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Le foncier agricole entre exploitation, extension, dégradation et détournement : Le pari de la revalorisation des terres

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Depuis 2010, la terres agricoles relevant du domaine privé de l’Etat régies par la loi 19-87 de 1987 qui avait établi des exploitations agricoles collectives et individuelles (EAC et EAI) sont appelées à remembrement basé sur d’autres données autres que celles ayant prévalu en 1987. Les principaux changements ont trait à la nature de l’acte d’exploitation- de la jouissance perpétuelle, elle est passée à la concession-, à la durée du bail – passant de 99 ans à 40 ans- et à la dimension des exploitations. Ce dernier point signifie que les anciennes EAC, qui avaient subi des partages informels de facto entre les attributaires que réunissait un seul titre, vont être remembrées selon la logique de ce partage informel. Pour mettre en application ce nouveau dispositif juridique, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a institué un Office national des terres agricoles (ONTA) à l’échelle des régions du pays rayonnant sur plusieurs wilayas. Chaque wilaya dispose d’une antenne de l’ONTA siégeant au niveau des directions des services agricoles (DSA).

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Les agriculteurs faisant partie des EAI et EAC ont, à partir de l’été 2010, 18 mois pour présenter leur dossiers au nouvel office des terres agricoles dans le but de bénéficier du nouveau dispositif régissant les terres relevant du domaine privé de l’Etat.

Depuis les décrets de mars 1963 consacrant les domaines autogérés sur les anciennes fermes coloniales instituées par la loi du Sénatus-Consult, le foncier agricole a subi une kyrielle de changements induisant, selon l’avis de plusieurs professionnels dans le domaine, une instabilité chronique de l’activité agricole. Car, l’un des premiers facteurs de production qui assurent stabilité et possibilité de planification à long et à long termes dans le domaine de l’agriculture est incontestablement le foncier.

Les amendements apportés en 2008 à la loi domaniale du 1er décembre 1990 ont consisté à clarifier et mieux encadrer les procédures de mise en concession du domaine national dans le cadre des investissements (ventes aux enchères publiques, procédure du gré à gré), à prolonger la durée de concession en la portant de 33 ans, telle qu’elle était initialement, à 99 ans, à consacrer l’appartenance à l’État des terres sahariennes dépourvues de titre de propriété et à mieux conduire l’action de l’État contre les occupants sans titres (indue-occupation) des domaines publics et privés de l’État. L’enrichissement de la loi domaniale a aussi trait à la consécration du droit de contrôle par l’administration domaniale sur l’utilisation des biens relevant du domaine national.

Premier facteur de production

Ainsi, pour une multitude de raisons- facteurs historiques, politiques, techniques,…etc.-, le facteur foncier pèse en Algérie, plus qu’ailleurs dans le monde, d’un poids écrasant sur les performances de l’agriculture. Le passif de cet élément décisif n’a pas, en effet, manqué de ressurgir souvent pour relativiser les efforts et les dépenses que la collectivité nationale a injectés dans ce secteur si sensible de l’économie nationale.

L’évolution de la loi domaniale, les extensions successives de la surface agricole utile par l’effet de la mise en valeur des terres par plusieurs formules mise en place par les pouvoirs publics dans le cadre des programmes de développement (accession à la propriété foncière agricole [APFA], concessions agricoles via les programmes de la GCA , actions de développement rural et d’agriculture de montagne, développement de l’oléiculture dans certaines zone de steppe par la HCDS ), la perte de certaines terres à vocation agricole suite aux programmes d’urbanisation, les conflits entre individus ou communautés générés par la confusion régnant dans la nature de la propriété (particulièrement les terres de parcours) et, enfin, la perte de fertilité affectant certains sols érodés, ont fait que, au cours de dix dernières années, le thème du foncier agricole est remonté en surface pour bénéficier de l’attention des pouvoirs publics, des citoyens, des instances judiciaires (notaires, tribunaux) et des techniciens du domaine.

Cette préoccupation obéit aux impératifs de définition, de clarification cadastrale et de consécration des statuts pour le premier facteur de production dans le domaine de l’agriculture. Elle s’est aiguisée d’une manière considérable suite à l’ouverture de l’Algérie sur l’économie de marché. Ainsi, le problème du foncier a pris de telles proportions que les pouvoirs publics ont eu à se pencher à maintes reprises sur les lois et règlements qui fondent sa conduite. Plusieurs secteurs sont concernés par la gestion et le développement du foncier : la commune, les domaines, le cadastre, la direction de l’agriculture, la conservation des forêts, les agences foncières, la conservation foncière,…etc. Pour faire prévaloir harmonie, fluidité et bonne gestion du foncier avec autant d’intervenants, il faut nécessairement que les textes législatifs fondamentaux ne souffrent aucune ambiguïté et que la coordination soit assurée à tous les niveaux. Il faut dire que l’ancien mode de gestion de l’économie dirigiste ne permettait pas, voire n’exigeait pas, autant d’efforts et de vigilance. C’est après l’ouverture économique consacrant solennellement le droit à la propriété privée et faisant appel à l’intervention d’une multitude d’agents et d’acteurs économiques-y compris de nationalité étrangère-, que le ‘’sous-développement’’ de l’Algérie en matière de gestion du foncier est apparu au grand jour. À ce titre, le fouillis des zones industrielles et des anciennes assiettes foncières relevant d’entreprises publiques dissoutes n’est que la façade visible de l’imbroglio foncier.

Quels moyens pour l’extension de la SAU ?

Par-delà les textes réglementaires relatifs au secteur de l’Agriculture et malgré les déclarations rassurantes des officiels sur la volonté de l’État de préserver le foncier agricole des incessantes et diverses agressions qu’il subit, force est de constater que la situation des terres ayant la vocation agricole ne cesse de se dégrader par des usages qui les détournent de leur vocation initiale, mais aussi par la perte de la valeur agrologique du sol suite au processus de désertification touchant certaines zones du territoire national. Paradoxalement, cela se passe au moment où les pouvoirs publics encouragent par divers dispositifs de soutien à l’extension de la surface agricole utile (SAU).

Le dernier dispositif dans ce sens est la circulaire de février 2011 signée conjointement par le ministre de l’Agriculture et du Développement rural et le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, circulaire portant sur l’élargissement de la base productive » de l’agriculture par la mise en valeur des terres en friche, incultes ou marginales. Pour la première fois, le privé algérien est sollicité et incité à mieux travailler sa terre. En effet, des crédits bonifiés, allant jusqu’à 1 million de dinars par hectare, seront consentis par les banques à la faveur de la mise en application des termes de cette circulaire. Le titre de propriété servira dans ce cas d’hypothèque.

La SAU algérienne représentait 8 millions d’hectares en 1962. Le ratio SAU/habitant était alors de 0,75 ha/habitant. En 1990, ce taux fléchit à 0,3 ha/habitant. Les anciennes fermes coloniales faisant partie du domaine privé de l’État s’étendent sur 2,8 millions d’hectares, soit 35% de la SAU. 2,5 millions d’hectares ont été organisés en EAC et EAI à partir de 1987 (soit 96 629 exploitations). Le reste, c’est-à-dire 300 000 ha , forment les fermes-pilotes et les parcelles d’expérimentation appartenant à des instituts universitaires de recherche.

En raison de la dangereuse dépendance alimentaire de notre pays, les spécialistes du secteur agricole et les pouvoirs publics ont depuis longtemps identifié certaines contraintes majeures qui obèrent l’essor de l’agriculture algérienne parmi lesquelles le problème du foncier. Ce dernier fait que le statut des terres publiques est considéré comme un frein aux investissements d’autant plus que les usufruitiers nourrissent une méfiance légendaire à l’égard de l’administration et, dans certaines régions, se rendent complices de l’avancée du béton sur les terres agricoles.

L’on peut aisément entrevoir les retombées sur le travail de la terre et l’impact psychologique chez les concessionnaires des terres de l’Etat dont le bail demeure trop limité dans le temps. Cette durée de temps, à savoir 40 ans, ne permet visiblement pas de réaliser de grands investissements pérennes (bâtiments d’élevage et autres équipements, forages hydrauliques, cultures pérennes [oléiculture, par exemple],…). La fragilité de la relation qui existe entre la terre et son exploitant est difficile à neutraliser dans un tel contexte.

Juguler la déperdition des terres

De par le passé cette situation a induit des comportements étrangers à la pratique de l’agriculture. Dans le phénomène de la dilapidation des terres agricoles au profit du béton par des transactions frauduleuses, des attributaires sont mis en cause et poursuivis en justice. Des complicités ont aussi été identifiées au sein des assemblées populaires communales.

S’agissant des terres laissées à l’abandon, l’ancien ministre de l’Agriculture et du Développement rural, M. Saïd Barkat, avait averti que ce phénomène des terres exposées à la désertification serait sévèrement sanctionné. « Les usufruitiers coupables de tels actes seront poursuivis en justice et sanctionnées. La mesure s’appliquera même aux propriétaires, entendu que la terre n’est pas leur propriété à eux seuls, mais c’est la propriété de toute la collectivité nationale »., dira-t-il. L’instruction de février 2011 tend justement, par une incitation par des crédits bonifiés, à juguler ce le phénomène des terres laissées à l’abandon.

La loi d’orientation agricole votée en 2008 a déterminé la nature des terres agricoles, les activités agricoles, la formation, la qualité de la production et l’organisation de la profession agricole de façon précise de façon à éviter les ‘’intrus’’ (faux agriculteurs) et les activités spéculatives qui en résultent.

Les objectifs du département ministériel de tutelle, en élaborant une loi sur le foncier agricole, sont, d’après cet ancien responsable, de « mettre fin à la dilapidation des terres agricoles publiques qui sont considérées les plus belles et les plus fertiles terres du pays ». Cette mesure législative compte endiguer les transactions anarchiques et illégales des terres et organiser les modes d’exploitation collective et individuelle des exploitations agricoles.

En tout cas le nouvel intérêt que manifestent les pouvoirs publics pour le foncier agricole est vu par les différents partenaires du métier d’agriculteur comme une occasion précieuse de remettre sur la table non seulement le statut des terres du domaine privé de l’Etat, mais aussi le dossier de protection des terres agricoles. En effet, les terres à vocation agricole, qu’elles relèvent du statut public ou privé ne cessent de subir les coups de boutoir d’une politique de développement urbain anarchique et d’une exposition au phénomène d’érosion de plus en plus dévastateur.

Parallèlement aux mesures administratives et règlements qui tentent d’adapter l’intervention et la régulation des pouvoirs publics aux nouveaux défis du terrain, les investigations relatives au détournement des terres agricoles de leur vocation initiale et aux transactions douteuses ou illégales se poursuivent. Ces enquêtes portent sur le devenir de certaines exploitations agricoles collectives et individuelles échues à des exploitants en vertu de la loi de 1987 qui a institué ce type d’exploitation en remplacement des anciens domaines autogérés.

Les pertes des terres agricoles sous les différentes formes connues dans notre pays n’ont pas tardé à avoir des répercussions négatives sur l’activité agricole. Rien que dans le domaine de l’avancée du béton sur les terres agricoles, il est enregistré que, chaque année, des dizaines d’hectares des meilleures terres sont phagocytées par une urbanisation forcenée.

Les déperditions du capital foncier sont dues aux extensions urbaines que connaissent les villes algériennes ou à la création de nouvelles agglomérations (exemple de Sidi Abdellah à la périphérie d’Alger) ou bien encore à une dilapidation insidieuse due à des détournements et transactions illégales auxquels se livrent les usufruitiers. Les résultats des enquêtes de la gendarmerie établis jusqu’à l’année 2007, ont abouti, d’après le commandement de ce corps de sécurité à la mise en examen de plus de 16 000 personnes accusées de dilapidation du foncier agricole ( 6 366 ha ) dans la seule région d’Alger. Le couloir côtier allant de Aïn Benian à Staouali en passant par Chéraga est l’exemple le plus connu en la matière. Bien entendu, les actes de désistement auxquels ont recouru les usufruitiers n’ont aucune valeur légale puisque les terres qu’ils exploitent relèvent du domaine privé de l’État grevé des fameux trois ‘’i’’ : inaliénabilité insaisissabilité et imprescriptibilité.

Les effets de la désertification

Les estimations font état de la perte de 150 000 hectares de terres agricoles (publiques et privées) depuis 1962. Ces terres ont été majoritairement détournées de leur vocation naturelle suite à des besoins pressants d’urbanisation et d’installation d’infrastructures publiques.

Parallèlement à la sollicitation du foncier agricole par la collectivité nationale à des fins d’urbanisation et d’installation d’infrastructures (routes, autoroutes,…), et en plus du détournement délictueux par des ‘’affairistes’’ installés dans l’illégalité les terres agricoles algériennes subissent une menace réelle de désertification liée à des phénomènes aussi bien naturels qu’anthropiques.

Sans aller jusqu’à invoquer un phénomène naturel-les changements climatiques- dont le processus et les impacts sont encore mal maîtrisés, il y a lieu de focaliser l’attention sur les raisons classiques, fort connues par ailleurs, qui font que les pertes des espaces steppiques et la déforestation avancent à un rythme effrayant pour des raisons liées aux activités humaines. Surpâturage, incendies, façons culturales inadaptées et autres activités illicites (coupe de bois, constructions illicites sur des terres agricoles, …) participent d’une façon fatale à la régression du foncier agricole. Cette régression l’est en surface ou en qualité selon le type de délit commis dans la zone.

On estime qu’au niveau mondial, l’on perd chaque année 25 milliards de tonnes de sol, et il faudra 1000 ans pour en reconstituer deux centimètres d’épaisseur. On peut donc considérer que la terre perdue par l’action de l’érosion l’est presque définitivement. Toutes les actions de l’homme tendant à réparer cette calamité ne pourront, dans les meilleurs des cas, que freiner le cours du désastre.

L’Algérie n’a jamais connu des phénomènes d’érosion aussi dangereux que ceux enregistrés au cours des 15 dernières années. Le danger pèse non seulement sur la fertilité des sols, mais aussi sur leur stabilité mécanique et sur les capacités de rétention des ouvrages hydrauliques. Ces derniers voient leur longévité se réduire suite à l’envasement graduel qu’ils subissent.

De même, une véritable politique de protection du patrimoine foncier exige beaucoup plus d’effort et de coordination dans le cadre d’un aménagement rationnel du territoire pour un développement durable. Les plus grands aléas qui pèsent sur le couvert végétal dans ses différentes variantes demeurent les pacages non réglementés et les incendies de forêts. Les surpopulations de bétails élevés en mode extensif non seulement s’attaquent aux jeunes plantations forestières et fruitières, mais elles épuisent et dénudent le sol en lui arrachant les plantes herbacées. À la longue, avec la diminution drastique de l’offre fourragère, c’est l’élevage lui-même qui sera remis en cause.

Le pastoralisme, auquel s’ajoute un mode vie semi-nomade des éleveurs, s’exerce de la façon la plus anarchique en matière d’exploitation des parcours. La végétation steppique ne cesse de recevoir les coups de boutoir d’une exploitation effrénée du capital végétal au point de susciter les plus grandes inquiétudes des techniciens en la matière et des pouvoirs publics.

Le problème ne se situe pas au niveau la simple défense de la biodiversité- une préoccupation noble et sérieuse au demeurant-, mais surtout sur le plan de l’offre fourragère qui a dangereusement diminué et sur le plan de la stabilité des sols qui a reçu un terrible coup du fait des surpâturages qui ne font que s’aggraver.

Un plan d’action multisectoriel

Les éleveurs pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de continuer à faire paître leurs bêtes sur les collines dénudées et les berges chétives des Hauts Plateaux. Ils ne se rendent pas compte tout de suite de la menace qui pèse sur leurs propres troupeaux.

Quant aux pouvoirs publics, et par l’intermédiaire du Haut commissariat au développement de la steppe, des services des forêts et de l’agriculture, des actions de renforcement et de repeuplement de certaines zones steppiques ont été initiées par le passé mais les résultats tardent à se concrétiser sur le terrain. A peine les chantiers de plantations déguerpissent des lieux, les plantations sont détruites par les troupeaux.

Les quelques espaces plantés par le Service national dans le cadre du barrage vert et les périmètres réalisés par le HCDS au début de cette décennie en atriplex et figuier de Barbarie ont connu un sort funeste ; ils ont été broutés bien avant maturité.

Déjà malmenés par la sécheresse qui a inauguré le nouveau siècle, soumis à une pression intolérable des troupeaux ovins et aux labours illicites pour de maigres productions céréalières, les espaces steppiques s’appauvrissent chaque jour davantage.

Au vu de cette menace de désertification qui pèse sur une bonne partie du territoire des Hauts Plateaux, un plan d’action plus rigoureux tendant à réglementer les parcours, à en enrichir la teneur et à améliorer la condition de vie des habitants qui y vivent serait fortement souhaitable. C’est ce qu’essaie de mettre en place le nouveau dispositif du ministère de l’Agriculture connu sous l’intitulé de renouveau rural et décliné en PPDRI (projets de proximité de développement rural intégré). En raison de la diversité des facteurs de dégradation des milieux ruraux, épuisant les sols et faisant fuir les hommes, la stratégie de revivification des espaces ruraux ne peut être que multidimensionnelle et multisectorielle.

La formule des PPDRI a été initiée avec cette philosophie de la vision d’ensemble qui est censée toucher tous les domaines de la vie rurale pour permettre une stabilisation des populations, le retour des habitants expatriés dans des conditions sécuritaires particulières, la création de nouvelles conditions de vie basées sur le désenclavement, la protection des sols contre l’érosion, le soutien aux métiers artisanaux, le soutien au développement agricole (arboriculture, amélioration des sols, élevage), la mobilisation des ressources hydriques (puits, forages, retenues, captage de sources), l’installation des services sociaux (santé école, centres culturels) et des équipements publics (électricité gaz,). Dans ce genre de projets décentralisés confiés aux différentes structures de wilaya, le problème crucial soulevé demeure l’intersectorialité qui est souvent problématique.

Amar Naït Messaoud

iguerifri@yahoo/fr

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