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La politique nationale du logement et les aléas de sa mise en œuvre : Les clefs introuvables d’une stratégie bancale

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En effectuant une visite en Algérie du 9 au 19 juillet 2011, la rapporteuse spéciale de l’ONU sur le logement, Mme Raquel Rolnik, a pu s’apercevoir des distorsions et autres travers qui grèvent la politique du logement dans notre pays malgré une stratégie de l’Etat orientée vers une offre toujours plus grande (17,4 % du budget national 2010-2014 sont réservés à la politique de l’habitat sous toutes ses formules) pour satisfaire le principe dit du droit au logement.

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Après avoir reçu les explications sur le déficit structurel en logements- on estime à 10 % le taux des Algériens vivant dans des logements convenables en 1962-, la rapporteuse fait état dans son rapport de situations qui lui paraissent anormales et intenables en matière d’habitat. Elle cite, entre autres, le surpeuplement des logements, la location de garages, la spéculation sur les prix des loyers, expulsions de familles suite à des procédures judiciaires, la pérennisation des logements d’urgence (chalets), le dépérissement du vieux bâti, la forte proportion de logements inoccupé (14 % selon des sources officielles)…etc. Selon la rapporteuse de l’ONU, les distordions des efforts de l’Etat en matière d’offre de logement ont fait qu’il y a une production de logements mais qu’il reste le développement d’un habitat convenable en raison de la non prise en compte des vrais besoins en la matière. C’est pourquoi, elle encourage les « efforts récents de planification urbaine entrepris à travers le Schéma national d’aménagement du territoire et des plans locaux. S’agissant de la distribution de logement, la représentante de l’ONU n’a pas omis de souligner le manque de transparence obérant cette opération en soulignant que « les diverses institutions qui participent au processus d’attribution de logements disposent d’une marge de discrétion qui ouvre la voie au clientélisme et à la corruption ». Ce qui charrie des situations de « soupçons et de manque de confiance de la part de la population, en témoignent des émeutes qui, régulièrement, explosent suite à l’affichage des listes de personnes auxquelles sont attribuées des logements de type social locatif ».

Au niveau national, l’évaluation de la politique du logement n’a pas encore été exhaustivement faite par des parties neutres se situant en dehors de l’administration. C’est pourquoi, les observations de la rapporteuse de l’ONU sont à prendre en compte pour une évaluation plus approfondie touchant aux différents aspects du problème (cadre de vie, uranisme, architecture, environnement, gestion des risques, aménagement du territoire,…).

En toute apparence la gestion de l’urgence- nécessité de livrer de façon continue et infinie des logements dans un climat souvent marqué par la tension et même les émeutes- n’est pas faite pour servir de base à un exercice d’évaluation serein et objectif.

Indubitablement, la politique nationale en matière d’habitat a connu un parcours tortueux aussi bien dans ses ambitions de répondre à une demande exponentielle inscrite dans la durée, dans son évolution dans une logique territoriale peu soucieuse des équilibres, que dans les typologies architecturales offertes jusqu’à ce jour. Les explications de ces distorsions sont évidemment liées à l’histoire contemporaine de notre pays, particulièrement celle d’après l’indépendance, et à la politique économique à laquelle elle a donné naissance. Sous la colonisation, la grande majorité des Algériens ‘’indigènesisés’’ étaient des ruraux. Ceux qui ont le loisir de se rapprocher de la ville européenne étaient confinés dans des quartiers dits arabes bien délimités. L’offre d’habitat était celle destinée aux Européens aussi bien dans la réalisation de l’habitat collectif que dans la mise à disposition d’assiettes foncières destinées à recevoir la construction de villas coloniales dans différentes villes d’Algérie. L’accession à l’indépendance a charrié avec elle le fantasme chez les populations rurales, qui ont souffert des affres d’une longue guerre de Libération, de venir en ville ‘’prendre la place’’ de l’ancien colon, entendant par là acquérir un statut social valorisé par la présence en ville. La politique industrielle des années soixante a favorisé en quelque sorte ce mouvement d’exode du fait des villes commençaient à recevoir leur pôles industriels (Rouiba, Arzew, Skikda, Annaba) alors que le monde rural était laissé pour compte, particulièrement sa frange confinée dans des zones éloignées des grandes exploitations agricoles. Ce sont des zones où les propriétés sont situées sur des terres marginales, montagneuses et érodées. Ce sont également des propriétés morcelées, sans titre de propriété et grevée par l’indivision. En se déplaçant dans les milieux urbains, les populations rurales improvisent souvent leur habitat quitte pour cela à s’installer dans des taudis constituant des quartiers de bidonvilles. Les dernières attributions de logements effectuées au début de l’année 2010 dans la ville de Birtouta au profit des foyers habitant dans des bidonvilles d’Alger a quelque peu ‘’rafraîchi’’ le dossier de l’habitat précaire dans la capitale et dans d’autres villes du pays. L’on nous rappelle à l’occasion que l’installation de certains bidonvilles remonte aux années cinquante du siècle dernier. Ce sont ceux qui reçurent le ‘’lumpenprolétariat’’ du Sersou, du Hodna, du Titteri et d’autres cantons défavorisés de notre pays. Il se trouve que même ceux qui, parmi les nouveaux ‘’débarqués’’, et par une rare chance, ont accédé à des logements collectifs plus ou moins décents, n’ont pas eu la culture et les prédispositions mentales pour vivre une citadinité régulière et apaisée. C’est un constat établi par les sociologues, les démographes et d’autres experts en urbanisme. La ‘’critique’’, si c’en est une, ne s’adresse pas aux nouveaux habitants des villes mais au système qui a rendu possible et même inévitable l’exode rural, provoquant ainsi un phénomène connu sous le nom de ‘’ruralisation’’ des villes

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Rural déraciné et citadin ‘’assiégé’’

Les résultats d’un tel processus ont commencé à peser sur le tissu urbain, sur les rythmes de vie dans les villes, sur la culture du voisinage et sur le cadre de vie en général à partir des années soixante-dix. Personne n’y trouve son compte, ni le rural déplacé ni le citadin ‘’assiégé’’. La décennie rouge du terrorisme a porté à son pinacle le phénomène d’exode au point où des villes qui n’ont auparavant jamais connu de bidonvilles ont été défigurées dans leur cœur ou à leur lisière par des constructions rudimentaires et anarchiques en tôle ou en parpaing. Des garages se sont même transformés en ‘’studios’’ sans sanitaire ni eau courante. Sur un autre plan, les spécialistes de l’aménagement du territoire et de l’habitat n’ont pas manqué d’établir la relation de cause à effet entre les effets dévastateurs des séismes dans notre pays (Aïn Temouchent, Boumerdès,…) et le degré d’anarchie et de non conformité de certaines constructions. Lorsqu’il n’y a même pas une venelle pour laisser passer les secours et les éléments de la protection civile, le nombre de victime se trouve nécessairement augmenté. Lorsque des bâtiments sont élevés dans l’urgence et la précipitation, il est difficile d’effectuer le suivi et le contrôle techniques adéquats (qualité des matériaux, dosage du béton et du fer,…). Dans des cas d’urgence- et Dieu sait que la quasi totalité des programmes est conçue et réalisée sous la pression des besoins-, même les études géotechniques où la sismicité des lieux est censée être passée au peigne fin sont menées au pied levé. Sur le plan de la politique économique et de la gestion des territoires, la problématique du logement et de l’habitat dans notre pays ne cesse de jeter jette à la figure des gestionnaires et des responsables leur impuissance à gérer dans la rationalité et l’harmonie l’ensemble des segments de l’économie nationale : territoire, urbanisme, environnement, infrastructures de desserte, équipements publics, agriculture, zones industrielles, mobilité des populations, politique de l’emploi,…etc. Car, c’est connu depuis que l’homme s’est constitué en société l’habitat- en tant que ‘’nid’’ regroupant la cellule familiale, nucléaire ou élargie-, ne se crée et ne se fixe qu’autour des zones de production et de consommation, autrement dit, ce sont le travail et l’emploi qui fixent les individus dans des espaces qui seront appelés par la suite des habitats. Au vu de tous les aléas qui ont pesé sur la politique de l’habitat jusqu’à ces dernières années, les pouvoirs publics ont essayé tant bien que mal de réorganiser le secteur en définissant des catégories de logements selon les catégories sociales auxquelles elles s’adressent (logement social locatif, logement social participatif, logement évolutif, auto-construction, location-vente AADL, promotionnel, habitat rural,…). Pour la prise en charge des aspects urbanistiques et de la répartition géographique de l’habitat, d’autres parties sont impliquées : les communes avec les Plans d’aménagement et d’urbanismes (PDAU) ainsi que les Plans d’occupation du sol (POS) ; le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement à travers le Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT).

Une nouvelle carte pour le parc logement

Mieux que le programme réalisé pendant le quinquennat précédent (un million d’unités toutes catégories confondues), le nouveau programme 2010-2014 est supposé bénéficier d’études plus adaptées et touchera l’ensemble des wilayas du pays de façon à réduire le mouvement d’exode rural et à fixer les populations dans leur région d’origine. Ce sont là du moins les orientations officielles du ministère de l’Habitat. Ainsi, le choix et l’établissement de nouveaux quartiers et de zones d’habitat seront soumis aux plans d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) dont sont censées être dotées toutes les villes et agglomérations. Il s’agit, selon les déclarations du ministre Nordine Moussa en 2010, de favoriser une mobilité des populations du nord vers les Hauts Plateaux et vers le sud de façon à créer une équité en matière de chances de développement. Cela contribuera également, selon la vision du Schéma national de l’aménagement du territoire, à atténuer la charge démographique sur les régions côtières. Dans le cadre de la politique de soutien de l’État aux couches défavorisées, le ministre a aussi insisté sur l’importance de poursuivre l’effort entrepris dans la réalisation de l’habitat rural et de logement social. Cependant, pour combattre la fraude et le trafic dans les programmes d’habitat soutenus par l’État, le ministre fait état de l’élaboration d’un fichier national qui recensera l’ensemble des bénéficiaires. Il faut dire, dans ce contexte, qu’un retard est enregistré dans ce domaine vu le nombre d’unités de logement déjà livrés depuis le lancement du premier plan quinquennal (PSSR) en 1999. Les pouvoirs publics ont fourni des effort considérables dans la satisfaction d’un besoin social primordial, mais les résultats sont en-deçà des attentes. Le déficit, hérité de la colonisation, en logements et en habitat décent, est une donnée connue dans l’histoire contemporaine de notre pays. Cependant, à lui seul, ce déficit historique n’explique pas l’acuité et la permanence de la crise qui s’étend maintenant sur presque un demi-siècle. Au cours du quinquennat 2005-2009, le programme du gouvernement a tablé sur la réalisation d’un million de logement. Les nouveaux chiffres donnés par le ministre de l’Habitat vont plus loin et se situent dans les 1,6 millions d’unités- tous programmes confondus. Néanmoins, au-delà du nombre d’unités d’habitations à réaliser- sous toutes les formules : sociale, promotionnelle ou rurale, imaginées par les autorités du pays-, jusqu’à quand la problématique du logement continuera à être appréhendée en termes exclusivement quantitatifs au détriment d’une vision globale qui intégrerait toutes les données du problème ? Multiplier le nombre d’unités de logements au rythme de la progression géométrique que connaît la démographie dans notre pays paraît un travail d’Hercule qui épuiserait toutes les énergies nationales sans pouvoir satisfaire un jour la demande en la matière. En plus de l’impératif de diversifier les formules d’acquisition de logements par les ménages –en faisant intervenir des crédits immobiliers et d’autres formes de soutien-, il importe aussi de se pencher sur la manière dont se pose le problème du logement en Algérie et sur les raisons d’une demande astronomique concentrée en milieu urbain. Il y a lieu, dans le cadre du nouveau plan d’investissement public que compte lancer le gouvernement à partir de 2010 de réfléchir sérieusement à la problématique du logement, non seulement sur le plan technique (normes, matériaux, coût du m&sup2,; règles parasismiques,…), mais aussi sur le plan social et économique et dans une perspective d’aménagement du territoire rejoignant les réflexes de prospective générale que sont censés développer les gestionnaires et les décideurs du pays.

C’est en tout cas la vision développée par le ministre l’année dernière devant les parlementaires lorsqu’il a insisté sur le souci de respecter le plan d’aménagement du territoire et les règles d’urbanisme. La projection du schéma d’aménagement du territoire s’articule autour de l’espace, de la répartition des population et de la gestion des ressources de façon à obtenir un développement rationnel, harmonieux et intégré qui s’appuie sur les vocations des sites et des régions, valorise les potentialités et domestique les contraintes.

Rééquilibrer les plateaux de la balance

Même si nous savons que les institutions et les structures administratives techniques chargées de ce volet important de l’économie nationale existaient officiellement depuis longtemps, au même titre que tous les autres services ayant simultanément les attributs techniques et de puissance publique, l’action et l’efficacité sur le terrain laissaient à désirer particulièrement à l’ombre de la rente pétrolière, pendant les décennies 70 et 80 du siècle dernier, où aucune espèce d’imagination ou de créativité n’était exigée des cadres et techniciens qui étaient chargés de l’administration spatiale de l’économie nationale et des équilibres naturels basés sur la gestion rationnelle des ressources. L’une des grandes dérives de développement que l’Algérie des années 2 000 a héritée du processus de construction nationale après l’Indépendance est, aux yeux des aménagistes et des économistes, le déséquilibre de la répartition spatiale de sa population, des ses investissements et de sa gestion des ressources, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception la plus large qui recouvre aussi et surtout le capital foncier. Même si la terminologie moderne impose son lexique- aménagement du territoire, développement durable, sauvegarde de la biodiversité- qui fait florès au sein des bureaux d’étude et des départements techniques de certains ministères, les préoccupations relatives à la gestion des territoires ont accompagné les différents plans de développement des pays avancés et de beaucoup d’autres pays dits émergents. L’Algérie, qui s’est dotée depuis les années 1970 de structures administratives inhérentes à l’aménagement du territoire, s’est rapidement laissée griser par la rente pétrolière qui a permis une urbanisation effrénée et anarchique, suivie de pôles industriels autour de certains grandes villes. Cette situation a drainé des populations de l’arrière-pays montagneux et steppique au point où l’exode rural est devenue une réalité avec laquelle il faut compter dans tous les autres programmes de développement et particulièrement ceux inhérents à la construction de logements. Lorsque le programme d’habitat rural a été lancé au début des années 2 000, un certain flottement avait prévalu quant à la destination précise de ces infrastructures. Ce n’est qu’avec les projets de proximité de développement rural (PPDR) lancés en 2003 que le lien entre l’emploi, la source de revenu et l’habitat a été sérieusement pris en charge. En effet, dans certaines zones, pour n’avoir pas pris en considération ce paramètre, de jolis logements ruraux ont été transformés en résidence secondaire pour des propriétaires établis dans les grandes villes ou ont été loués à des exploitants de la région qui les ont transformés en étables ou hangars. La politique des projets de proximité a permis à des foyers ruraux établis dans des chaumières ou autres bâti vétuste de bénéficier d’une maison décente dont le montant de soutien était de 500 mille dinars, révisé à la hausse, 700 mille dinars, depuis deux ans. La politique du ministère de l’Habitat en matière d’équilibre régional basé sur une occupation rationnelle de l’espace rejoint les contraintes et les projections des différents secteurs dans leur souci de s’adapter et de se soumettre aux orientations du plan d’aménagement du territoire. En tout cas, tous les indices montrent un engorgement de la partie Nord du pays. La concentration des activités économiques y a crée des problèmes de circulation presque insurmontables (le nombre d’accidents de la route est dans ce cas un des indices majeurs) d’autant que le réseau du chemin de fer n’a subi aucun changement depuis l’époque coloniale, se réduisant presque à l’unique ligne du Nord avec des brettelles réduites en peu de chagrin.. D’autres problèmes d’infrastructure et d’équipement annoncent une asphyxie prochaine de la bande littorale (AEP, décharges publiques, réduction drastique de réserves foncières pour les programmes d’équipement,…). La devise d’ ‘’équilibre régional’’ arborée pendant des années- sous couvert de plans triennaux, quadriennaux et de plans spéciaux- est, on en convient aujourd’hui, un slogan creux qui n’avait pas son prolongement sur le terrain. Aujourd’hui, la politique nationale du logement semble bénéficier d’un regard et d’une stratégie plus rationnels au vu des nouvelles orientations du ministère de l’Habitat révélées au cours de la séance des questions orales à la dernière session de l’APN. Il y est fait état de la construction de 1,6 millions d’unités dont 35 % ont été réalisées dans les zones rurales et 13 % dans la région Sud du pays. Le reste du nouveau parc logement étant situé dans la région Nord. Outre les problématiques de l’occupation rationnelle de l’espace et de la mise en place d’une politique judicieuse d’urbanisme, les autres grandes questions sur lesquelles les pouvoirs publics sont aujourd’hui interpellées sont notamment celles relatives à la disponibilité et au coût des matériaux de construction. Ciment, rond à béton, gravier, sable sont les quelques éléments ‘’trouble-fête’’ d’ambitieux programmes lancés par le gouvernement. Ces éléments dépendent naturellement d’autres secteurs économiques. C’est pourquoi la coordination et la synergie devraient être placées au fronton de tout programme de construction.

Amar Naït Messaoud

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