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La gestion des ressources humaines dans le nouveau contexte économique : La gouvernance de l’entreprise en question

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Depuis le début de l’année en cours, les pouvoirs publics, les syndicats et les porteurs des revendications sociales ne jurent que par la création d’emplois. Toutes les formules possibles et imaginables ont été testées en l’espace de cinq mois pour essayer de rattraper des retards induits par des années d’hésitation et de navigation à vue, où la politique d’investissement- seule possibilité réelle de création d’emplois- n’a pas pu bénéficier d’un dynamisme à la hauteur de cette mission. « Un bon développement de la PME est la meilleure réponse contre le chômage, pour la diversification de l’économie, pour sortir de la dépendance pétrolière et favoriser les exportations », estime Redha Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprises (FCE) à la veille de la réunion de la tripartite (gouvernement, syndicat, patronat) du 28 et 29 mai 2011.

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À l’intérieur de la marge qui est la sienne, le gouvernement a étendu les dispositifs sociaux de résorption temporaire de chômage par le biais de l’Agence nationale de l’emploi (ANEM) et à travers également le réseau du micro-crédit de l’Ansej et le Angem. Cependant, le challenge d’offrir le maximum d’emplois aux jeunes chômeurs exige que soit réhabilité le travail créateur de richesses à travers des investissements productifs. Et c’est le climat des affaires dans le pays qu’il y a lieu de refonder pour l’ensemble des facteurs concourant à l’acte d’investissement (crédits, foncier, administration, fiscalité…).

Sur le plan de la gestion et du management des entreprises, le sujet de l’emploi et de la ressource humaine qui lui est consubstantiellement liée n’a pas encore pu bénéficier de tout l’intérêt qu’il requiert dans cette phase cruciale de l’évolution de l’économie nationale. En effet, une grande partie de la littérature économique en circulation depuis ces dernières années, divers séminaires et d’autres supports ou occasions liés à la politique du développement de l’entreprise algérienne convergent vers le constat que l’investissement fondamental, précieux, à savoir la ressource humaine, se trouve être le moins sollicité dans la phase actuelle de la croissance des entreprises. L’on s’est même rendu à l’évidence que le discours et l’argumentaire portant sur ce volet de la gestion de l’entreprise sont les moins ‘’accessibles’’ à l’intelligibilité des gestionnaires ; en tout cas, il a été observé que- comparativement aux soucis financiers ou matériels-, la réactivité des managers est beaucoup plus lente lorsqu’il s’agit de questions liées à l’homme dans l’entreprise ; c’est-à-dire la formation, la technicité la compétence, les relations de travail, l’organigramme, l’organisation générale, la dimension ergonomique du travail et tout l’environnement professionnel du travailleur qui constitue sa deuxième famille. Les notions de groupe, d’équipe de travail, d’inter- influence, de relations humaines, de nouvelle ergonomie, de flexibilité des horaires de travail,…commencent à peine à circuler dans les milieux syndicaux et ouvriers algériens. Rien d’étonnant à ce que ce soit les grands groupes privés, tel que Cevital, qui essayent de s’arrimer aux normes universelles de travail, aussi bien par l’organisation interne et le mode de rémunération que par et les services connexes (santé du travail, récréation et loisirs, formation continue,…). Cela a crée un nouveau concept sous le nom de « gouvernance de l’entreprise ».

Une évolution fulgurante

La phase par laquelle passent le monde du travail et de l’entreprise en Algérie est une période charnière qui s’ouvre sur les réalités du monde où la notion de la gestion des ressources humaines est déjà entrée dans les pratiques depuis la fin des années quatre-vingt du siècle dernier. Même dans le cadre des délocalisations de certaines entreprises européennes vers des cieux moins contraignants sur le plan salarial, le souci de la gestion des ressources humaine est toujours présent quitte même à adapter cette notion au nouveau contexte géographique et humain voulu par la délocalisation.

Il est vrai que, pour l’ensemble des secteurs de l’économie nationale, le concept de l’emploi a évolué de façon fulgurante au cours des quinze dernières années suivant en cela la courbe des changements économiques, de la transformation de l’entreprise et de l’accélération des échanges à l’échelle mondiale. En tout cas, il ne répond plus à la définition figée d’un poste salarié stable, d’une carrière assurée et d’un revenu correspondant toujours au coût de la vie. Ce fut une période où l’illusion de richesse et de prospérité permise par l’économie rentière assurait un plein emploi factice généré par une pléthore de personnel dans les entreprises publiques et l’administration. Le pays paya chèrement ce genre d’errements politiques où le populisme rivalisait avec la démagogie. Il se réveilla brutalement à une nouvelle réalité où les aléas font partie du quotidien et où l’incertitude qui pèse sur le travail et l’emploi est devenue la seule… certitude du moment. Ainsi, une nouvelle terminologie verra le jour dans le monde du travail avec laquelle il faudra désormais compter : marché du travail, flexibilité du travail, chômage structurel/conjoncturel, qualifications, valeur réelle et pratique d’un diplôme, contrat à durée déterminée, contrat à durée indéterminée et d’autres termes qui rompent radicalement avec les belles uniformité et linéarité d’antan qui faisaient d’un collégien, sans coup férir, un futur universitaire couronné d’un poste dans l’administration ou dans une entreprise publique jusqu’à la retraite.

Les soucis d’adaptation de l’entreprise à la nouvelle donne, où concurrence et compétitivité invitent les gestionnaires à une vigilance sans faille, ont généré un autre type de regard vis-à-vis du personnel exerçant dans les ateliers. Par-delà la traditionnelle préoccupation de vouloir minimiser les coûts de production par l’utilisation d’un nombre minimum d’ouvriers, une autre logique de la gestion des ressources humaines commence à faire valoir ses canons même si elle n’est pas appréhendée avec le même degré d’importance par tous les acteurs.

Flexibilité et nouvelles normes

Les nouvelles perspectives qui se dessinent pour le monde du travail induisent imparablement plus de flexibilité dans presque la totalité des domaines (horaires, rythmes hebdomadaires ou mensuels, rémunération,…). L’encadrement de tels changements par les pouvoirs publics seront cantonnés, comme dans la plupart des économies de marché dans les ‘’minima sociaux’’ qui devront sauvegarder la santé et la dignité humaine du travailleur, y compris par un SMIG imposé (résultat de la concertation avec les partenaires sociaux) et une obligation de déclarations sociales (desquelles découleront les droits aux assurances sociales et à la retraite). En dehors de ces éléments de base que l’Etat tente de faire respecter, les entreprises n’attendront des pouvoirs publics que l’incitation à l’investissement, l’équité fiscale et l’exercice de son pouvoir régulateur.

Pour asseoir de tels schémas en direction des entreprises, des travailleurs et du marché de l’emploi- schémas qui contrastent radicalement avec l’ancien système administré-, l’État algérien a procédé à des réformes qui restent partielles ou qui manquent d’harmonie générale. En tout cas, c’est l’avis de plusieurs opérateurs économiques qui rencontrent une multitude de problèmes sur le terrain.

Le passage d’un système économique et social bâti sur le populisme et la rente vers un système s’inspirant de la rationalité et s’ouvrant sur le monde ne pouvait se réaliser dans la sérénité et l’ ‘’entente cordiale’’ de tous les acteurs et partenaires. Au cours de cette période de transition, le hiatus entre les différentes couches de la société se fait de plus en plus béant menaçant parfois même la stabilité du pays et la paix civile. Le nombre d’exclus ne cesse, en effet, d’augmenter, même si le gouvernement- à travers certains des différents dispositifs sociaux- essaye de contenir le cercle de la pauvreté en venant en aide aux catégories les plus vulnérables. Avec l’ouverture de l’économie nationale au privé une nouvelle faune d’entrepreneurs a pris le relais d’une économie publique moribonde. Dans presque tous les secteurs d’activité des micro-entreprises de travaux, de prestations de service ou de production ont vu le jour. Le recrutement du personnel s’est limité au strict minimum pour faire des gains de productivité partant, des gains de marge bénéficiaire. Cela dans le cas où l’employé est déclaré à la sécurité sociale. Souvent, ce n’est pas le cas. Dans plusieurs villes d’Algérie, des ateliers de fabrication de vêtements et d’autres lingeries, de petites usines de confection en maroquinerie, emploient des travailleurs et des travailleuses à ‘’huis-clos’’, c’est-à-dire les portes fermées, de peur d’une visite inopinée de l’inspection du travail.

Comme on l’a observé à partir de certains témoignages, le travail au noir ne se limite pas à des activités commerciales non déclarées, mais il a aussi gangrené une partie des activités légales où les patrons d’entreprises bien installées ne déclarent pas la totalité du personnel recruté. La peur qui plane sur des emplois déjà précaires ne peut aboutir qu’à la loi de l’omerta. D’ailleurs, très peu de plaintes sont déposées au niveau des inspections de travail des wilayas se rapportant au nom respect des lois du travail.

Des enquêtes sur le terrain ont révélé en 2007 que sur 7500 PME, 42% des effectifs ne sont pas déclarés et 30% de leur chiffre d’affaire échappent au fisc. Ce sont des déviations et des infractions que ne supporterait aucun pays organisé selon la logique d’un État moderne dont le budget est constitué de la fiscalité versée par le contribuable au profit de la collectivité. En Algérie, le retard de fiscalisation et les déficits en termes de fonds générés par ce phénomène ne sont tolérés que parce que les trous monétaires ainsi crées sont comblés par la magie de la rente pétrolière.

Nouvelle conception de la gestion des ressources humaines

Les conséquences d’une transition économiques mal conduite ont entraîné une libéralisation effrénée des prix, des plans sociaux pour les entreprises publiques, un taux de chômage effarant et la neutralisation de la classe moyenne qui, partout dans le monde, est considérée comme étant l’ossature culturelle et idéologique de la cohésion sociale et de la construction du projet démocratique.

Ce genre de dérèglements est loin de constituer une spécificité algérienne. Il concerne la presque totalité des anciens pays socialistes de l’Europe de l’Est et d’autres pays à économie de transition.

Prise en étau par les multiples défis économiques et sociaux qu’il fallait relever en un temps record après le retour relatif à la sécurité depuis le début des années 2000, l’Algérie commence à peine à s’intéresser à l’encadrement de ses entreprises, des ses chantiers, de ses ateliers et de ses administrations. La réflexion est engagée depuis le milieu de la décennie en cours par les différents départements ministériels et les centres d’études en relation avec le monde du travail.

Parmi les dossiers que le gouvernement promet de réexaminer en profondeur, l’amendement du code du travail constitue une pierre angulaire dans le nouvel édifice des lois et règlements inscrits dans l’agenda des réformes économiques et sociales. Promise par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale depuis 2009, la révision du Code du travail n’est pas encore programmée pour un débat au sein de l’instance parlementaire, même si, assure-t-on, l’esquisse du nouveau texte est déjà réalisée au niveau du département ministériel concerné.

La Tripartite de décembre 2009 (réunissant la centrale syndicale UGTA, le patronat et le gouvernement), tout en établissant un SNMG à 15 000 dinars, n’a pas manqué d’établir la relation entre les statuts particuliers des travailleurs des différents secteurs d’activité les nouvelles grilles salariales et le canevas proposé pour l’amendement du code du travail.

Les investissements publics focalisés sur les grandes infrastructures et les équipements publics vont continuer à travers le plan 2010-2014 lancé l’année dernière avec une enveloppe financière de 286 milliards de dollars. Ces ouvrages et infrastructures- en tant qu’éléments participant à la viabilisation du cadre physique dans lequel évolueront les entreprises- sont censés justement attirer et faciliter les investissements privés, nationaux et étrangers.

Cependant, l’évolution rapide du cadre de travail des ouvriers et techniciens algériens a charrié une nouvelle vision et d’autres exigences en matière de salaire, de formation, de conditions ergonomiques, de santé et de relation de travail. C’est pourquoi un nouveau cadre institutionnel lié à la législation du travail s’avère aux yeux des analystes et des pouvoirs publics une nécessité vitale.

Bien que le maître de l’ouvrage des grands investissements se rapportant aux infrastructures et équipements publics soit l’Etat avec ses différents démembrements, c’est au secteur privé que revient la plus grande proportion de création d’emploi depuis les cinq dernières années du fait que les entreprises intervenant dans la réalisation des travaux sont, en grande partie, de statut privé qu’elles soient algériennes ou étrangères. Le président du Forum des chefs d’entreprises soutient que « nous (secteur privé) sommes le premier employeur. Nous sommes créateurs d’environ 75 % des richesses hors hydrocarbures produites ».

De même, le monde syndical a, lui aussi, subi une évolution, du moins dans son activité sur le terrain de l’animation et de la revendication. Cependant, seule la pression et la persévérance pourront rendre légales ces nouvelles formes de lutte.

L’entrée en scène des entreprises étrangères sur nos chantiers d’autoroute ou de tramway ou bien encore dans certaines représentations commerciales a indubitablement charrié une nouvelle discipline du travail avec laquelle les travailleurs algériens ne peuvent que composer, même si la législation nationale-amendée, rénovée et hissée aux diapasons des normes universelles du travail- est censée servir de base légale.

Sur un autre plan, le concept de ressources humaines charrie avec lui d’autres conditionnalités inhérentes à la pertinence, à la qualité et à la durabilité de la force de travail, qu’elle soit manuelle ou intellectuelle. Parmi les présupposés sur lesquels se base la gestion des ressources humaine (GRH), la formation de l’homme est un élément capital. Cette formation est vue sous son aspect double : formation qualifiante pour prétendre à un poste de travail et formation continue pour s’adapter aux innovations méthodologiques et technologiques touchant le domaine d’intervention du travailleur.

Pour se mettre au niveau des exigences de la nouvelle économie en matière de formation, l’Algérie a encore du ‘’pain sur la planche’’. Il s’agit d’abord de créer une adéquation entre les besoins de l’économie et le système de formation avec un cadre institutionnel et pédagogique de qualité. Il s’agit, en effet, de former les techniciens et les cadres que commence à réclamer dès à présent le monde du travail et l’appareil économique national (management, maîtrise, exécution). Notre économie soumise à rude épreuve par les impératifs de productivité d’efficacité technique et d’innovation ainsi que par la mondialisation des échanges de plus en plus offensive ne peut se soustraire à ce mouvement de l’histoire. Pour réussir un tel pari, les réformes de l’enseignement ne pourront plus se limiter aux établissements gérés par le ministère de l’Éducation, mais devraient englober- par une vision stratégique d’articulation et de juxtaposition des synergies- les différents secteurs qui concourent à cet objectif et l’ensemble des segments de la formation.

Amar Naït Messaoud

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