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Les études techniques et économiques dans le cadre des propgrammes d’investissements publics : Clé de voûte de la réussite des projets

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Les mégat-projets lancés à l’occasion des trois derniers plans d’investissements publics ont fait remonter à la surface des préoccupations majeures de l’économie nationale le sujet des études censées devoir précéder et encadrer tout projet de développement. Avec l’aisance financière dont dispose le pays, ces études sont non seulement possibles mais obligatoires. Si cette notion d’obligation d’études est perçue facilement pour les grands projets d’infrastructures (autoroutes, barrages hydrauliques, hôpitaux,…), il n’en a pas été toujours de même pour les travaux ou ouvrages jugés ‘’mineurs’’.

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Par Amar Naït Messaoud:

Même là où des études ont été réalisées et payées grassement, le sérieux et le niveau de compétence exigés ne sont pas toujours au rendez-vous. En tout cas, au fur et à mesure de la mise en œuvre des projets de développement, apparaissent au grand jour les erreurs et les défaillances dues au déficit ou à l’absence d’études préalables. La routine de réalisation et sans doute aussi l’impunité dont ont joui jusqu’à un passé récent certains entrepreneurs, gestionnaires et maîtres de l’ouvrage qui ont failli dans la conduite technique de leurs projets ont fait que, pour certains, ce qui est convenu d’appeler les études préalables apparaît comme une simple coquetterie intellectuelle dont on peut allègrement faire l’économie. Des responsables au niveau gouvernemental ont eu à déplorer, à maintes reprises, cette situation de ‘’fait accompli’’ qui fait que l’on se retrouve parfois devant des ouvrages d’importance qui n’ont pas pu bénéficier d’une parfaite attention sur le plan des études.

C’est pour corriger un tant soit peu cette situation ubuesque que le gouvernement a introduit des clauses obligatoires dans toutes les procédures d’inscription de projets de façon à ce que ces derniers soient d’abord soumis à des études. C’est dans le décret n°09-148 du 2 mai 2009 relatif aux dépenses d’équipement de l’État que de telles dispositions ont été insérées.

L’article 6 dudit décret dispose : « Tout projet d’équipement centralisé ou déconcentré doit faire l’objet d’une inscription en étude au titre du budget d’équipement de l’État.

Ne peuvent être proposés pour l’inscription en réalisation, au titre du budget d’équipement de l’État, que les programmes et projets d’équipement centralisés ayant atteint une maturation suffisante permettant de connaître un début de réalisation dans l’année ».

Le texte de loi explique ce qui est entendu par études de maturation : « Par études de maturation d’un projet ou programme d’équipement public, on entend l’ensemble des études permettant de s’assurer que le projet est de nature à contribuer au développement économique et social à l’échelon national, régional ou local, et que les travaux de réalisation du projet sont prêts à être lancés dans les conditions optimales de coût et de délais ».

Il est également expliqué aux maîtres de l’ouvrage et aux ordonnateurs du budget d’équipement public que l’inscription des projets demeure tributaire de la finalisation des études d’exécution. « Aucun projet d’équipement public de l’État, centralisé ou déconcentré ne peut faire l’objet d’une inscription en réalisation, au titre du budget d’équipement de l’État, si les études d’exécution de ce projet n’ont pas été finalisées, réceptionnées et validées, sauf décision exceptionnelle du conseil des ministres liée à une situation d’urgence ».

Conception et maturation des projets

Un projet doit bénéficier d’emblée d’une justification sociale ou économique, ce qui renvoie logiquement à une étude d’opportunité.

Ensuite, vient la deuxième phase, celle de la faisabilité technique, particulièrement lorsqu’il s’agit de grands ouvrages (ponts, viaducs, chemin de fer, barrage hydraulique,…etc.).

Dès que, techniquement, le projet est déclaré viable, il sera appelé à subir l’examen des responsables chargés de l’environnement pour évaluer les retombées de l’ouvrage (en phase de réalisation ou en phase final) dans le domaine de l’environnement. Cette hase est appelée ‘’étude de l’impact environnemental’’. C’est un critère important qui s’est imposé à l’échelle du monde à tel point que, pour une demande de financement extérieur d’un projet par exemple, le bailleur de fonds n’accepte de mobiliser son argent qu’après avoir eu accès à l’étude de l’impact environnemental. L’Algérie a eu à se soumettre à cette conditionnalité dès les années 1990 dans certain projets qui n’avaient pas encore l’envergure de l’autoroute Est-Ouest ou des grands barrages hydrauliques. Des pistes agricoles ou rurales financées par la Banque mondiale ont reçu des études d’impact pour estimer par exemple les degrés de nuisances (sonores, liées à la disparition du couvert végétal ou au futur passage des véhicules) sur la faune locale. La donne environnementale est devenue, de par le monde, un paramètre incontournable dans tout processus de développement. Lorsque la nécessité s’établit de réaliser l’ouvrage en question malgré les nuisances induites, la balance devrait être rééquilibrée par ce qui est appelé les mesures d’atténuation susceptibles de compenser les désagréments charriés par la mise en place de l’ouvrage. C’est ce à quoi nous avons assisté dans le cas précis du passage de l’autoroute Est-Ouest par le territoire du Par national d’El Kala sur environ 15 kilomètres. Le département des Travaux publics a pris des mesures compensatoires pour permettre la continuité du processus biologique dans les espaces attenants à l’autoroute, comme il a fait suivre l’ouvrage entier (1216 km) d’un espace vert enserrant l’ouvrage sur ses deux flancs. Cette opération a requis la sollicitation des spécialistes chargés des espaces verts, des forêts et du paysagisme.

La dernière phase des études avant le lancement des travaux est, bien entendu, l’étude d’exécution. Cette dernière fixe les volumes des travaux, quantifie les apports de matériaux et fournitures, établit les devis (montants des travaux, prestations et fournitures) à l’unité de mesure (mètre carré mètre cube, mètre linéaire,…), puis, elle définit les modalités pratiques d’exécution des travaux à effectuer.

Sur la base de l’étude d’exécution est élaboré le cahier de charges qui doit faire l’objet d’une publicité sous forme de consultation ou d’avis d’appel d’offres destinés aux entreprises soumissionnaires.

Ce processus des études qui aboutit à l’élaboration d’un cahier de charges est théoriquement bien connu en Algérie. Dans plusieurs projets, il a été mis à exécution selon le chronogramme requis. Cependant, depuis une quinzaine d’années, des questions fondamentales se posent avec acuité. D’abord, il y a la faiblesse des bureaux d’études publics algériens hérités de l’économie administrée. Cette faiblesse – en ressources humaines, équipement et nouvelles technologies- est la conséquence de la déstructuration du tissu des entreprises publiques au cours de ces vingt dernières années. Les bureaux d’études privés n’ont pas encore acquis l’envergure nécessaire pour prendre le relais.

Partenariat avec l’étranger : les limites d’une prestation

C’est pourquoi, plusieurs projets relevant des programmes d’investissements publics mis en œuvre depuis 1999 ont fait l’objet d’études réalisés par des bureaux d’études étrangers. Même les conditions fixées par les cahiers de charges qui ont fait l’objet d’appels d’offres internationaux se sont révélées quelques peu dissuasives par rapport aux capacités des bureaux d’études algériens. Cependant, le constat a été fait- y compris par le président de la République qui eut à le déplorer publiquement dans une instruction datant de décembre 2009- que le travail effectué par les bureaux d’études étrangers n’est pas au-dessus de tout soupçon. Des erreurs, des malfaçons, des surestimations ont émaillé plusieurs de ces études qui ont trait à des projets aussi bien d’envergure nationale que ceux d’importance locale.

Ce sont l’affairisme et l’arnaque dans le secteur des bureaux d’études étrangers qui ont fini par échauder les Algériens, ce qui a conduit la directive présidentielle du 13 décembre 2009 à parler d’ « études virtuelle ou fictives qui font l’objet d’un commerce auprès d’opérateurs nationaux. Ces derniers, mal informés, paient le prix fort en devises pour ces études ».

Les préjugés défavorables qui pèsent aujourd’hui sur un grand nombre d’études contractées avec des partenaires étrangers posent en termes crus la problématique du degré de développement du potentiel « études » » de l’économie algérienne. Sous l’ère de l’économie administrée, et malgré le ‘’volontarisme’’ politique qui avait tendance à évacuer la dimension technique des projets, des bureaux d’études nationaux ont fait œuvre magistrale lorsqu’ ils sont sollicités pour une tâche relevant de leur domaine. Hydraulique, construction, aménagement urbain, architecture, travaux publics et autres secteurs d’activité ont eu leurs bureaux d’études publics. Passés sous le statut d’EPIC à partir de la fin des années quatre-vingt du siècle dernier, ils firent les frais d’une politique anarchiquement libérale et ils subirent, sans doute avec plus d’acuité et moins de pitié le sort des entreprises publiques qui en arrivèrent à manquer de plans de charges et dégraisser leurs effectifs. Aucun plan de requalification et de mise à niveau n’est venu réhabiliter et promouvoir un potentiel d’études exceptionnel. Pire, la fuite des cadres vers des horizons plus cléments (bureaux d’études privés, installation à l’étranger), phénomène auquel s’est greffée la démarche stupide de la retraite anticipée, a fini par dévitaliser le peu de boites publiques qui ont survécu jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix du siècle dernier. Un capital expérience qu’il n’est pas facile de reconstituer en quelques années.

Réhabiliter le potentiel national

Les gestionnaires de l’économie nationale semblent aujourd’hui se rendre compte de cette saignée qui a fait perdre à l’Algérie d’immenses compétences en matière de bureaux d’études. Le constat est d’autant plus amer que les boites privées installées à la faveur des grands programmes d’investissement de l’État manquent souvent de tout, à commencer par l’essentiel : la ressource humaine. Hormis le gérant qui peut être un ingénieur, un licencié ou un architecte, les prestations qu’un contrat peut induire pour ces bureaux est généralement confié à des ‘’sous-traitants’’. Le concept de sous-traitant est entendu ici dans le sens de ‘’tâcheron’’. Topographe, technicien en travaux publics et d’autres agents indispensables sont recrutés à la hâte pour deux ou trois semaines pour faire le travail de terrain. La synthèse est censée être faite par le responsable de la boite.

Sur le plan matériel, les choses ne semblent pas être différentes. En obtenant un marché auprès d’une direction ou d’une APC, le bureau d’études sollicite son maître de l’ouvrage pour la cartographie que la bureau d’études est supposé acheter auprès de l’Institut national de cartographie. Parfois, il le sollicite même pour un bureau dans lequel il va réaliser ses travaux de dessin ou de cartographie. Dans la plupart des cas, ce genre d’insuffisances se répercute directement sur la qualité des prestations d’étude.

C’est pourquoi, un effort considérable est attendu des pouvoirs publics pour assister les bureaux d’études publics dans leur mise à niveau aussi bien dans le volet technologique (acquisition du matériel numérique utilisé à travers le monde) que dans le volet de la ressource humaine (formation continue pour l’encadrement).

Sur le plan de l’accès à la commande publique, ces bureaux d’études publics- de par les économies de devises qu’ils sont susceptibles de générer au trésor public- espèrent bénéficier d’une attention moins distraite des maîtres de l’ouvrage qui lancent des programmes d’investissements publics.

Avec les orientations du nouveau code des marchés publics, ce sont bon nombre de bureaux d’études algériens- publics et privés- qui auront l’occasion de se redéployer sur le terrain et de renforcer leurs capacités humaines et techniques pour relever le défi d’une implication plus vigoureuse dans l’acte de développement, et, ce, à la faveur de la clause qui énonce clairement la préférence nationale à hauteur de 25% dans les marchés publics.

Encadrement du plan 2010-2014

Les études préalables requièrent visiblement une importance cruciale dans l’étape actuelle de l’économie algérienne où les volumes financiers des programmes d’investissements publics s’expriment en milliards de…dollars.

Si les deux plans quinquennaux lancés respectivement en 1999 et 2005 ont connu une certaine ‘’précipitation’’ aussi bien dans la formulation des projets par les secteurs concernés que dans la phase d’exécution- ce qui explique en partie les réévaluations de certains marchés et une rallonge de programme d’environ…150 milliards de dollars déductible du montant du nouveau plan-, le plan d’investissements publics pour la période 2010-2014, adopté en printemps 2010 par le Conseil des ministres et en octobre dernier par le Parlement, a pu bénéficier d’une attention plus soutenue de la part de ses concepteurs bien avant la formulation des projets inscrits dans le cadre de ce plan.

Le Commissariat à la planification et à la prospective (CGPP) qui avait examiné au début 2010 l’opportunité et la faisabilité d’un tel plan d’investissements, a fait état d’une certaine expérience que l’administration algérienne aurait acquise en matière de procédures dans la mise en œuvre des deux premiers plans. Il a néanmoins relevé des faiblesses et des lacunes qui ont grevé les deux premiers plans. Les principales citées sont : la prédominance de la vision de projet sur celle de programme, la multiplicité des objectifs, la maturation insuffisante des projets, l’appréciation souvent erronée des capacités de réalisation et la non prise en compte des dépenses récurrentes dans l’évaluation. Ces incohérences se traduisent, estime le Commissariat général à la planification et à la prospective, par des « surcoûts et un gaspillage des deniers de l’État ». Cette conclusion rejoint l’observation qu’Ahmed Ouyahia a faite en 2008 : « les structures de l’État n’ont jamais eu à gérer autant d’argent. Ceci a engendré du gaspillage, un comportement, je dirais, d’enfant gâté en plus de l’existence de la corruption et de détournements, conjugués aux effets de la crise nationale que l’Algérie a subie, qui a fait que des groupes d’intérêts se sont renforcés et ont engrangés des gains illicites ».

Rationalité cohérence et efficacité semblent les éléments-clefs qui ont guidé la démarche du CGPP et auxquels le programme projeté pour l’horizon 2014 devra être soumis. Les paramètres importants fixés aux wilayas pour formuler les projets à inscrire dans le plan sont, entre autres : l’importance des programmes en cours, la capacité d’absorption des investissements publics du secteur ou de la wilaya, des objectifs à atteindre en matière de développement économique et social, la capacité à gérer les risques et éventuelles contraintes, les conditions préalables à la réalisation et la viabilité économique et financière des projets.

Faire prévaloir ces paramètres répond au souci de faire que « le calibrage des programmes sectoriels et locaux fasse de ces éléments des ensembles de projets cohérents, réalistes et réalisables dans des délais raisonnables et à des coûts acceptables.

Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de tenir compte des expériences récentes vécues lors de la conception et de la réalisation du PSRE, du PCSC ainsi que du programme d’investissement courant de l’État dans ses composantes centralisée, déconcentrée et des plans communaux de développement ».

Dans le schéma de préparation du Plan, il est demandé aux administrations d’ « encourager et de privilégier l’intervention des entreprises nationales, en conformité et dans le cadre des marchés publics», ainsi que de mobiliser, pour chaque projet, les moyens budgétaires consacrés à la formation (jusqu’à 5 %). Rappelons que le nouveau Code des marchés publics, décret n°10-236 du 7 octobre 2010, réserve 25 % de préférence nationale à l’entreprise algérienne dans le cadre des appels d’offre internationaux. Le recours à la procédure de l’appel d’offre international se trouve également limité aux cas où l’offre nationale- en travaux, fournitures ou études- s’avère clairement déficitaire ou absente.

Le défi des ressources humaines

Ce sont là deux visions novatrices majeures tirées des leçons des deux premiers plans, lesquels se sont heurtés d’une façon frontale aux problèmes d’impréparation- sur le plan technique et matériel- des entreprises de réalisation algériennes, qu’elles soient publiques ou privées, et de formation du personnel. Le déficit de formation se retrouve aussi bien dans le corps technique des entreprises qu’au sein des administrations maîtres de l’ouvrage chargées du suivi et du contrôle des travaux.

Dans le cadre du nouveau plan d’investissements publics, le Commissariat général à la planification et à la prospective compte remédier au déficit de ressources humaines au sein des administrations chargées des projets inscrits dans le cadre du Plan par une dispositif qu’il évoque de la manière suivante : « chaque ministère/wilaya tiendra compte des particularités des secteurs dont il a la charge, la complexité de certains projet pouvant être assimilée, pour les besoins de l’estimation, à un accroissement du coût. La capacité d’étude du ministère ou de la wilaya et de suivi de la réalisation des projets pourra être complétée par un nombre additif raisonnable de cadres dont il est prévu le recrutement, compte tenu du nombre de postes budgétaires autorisés pour les années 2010 à 2014 ». Là se pose la question de savoir dans quelle mesure une telle proposition de solution pourrait réellement contribuer au renforcement de l’encadrement de l’administration. En effet, deux éléments viennent limiter la portée de ce dispositif. D’abord, le nombre de postes budgétaires autorisés pour les années 2010-2014 ; en suite, les compétences et la qualification réelle de l’encadrement, aussi bien celui déjà en place que celui dont on envisage le recrutement.

La Commission des réformes de l’État installée par le président de la République au début des années 2000 a fait un diagnostic peu flatteur sur l’encadrement et le fonctionnement de l’administration algérienne. Dans ses investigations, elle a fait état de la médiocrité de l’encadrement, de l’inefficacité des méthodes de travail, du manque d’adéquation entre la formation scolaire et universitaire avec les véritables missions de service public et de puissance publique et, enfin, des incohérences et travers générés par l’hypercentralisation des pouvoirs de décision aggravés par une division déséquilibré du territoire. Les nouvelles méthodes de gestion et de management ne sont pas à la portée de tous les personnels de l’administration publique. Un besoin crucial de formation et de requalification s’impose.

Amar Naït Messaoud

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