de la crise qui s’étend maintenant sur presque un demi-siècle.

Au cours du quinquennat 2005-2009, le programme du gouvernement a tablé sur la réalisation d’un million de logement. Les nouveaux chiffres donnés par le ministre de l’Habitat vont plus loin et se situent dans les 1,6 millions d’unités- tous programmes confondus.

Néanmoins, au-delà du nombre d’unités d’habitations à réaliser- sous toutes les formules : sociale, promotionnelle ou rurale, imaginées par les autorités du pays-, jusqu’à quand la problématique du logement continuera à être appréhendée en termes exclusivement quantitatifs au détriment d’une vision globale qui intégrerait toutes les données du problème ? Multiplier le nombre d’unités de logements au rythme de la progression géométrique que connaît la démographie dans notre pays paraît un travail d’Hercule qui épuiserait toutes les énergies nationales sans pouvoir satisfaire un jour la demande en la matière. En plus de l’impératif de diversifier les formules d’acquisition de logements par les ménages –en faisant intervenir des crédits immobiliers et d’autres formes de soutien-, il importe aussi de se pencher sur la manière dont se pose le problème du logement en Algérie et sur les raisons d’une demande astronomique concentrée en milieu urbain. Il y a lieu, dans le cadre du nouveau plan d’investissement public que compte lancer le gouvernement à partir de 2010 de réfléchir sérieusement à la problématique du logement, non seulement sur le plan technique (normes, matériaux, coût du m_, règles parasismiques,…), mais aussi sur le plan social et économique et dans une perspective d’aménagement du territoire rejoignant les réflexes de prospective générale que sont censés développer les gestionnaires et les décideurs du pays.

C’est en substance la vision développée par le ministre en 2010 devant les députés lorsqu’il a insisté sur le souci de respecter le plan d’aménagement du territoire et les règles d’urbanisme.

Se conformer aux orientations du SNAT

La projection du schéma d’aménagement du territoire s’articule autour de l’espace, de la répartition des population et de la gestion des ressources de façon à obtenir un développement rationnel, harmonieux et intégré qui s’appuie sur les vocations des sites et des régions, valorise les potentialités et domestique les contraintes.

Bien que les structures administratives et les services techniques chargés de ce volet important de l’économie nationale aient été installés depuis longtemps, au même titre que tous les autres services ayant simultanément les attributs techniques et de puissance publique, l’action et l’efficacité sur le terrain laissaient à désirer particulièrement à l’ombre de la rente pétrolière, pendant les décennies 70 et 80 du siècle dernier, où aucune espèce d’imagination ou de créativité n’était exigée des cadres et techniciens qui étaient chargés de l’administration spatiale de l’économie nationale et des équilibres naturels basés sur la gestion rationnelle des ressources.

L’une des grandes dérives de développement que l’Algérie des années 2 000 a héritée du processus de construction nationale après l’Indépendance est, aux yeux des aménagistes et des économistes, le déséquilibre de la répartition spatiale de sa population, des ses investissements et de sa gestion des ressources, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception la plus large qui recouvre aussi et surtout le capital foncier. Même si la terminologie moderne impose son lexique- aménagement du territoire, développement durable, sauvegarde de la biodiversité- qui fait florès au sein des bureaux d’étude et des départements techniques de certains ministères, les préoccupations relatives à la gestion des territoires ont accompagné les différents plans de développement des pays avancés et de beaucoup d’autres pays dits émergents. L’Algérie, qui s’est dotée depuis les années 1970 de structures administratives inhérentes à l’aménagement du territoire, s’est rapidement laissée griser par la rente pétrolière qui a permis une urbanisation effrénée et anarchique, suivie de pôles industriels autour de certains grandes villes. Cette situation a drainé des populations de l’arrière-pays montagneux et steppique au point où l’exode rural est devenu une réalité avec laquelle il faut compter dans tous les autres programmes de développement et particulièrement ceux inhérents à la construction de logements.

La politique du ministère de l’Habitat en matière d’équilibre régional basé sur une occupation rationnelle de l’espace rejoint les contraintes et les projections des différents secteurs dans leur souci de s’adapter et de se soumettre aux orientations du plan d’aménagement du territoire. En tout cas, tous les indices montrent un engorgement de la partie Nord du pays. La concentration des activités économiques y a crée des problèmes de circulation presque insurmontables (le nombre d’accidents de la route est dans ce cas un des indices majeurs) d’autant que le réseau du chemin de fer n’a subi aucun changement depuis l’époque coloniale, se réduisant presque à l’unique ligne du Nord avec des brettelles réduites en peu de chagrin.. D’autres problèmes d’infrastructure et d’équipement annoncent une asphyxie prochaine de la bande littorale (AEP, décharges publiques, réduction drastique de réserves foncières pour les programmes d’équipement,…). La devise d’ ‘’équilibre régional’’ arborée pendant des années- sous couvert de plans triennaux, quadriennaux et de plans spéciaux- est, on en convient aujourd’hui, un slogan creux qui n’avait pas son prolongement sur le terrain.

Aujourd’hui, la politique nationale du logement semble bénéficier d’un regard et d’une stratégie plus rationnels au vu des nouvelles orientations du ministère de l’Habitat révélées au cours de la séance des questions orales à la dernière session de l’APN. Il y est fait état de la construction de 1,6 millions d’unités dont 35 % ont été réalisées dans les zones rurales et 13 % dans la région Sud du pays. Le reste du nouveau parc logement étant situé dans la région Nord.

Outre les problématiques de l’occupation rationnelle de l’espace et de la mise en place d’une politique judicieuse d’urbanisme, les autres grandes questions sur lesquelles les pouvoirs sont aujourd’hui interpellées sont notamment celles relatives à la disponibilité et au coût des matériaux de construction. Ciment, rond à béton, gravier, sable sont les quelques éléments ‘’trouble-fête’’ d’ambitieux programmes lancés par le gouvernement. Ces éléments dépendent naturellement d’autres secteurs économiques. C’est pourquoi la coordination et la synergie devraient être placées au fronton de tout programme de construction.

Habitat rural : une réussite à conforter

Lorsque le programme d’habitat rural a été lancé au début des années 2 000, un certain flottement avait prévalu quant à la destination précise de ces infrastructures. Ce n’est qu’avec les projets de proximité de développement rural (PPDR) lancés en 2003 que le lien entre l’emploi, la source de revenu et l’habitat a été sérieusement pris en charge. En effet, dans certaines zones, pour n’avoir pas pris en considération ce paramètre, de jolis logements ruraux ont été transformés en résidence secondaire pour des propriétaires établis dans les grandes villes ou ont été loués à des exploitants de la région qui les ont transformés en étables ou hangars. La politique des projets de proximité a permis à des foyers ruraux établis dans des chaumières ou autres bâti vétuste de bénéficier d’une maison décente dont le montant de soutien était de 500 mille dinars, révisé à la hausse, 700 mille dinars, depuis deux ans.

Depuis son lancement, le programme d’habitat rural a évolué aussi bien dans ses procédures administratives, dans la mise en place des programmes par les wilayas que dans son appréhension en tant que moyen de stabilisation et de promotion sociale par les ménages concernés. Au moment où un tel programme était sorti des tiroirs des pouvoirs publics, le monde rural vivait encore le calvaire du chômage, du dépeuplement de ses espaces et surtout de l’insécurité. La manière même avec laquelle on a voulu populariser un tel programme ne tenait pas de la grande pédagogie puisque il s’agissait de se ‘’rapprocher’’ de l’administration –terme galvaudé et ayant perdu tout crédit- pour s’inscrire selon des modalités qu’on découvrira in situ. La mairie et la subdivision agricole sont les premières structures concernées en attendant l’autre filtre, la daïra. Puis, c’est un comité de wilaya qui tranchera les listes définitives.

Une première approche d’explication pour situer le programme dans sa dimension stratégique a été initiée à partir de 2002 par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural. Les différentes sorties sur le terrain des responsables de ce département a permis de vulgariser les principes soutenant le programme d’habitat rural. Il s’agit d’abord de prendre conscience qu’un logement, aussi luxueux soit-il, ne fait pas vivre une famille d’autant qu’il est implanté dans une région rurale où il ne serait même pas convoité pour une éventuelle location. Le logement rural, soutenaient les responsables de l’Agriculture, doit être appréhendé comme une mesure d’accompagnement pour des projets de proximité de développement rural permettant de générer des revenus aux populations bénéficiaires. C’est pourquoi, une grande partie des demeures rurales construites pendant les années 2003-2005 étaient liée à des projets de proximité qui comprenaient des plantations fruitières, des ruches, de l’aviculture, de l’aménagement/ouverture de pistes, des modules d’artisanat,…etc.

Il y a lieu de rappeler que les flux d’exode des populations rurales vers les villes au cours de la décennie 1990 ont entraîné avec eux l’insouciance des autorités locales quant aux actions de développement. Des pistes sont restées impraticables pendant des années. Les anciennes routes ouvertes par le génie militaire français pour les besoins de la guerre et qui avaient desservi aussi des bourgades et des villages sont tombées en ruine. Le retard d’électrification, d’adduction d’eau potable, d’assainissement et de raccordement au téléphone n’encourage pas les anciens habitants à retourner chez eux. Et, raison capitale, aucune politique de l’emploi en milieu rural, basée sur l’agriculture, l’élevage et l’artisanat n’avait été initiée.

Amar Naït Messaoud

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