Pour quel contrat de performance ?

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En se donnant pour ambition de se mettre au niveau des normes mondiales, l’appareil économique national est ainsi appelé à emprunter la chaîne logique des phases devant aboutir à la mise en œuvre des projets sur le terrain. C’est là un postulat duquel l’on ne peut se dérober sans porter atteinte à l’harmonie générale des projets de développement et à la fiabilité des travaux réalisés. La chaîne des maillons préalables à toute intervention sur le terrain fait partie d’un ensemble cohérent qui a pour nom ‘’ cycle de projet’’. Pour n’avoir pas respecté complètement les phases de ce cycle, certains projets d’investissement ont fait chou blanc ou ont abouti à une situation bancale qui compromet la fonctionnalité et la durabilité des ouvrages.

Dans les cours académiques relatifs à la gestion et au management des projets, les innovations effectuées au cours de deux dernières décennies sont une véritable révolution quant à la manière de conduire et de réussir les projets quelles que soient leur nature (travaux, prestations de services, études ou fournitures).

L’on se souvient des quelques critiques émises par certains experts tout à fait au début du lancement des deux premiers plans d’investissements publics (le PSSR de 1999 et le PCSC de 2005). Outre le déficit dans l’appareil national de réalisation- les entreprises algériennes étaient déstructurées et mal préparées pour prendre en charge de tels programmes-, la grande partie de ces critiques mettent d’une manière franche l’absence ou le manque d’études préalables pouvant assurer un minimum de réussite aux projets inscrits dans le cadre de ces investissements.

A la veille du lancement du deuxième plan d’investissements publics en 2005, le président de la République expliqua les motivations qui soutiennent ce plan en ces termes : « Il faut permettre aux ressources de l’État de prendre en charge la politique sociale à laquelle notre peuple est fortement attaché et que nous sommes également résolus à préserver au service de la justice sociale et de la solidarité nationale ». De même, il avait appelé à « lutter contre la vulnérabilité de l’économie avec une politique industrielle visant à la diversification et à la sortie du tout-pétrole Nous devons nous rappeler à chaque instant, avec préoccupation, que nos exportations sont constituées à 98% par les seuls hydrocarbures alors que l’ensemble de nos autres ventes à l’étranger est encore loin d’atteindre un seul milliard de dollars ».

De tels plans de développement destinés à résorber les déficits en infrastructures et équipements hérités de la grande parenthèse d’insécurité et de désinvestissement sont imparablement indispensables. Les économistes et autres experts ne les remettent pas en cause, mais expriment des réserves quant à la manière de les préparer aussi bien sur le plan des entreprises de réalisation que sur le plan des études préalables.

S’agissant du Plan complémentaire de soutien à la croissance mis en œuvre entre 2005 et 2009, l’économiste Abdelmadjid Bouzidi estime que, par rapport aux grands projets des années 1970, « la tâche est aujourd’hui plus complexe, la demande sociale ayant explosé et avec elle l’impatience des citoyens. D’autre part, les ressources humaines de qualité et expérimentées, capables de manager de tels projets, ont diminué. La question se pose alors de savoir comment gérer tous ces projets de manière efficace et coordonnée tant au plan technique qu’au plan financier. Les projets décentralisés, et ils sont les plus nombreux, sont les plus complexes à gérer, les Algériens connaissant le sous-encadrement qui caractérise nos collectivités locales. De leur côté les entreprises algériennes de réalisation n’ont pas une réputation de performance et de compétitivité et l’immense marché qui est offert par l’État à l’occasion de ce Plan risque de leur échapper. Le multiplicateur jouera à l’extérieur. À moins que toutes nos entrepreneurs prennent conscience qu’il y a là pour eux, une occasion qui ne se répétera probablement pas, de lancer, pour chacune d’entre elles, des programmes de mise à niveau et de redressement internes »

La phase préparatoire

Le professeur Abdelhak Amiri, docteur en sciences de gestion (Université de Californie-USA) et P-DG de l’INSIM, avait jugé en 2007 que le budget accordé au PCSC était ‘’excessif’’. « Il aurait été plus judicieux de consacrer le un tiers (1/3) des montants du premier et second Plans à la qualification des institutions éducatives, universitaires et des centres de formation pour améliorer l’intelligence et les ressources humaines et pour parfaire la qualité des prestations des instituions de façon générale. Le deuxième tiers du montant aurait dû aller à la création du plus grand nombre possible de PMI-PME, structures à même de générer des richesses et des postes d’emploi. Seul le troisième tiers du montant aurait dû être consacré aux infrastructures de base. Si la gestion de ce Plan s’est effectuée de cette manière, l’Algérie aurait pu créer cent mille (100 000) PMI-PME en une année et non 25 000. A l’horizon 2009, on aurait crée un million d’entreprises. Ces entreprises sont les seules qui puissent contribuer à la réalisation d’un développement durable. Et puis, que se passera-il si le programme venait à s’arrêter ? On vivra une situation de misère. Le chômage s’élèvera à 25% par an en raison du passage direct de cinq cent mille travailleurs au statut de chômeurs et l’économie algérienne sera affectée par une récession dangereuse où les problèmes sociaux seront plus dangereux que ceux d’aujourd’hui ». Dans l’état actuel des choses, estime-il encore, « lorsque le gouvernement algérien met 100 milliards de dollars dans l’économie, 75 milliards vont à l’étranger. C’est pourquoi il aurait fallu créer des entreprises à même de bâtir une base économique pour absorber au moins la demande intérieure et pour que les autres peuples ne bénéficient pas de nos ressources d’une manière gratuite »

Pour ce qui est du nouveau plan d’investissement 2010-2014 lancé l’année dernière, il semble bénéficier d’une attention particulière de la part du gouvernement dès sa phase de conception. Même si les premières esquisses de ce plan ont été suggérées bien avant la réélection de Abdelaziz Bouteflika en avril 2009, le dossier en tant que tel a été confié au Commissariat général à la planification et à la prospective. Les concepteurs du plan ont insisté sur le volet des phases préparatoires (études de faisabilité et d’exécution) et sur le respect de certaines normes de travail. Concernant le potentiel de réalisation, le nouveau Code des marchés publics accorde une préférence nationale à hauteur de 25 % aux entreprises algériennes. Cependant, ces dernières, pour ‘’mériter’’ une telle ‘’discrimination positive’’, sont appelées à opérer une réelle mise à niveau dans leur structure technique et dans leur outil managérial.

Maturation des projets

La maturation d’un projet commence bien entendu par sa justification sociale ou économique, ce qui renvoie normalement à une étude d’opportunité. Ensuite, vient la deuxième phase, celle de la faisabilité technique, particulièrement lorsqu’il s’agit de grands ouvrages (ponts, viaducs, chemin de fer, barrage hydraulique,…etc.). Dès que, techniquement, le projet est déclaré viable, il sera appelé à subir l’examen des responsables chargés de l’environnement pour évaluer le

s retombées de l’ouvrage (en phase de réalisation ou en phase final) dans le domaine de l’environnement. Cette hase est appelée ‘’étude de l’impact environnemental’’. C’est un critère important qui s’est imposé à l’échelle du monde à tel point que, pour une demande de financement extérieur d’un projet par exemple, le bailleur de fonds n’accepte de mobiliser son argent qu’après avoir eu accès à l’étude de l’impact environnemental. L’Algérie a eu à se soumettre à cette conditionnalité dès les années 1990 dans certain projets qui n’avaient pas encore l’envergure de l’autoroute Est-Ouest ou des grands barrages hydrauliques. Des pistes agricoles ou rurales financées par la Banque mondiale ont reçu des études d’impact pour estimer par exemple les degrés de nuisances (sonores, liées à la disparition du couvert végétal ou au futur passage des véhicules) sur la faune locale. La donne environnementale est devenue, de par le monde, un paramètre incontournable dans tout processus de développement. Lorsque la nécessité s’établit de réaliser l’ouvrage en question malgré les nuisances induites, la balance devrait être rééquilibrée par ce qui est appelé les mesures d’atténuation susceptibles de compenser les désagréments charriés par la mise en place de l’ouvrage. C’est ce à quoi nous avons assisté dans le cas précis du passage de l’autoroute Est-Ouest par le territoire du Par national d’El Kala sur environ 15 kilomètres. Le département des Travaux publics a pris des mesures compensatoires pour permettre la continuité du processus biologique dans les espaces attenants à l’autoroute, comme il a fait suivre l’ouvrage entier (1216 km) d’un espace vert enserrant l’ouvrage sur ses deux flancs. Cette opération a requis la sollicitation des spécialistes chargés des espaces verts, des forêts et du paysagisme.

La dernière phase des études avant le lancement des travaux est, bien entendu, l’étude d’exécution. Cette dernière fixe les volumes des travaux, quantifie les apports de matériaux et fournitures, établit les devis (montants des travaux, prestations et fournitures) à l’unité de mesure (mètre carré mètre cube, mètre linéaire,…), puis, elle définit les modalités pratiques d’exécution des travaux à effectuer.

La phase de la contractualisation

Sur la base de l’étude d’exécution est élaboré le cahier de charges qui doit faire l’objet d’une publicité sous forme de consultation ou d’avis d’appel d’offres destinés aux entreprises soumissionnaires.

Ce processus des études qui aboutit à l’élaboration d’un cahier de charges est théoriquement bien connu en Algérie. Dans plusieurs projets, il a été mis à exécution selon le chronogramme requis. Cependant, depuis une quinzaine d’années, des questions fondamentales se posent avec acuité. D’abord, il y a la faiblesse des bureaux d’études publics algériens hérités de l’économie administrée. Cette faiblesse – en ressources humaines, équipement et nouvelles technologies- est la conséquence de la déstructuration du tissu des entreprises publiques au cours de ces vingt dernières années. Les bureaux d’études privés n’ont pas encore acquis l’envergure nécessaire pour prendre le relais.

C’est pourquoi, plusieurs projets relevant des programmes d’investissements publics mis en œuvre depuis 1999 ont fait l’objet d’études réalisés par des bureaux d’études étrangers. Même les conditions fixées par les cahiers de charges qui ont fait l’objet d’appels d’offres internationaux se sont révélées quelques peu dissuasives par rapport aux capacités des bureaux d’études algériens. Cependant, le constat a été fait- y compris par le président de la République qui eut à le déplorer publiquement dans une instruction datant de décembre 2009- que le travail effectué par les bureaux d’études étrangers n’est pas au-dessus de tout soupçon. Des erreurs, des malfaçons, des surestimations ont émaillé plusieurs de ces études qui ont trait à des projets aussi bien d’envergure nationale que ceux d’importance locale.

Ce sont l’affairisme et l’arnaque dans le secteur des bureaux d’études étrangers qui ont fini par échauder les Algériens, ce qui a conduit la directive présidentielle du 13 décembre 2009 à parler d’ « études virtuelle ou fictives qui font l’objet d’un commerce auprès d’opérateurs nationaux. Ces derniers, mal informés, paient le prix fort en devises pour ces études ».

Les préjugés défavorables qui pèsent aujourd’hui sur un grand nombre d’études contractées avec des partenaires étrangers posent en termes crus la problématique du degré de développement du potentiel « études » » de l’économie algérienne. Sous l’ère de l’économie administrée, et malgré le ‘’volontarisme’’ politique qui avait tendance à évacuer la dimension technique des projets, des bureaux d’études nationaux ont fait œuvre magistrale lorsqu’ ils sont sollicités pour une tâche relevant de leur domaine. Hydraulique, construction, aménagement urbain, architecture, travaux publics et autres secteurs d’activité ont eu leurs bureaux d’études publics. Passés sous le statut d’EPIC à partir de la fin des années quatre-vingt du siècle dernier, ils firent les frais d’une politique anarchiquement libérale et ils subirent, sans doute avec plus d’acuité et moins de pitié le sort des entreprises publiques qui en arrivèrent à manquer de plans de charges et dégraisser leurs effectifs. Aucun plan de requalification et de mise à niveau n’est venu réhabiliter et promouvoir un potentiel d’études exceptionnel. Pire, la fuite des cadres vers des horizons plus cléments (bureaux d’études privés, installation à l’étranger), phénomène renforcé par la politique stupide de la retraite anticipée, a fini par dévitaliser le peu de boites publiques qui ont survécu jusqu’au milieu des années 1990.

Réhabiliter le potentiel national

Les hautes autorités du pays semblent aujourd’hui se rendre compte de cette saignée qui a fait perdre à l’Algérie d’immenses compétences en matière de bureaux d’études. Le constat est d’autant plus amer que les boites privées installées à la faveur des grands programmes d’investissement de l’État manquent souvent de tout, à commencer par l’essentiel : la ressource humaine. Hormis le gérant qui peut être un ingénieur, un licencié ou un architecte, les prestations qu’un contrat peut induire pour ces bureaux est généralement confié à des ‘’sous-traitants’’. Le concept de sous-traitant est entendu ici dans le sens de ‘’tâcheron’’. Topographe, technicien en travaux publics et d’autres agents indispensables sont recrutés à la hâte pour deux ou trois semaines pour faire le travail de terrain. La synthèse est censée être faite par le responsable de la boite.

Sur le plan matériel, les choses ne semblent pas être différentes. En obtenant un marché auprès d’une direction de wilaya ou d’une APC, le bureau d’études sollicite son maître de l’ouvrage pour la cartographie que le bureau d’études est supposé acheter auprès de l’Institut national de cartographie. Parfois, il le sollicite même pour un bureau dans lequel il va réaliser ses travaux de dessin ou de cartographie. Dans la plupart des cas, ce genre d’insuffisances se répercute directement sur la qualité des prestations d’étude.

C’est pourquoi, un effort considérable est attendu des pouvoirs publics pour assister les bureaux d’études publics dans leur mise à niveau aussi bien dans le volet technologique (acquisition du matériel numérique utilisé à travers le monde) que dans le volet de la ressource humaine (formation continue pour l’encadrement).

Sur le plan de l’accès à la commande publique, ces bureaux d’études publics- de par les économies de devises qu’ils sont susceptibles de générer au trésor public- espèrent bénéficier d’une attention moins distraite des maîtres de l’ouvrage qui lancent des programmes d’investissements publics.

Avec les orientations du nouveau code des marchés publics adopté le mois passé en Conseil des ministres, ce sont bon nombre de bureaux d’études algériens- publics et privés- qui auront l’occasion de se redéployer sur le terrain et de renforcer leurs capacités humaines et techniques pour relever le défi d’une implication plus vigoureuse dans l’acte de développement, et, ce, à la faveur de la clause qui énonce clairement la préférence nationale à hauteur de 25% dans les marchés publics.

Le volet des études requiert, en tout cas, une importance cruciale dans la phase qu’aborde l’économie algérienne où les volumes financiers s’expriment en milliards de dollars. Il serait inconcevable de mobiliser de tels montants pour des infrastructures et équipements d’envergure qui n’auraient pas bénéficié d’études préalables. Ce sont la fiabilité technique des ouvrages, leur maîtrise et leur fonctionnalité qui sont réellement en jeu dans ce genre de situation.

Amar Naït Messaoud

[email protected]

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