Quelle place pour les communautés et les individus ?

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‘’La pauvreté ne sera plus sédition lorsque l’opulence ne sera plus oppressive’’ Napoléon

La nouvelle tension qui prend dans ses tenailles les principales places boursières de la planète est incontestablement un des délétères maillons de la crise qui a pris son départ en 2008, suite à ce qui fut considéré en 2007 comme un ‘’incident des parcours’’ des banques américaines qui eurent à faire face au monstre des sub-primes. Cela n’a été en fait, que la goutte qui a fait déborder le vase d’un système capitaliste âpre au gain et qui n’a devant lui aucune limite hormis celle secrétée par sa propre logique tendue vers l’autodestruction. Seulement, voilà les sauveurs zélés du système prennent sur eux de faire intervenir l’Etat, concept pourtant souvent honni lorsqu’il s’agit d’en faire un acteur économique après tant de ‘’littérature’’ et de sacerdoce consacrés à l’esprit de la libre-entreprise.

Le développement humain durable face à a performance économique

Sur le plan pratique, la crise mondiale- mêmes elle touche des peuples du monde développé supposés un certain temps hors d’atteinte, enserre de ses tentacules principalement les pays sous-développés et ceux dits en voie développement. La régression de la consommation énergétique en Europe, en Amérique ou en Chine, suppose la dégradation des recettes des pays exportateurs de pétrole à l’exemple de l’Algérie. En outre, les surcoûts économiques générés par la crise se répercutent indéniablement sur le niveau de vie des pays du Sud du fait que ces derniers importent la majorité des produits qu’ils consomment.

Incontestablement, les objectifs du millénaire pour le développement tels qu’ils ont été fixés par l’ONU en septembre 2 000 pour l’horizon de l’année 2015, et dont l’Algérie est un des pays signataires, deviennent de plus en plus aléatoires au vu de la situation dans laquelle se débattent les peuples et les communautés ciblés en priorité par ce programme onusien.

Les huit grands objectifs du millénaire fixés par l’ONU sont : réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies, assurer un environnement humain durable et, enfin, construire un partenariat mondial pour le développement.

Aussi ‘’idéaliste’’ que soit l’ambition des initiateurs de programme, les gouvernements des pays concernés, au nombre de 189, sont tenus de se rapprocher au maximum des objectifs ciblés et quantitativement fixés.

Revendication d’un mieux-être

Dans un contexte de crise à rebonds successifs et qui étend ses tentacules sur l’ensemble des continents, le développement humain est considéré comme un défi difficile à relever. C’est une véritable gageure pour des pays qui sont soumis non seulement aux ‘’contractions’’ de la crise mondiale, mais également aux dictatures locales qui ont privatisé l’Etat et constitué des mafias de l’économie au détriment du développement.

Cette ‘’solidarité’’ des malédictions qui pèsent sur les peuples est renforcé par des données et des processus qui échappent quelque peu aux volontés nationales. Le cas de l’Algérie peut être considéré dans ce cas de figure, comme un cas d’école du fait que la mono-exportation des hydrocarbures et l’insertion du pays dans l’économie mondiale font peser sur le développement socioéconomique des populations de lourdes hypothèques. Si des redressements rapides- tels qu’un fort geste politique pour les investissements créateurs de richesses et d’emplois, une justice sociale plus perceptible au sein de la société-, ne sont pas initiés et sérieusement engagés sur le terrain, les désordres sociaux risquent de s’amplifier et de devenir incontrôlables.

La tendance lourde de l’actualité nationale qui s’est dessinée à partir de 2007 demeure incontestablement les mouvements sociaux, même si, ça et là de fébriles frétillements politiques tentent, souvent maladroitement, d’enfourcher cette dure réalité entêtée. Revendications salariales, grèves des fonctionnaires, contestations de certaines privatisations, émeutes pour le logement, pour les coupures d’eau ou d’électricité émigration clandestine, bref, un réveil social qui en dit long sur les retards du développement humain de façon générale. Les augmentations des prix des produits alimentaires, le recul effrayant du pouvoir d’achat, la persistance du chômage, la régression de certains services sociaux, le constat de recettes pétrolières de plus en plus importantes, toutes ces contraintes ont, en quelques sorte, canalisé les énergies et la colère dormante de larges franges de la population pour exiger un mieux-être que l’on pense légitimement à la portée des Algériens.

L’évocation des droits sociaux consignée dans les différents rapport transmis par Farouk Ksentini, responsable de la Commission nationale de la protection et de la promotion des Droits de l’homme, au président de la République au cours de ces trois dernières années, n’est pas une simple formalité d’usage ou une vaine coquetterie intellectuelle que dicterait une volonté de faire diversion par rapport aux droits politiques et syndicaux. L’expérience algérienne en matière de démocratie politique est, dans ce contexte, assez parlante pour dire combien les liens entre les luttes sociales et les revendications des libertés politiques sont consubstantiellement liées. Le retard dans l’accès à la modernité politique est largement soutenu et sustenté par le sous-développement économique et social ; en d’autres termes, par la faiblesse du niveau de développement humain.

Ce concept de développement humain- manié depuis maintenant plus de deux décennies par les démographes, les géographes, les sociologues, les médecins, les écologues,…-, commence à peine à faire son entrée dans les administrations des États du Sud. Habitués qu’ils sont aux classiques agrégats économiques et financiers-lesquels, bien sûr, gardent toute leur importance pour quantifier des performances, des tendances générales,…etc.,- les décideurs et les gouvernants de ces pays sont assurément bousculés dans leur manière de faire des constats et de procéder à des projections au sujet de la performance économique de leurs programmes. En tout cas, si l’on a recours à d’autres termes ou concepts pour porter un autre regard sur l’état de la société c’est que les données classiques de la statistique ne sont plus suffisantes. Car, il y des situations sociales plus fuyantes et moins ‘’cernables’’ que ne le laissent supposer les graphes ou les histogrammes. Un ancien ministre a pu ironiser à propos de la situation des Algériens en disant : « l’Algérie est un pays pauvre qui se prend pour un pays riche ». Cette dernière assertion, assénée comme une vérité ou même un lourd verdict, possède son pesant de réalité économique imparable en ce sens que l’économie du pays repose presque exclusivement sur la rente pétrolière dont la redistribution pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Après plus de trois décennies de navigation à vue, de mauvaise gestion, de rapine et de clientélisme, les classes sociales qui en furent le produit ont globalement respecté le trinôme de la stratification classique observée dans toutes les économies dirigistes et rentières : la nomenklatura et ses satellites- brocardés un certain moment du nom de mafia politico-financière-, la classe moyenne et la classe pauvre.

La masse critique de la différentiation sociale

Au vu des limites historiques et objectives historique atteintes par le système politique autocrate et l’ordre socioéconomique basé sur le clientélisme et démagogie, le Plan d’ajustement structurel (PAS) était venu chambouler l’économie et la société algériennes au milieu des années 1990 suite au rééchelonnement de la dette extérieure. Le prix d’un tel ajustement est connu : libéralisation des prix, plans sociaux pour les entreprises publiques, un taux de chômage effarant et, fait dont on ne mesure pas encore assez les conséquences, le laminage de la classe moyenne qui, partout dans le monde, représente l’ossature culturelle et idéologique de la cohésion sociale et de la construction du projet démocratique.

Les années d’insécurité et de subversion n’ont pas remis en cause cette nette bipolarisation des classes sociales ; au contraire, elles lui ont fait subir une agrégation jusqu’à la limite de la masse critique. En plus clair, les riches ont continué à s’enrichir et les pauvres à s’appauvrir. Si l’on pouvait s’offrir le luxe de prendre le critère de la Banque mondiale fixant le seuil de pauvreté- une personne vivant avec moins d’un dollar par jour est considérée pauvre-, plus de deux tiers des Algériens seraient déclarés pauvres. Les leviers et relais sociaux mis en œuvre par les pouvoirs publics ne font qu’amortir le choc, différer les contestations et émousser temporairement l’esprit de jacquerie.

Dans ce contexte, que valent les indices macroéconomiques (endettement, chômage et inflations ‘’maîtrisés’’, PIB en croissance,…) dont se targuent nos gouvernants face au regard des institutions internationales et face aussi aux populations dont on cherche à obtenir le consentement. Un autre regard est pourtant possible. Il nous renseigne sur une certaine détresse sociale qui a pour noms la maladie, la régression de l’espérance de vie chez certaines catégories de la population, la déscolarisation, la malnutrition ou la sous-alimentation.

Dans le rapport mondial sur le développement humain (RMDH) 2010, publié le 4 novembre 2010 et présenté à New York en présence du secrétaire général de l’ONU,

l’Algérie rejoint le groupe de pays dit à « développement humain élevé », étant classé à la 84e place et ayant avancé de 20 places relativement à son classement de 2009, soit la 104e place, toujours selon le RMDH.

Par ailleurs, l’Algérie se situe à la 9e place mondiale des pays ayant accompli « les progrès les plus rapides du développement humain, en termes d’indices de développement humai, (IDH) exhaustif, sur la période 1970-2010».

En 2006, la position de l’Algérie a été qualifiée de moyenne selon l’échelle des valeurs établie par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Les analyses qui ont alors accompagné les chiffres avancés par cette institution expliquent ces retards de développement en Algérie par la lente transition économique par laquelle passe notre pays et qui s’est accompagnée de la libéralisation des prix, l’augmentation du chômage, le désengagement de l’État de la sphère économique. Ces mutations rapides de l’architecture de l’économie algérienne ont directement contribué à l’aggravation de la vulnérabilité des couches les plus défavorisées de la société.

M. Watkins, le responsable du rapport 2006 du PNUD, fit le constat suivant :« Tant que l’argent du pétrole ne travaille pas en Algérie, le pays, voire l’Algérien pauvre, sentira les conséquences. Les populations sont la véritable richesses des nations ».

Si auparavant, malgré les dysfonctionnements structurels de l’économie et la navigation à vue des dirigeants, un semblant de cohésion sociale était maintenu, c’était incontestablement dû à la distribution de la rente pétrolière. Mais, la construction était d’une telle fragilité que la chute, même temporaire, des cours de l’or noir parvenait compromettre. Les réformes auxquelles avait recouru le gouvernement algérien à partir de 1989 pour sortir de cette impasse ont été régulièrement freinées par plusieurs facteurs : la résistance des rentiers du système, le lourd héritage bureaucratique, la déstructuration des entreprises publiques et la difficulté de l’évolution des mentalités. En fait, c’est de la remise en cause de l’État-providence en faveur d’une économie compétitive dans un contexte de mondialisation accélérée qu’il s’agit dans cette période cruciale de la vie du pays.

Indices plus ‘’humanisés’’

« Nous avons les ressources financières, mais cela ne suffit pas ». C’est là l’aveu d’un ancien ministre des Finances. Cette observation vaut sans aucun doute pour tous les aspects du problème, à savoir que l’argent seul ne fait pas le bonheur, aussi bien dans les foyers que dans l’univers de la république. L’Algérie l’apprend un peu plus chaque jour. Les rentrées de devises issues de l’exportation des hydrocarbures n’ont jamais atteint le niveau qui est le leur aujourd’hui. La dette extérieure ne dépasse guère quatre milliards de dollars après les payements anticipés enclenchés au milieu des années 2 000. L’inflation est officiellement maîtrisée au-dessous de 4%. Mais, les résultats escomptés en matière de croissance sont souvent revus à la baisse et n’ont pas atteint, jusqu’à présent, le tant convoité taux de 6 %. Il faut dire, à ce propos, que la plus grande partie des investissements réalisés au cours de ces dernières années et qui sont censés se prolonger jusqu’aux horizons 2014 sont des investissements publics conçus dans le cadre de plans quinquennaux. Ils soutiendront la croissance dans la mesure où ils sont des projets structurants (infrastructures routières, hydrauliques, portuaires, énergétiques,…) susceptibles, à terme, d’attirer les véritables investissements via les entreprises industrielles, manufacturières, agroalimentaires, de prestations de services,…etc. En quoi ces chiffres secs et ces prévisions qui relèvent pour l’instant presque du virtuel- d’autant plus que des facteurs de blocage, comme le système financier suranné et les lenteurs bureaucratiques, se mettent au travers des plus énergiques initiatives)-, peuvent-ils influer sur la vie des citoyens ? Les risques d’explosion sociale sont toujours là et le climat d’émeutes perpétuelles étendues sur les douze mois de l’année n’augurent rien de bon. Le chômage, la faiblesse du pouvoir d’achat et la situation socioéconomique générale de la population ne poussent sont presque sourds aux chiffres de la performance, à l’image de l’énigmatique record d’un million d’emplois crées au cours du seul semestre 2011 !

En terme de développement humain proprement dit, et depuis le début des années 1990, la performance économique (selon les traditionnels agrégats de PIB, balance commerciale, croissance, inflation,…) est moins exposée à l’analyse que les critères spécifiques de développement humain concentrés dans les IDH. Car sur le plan de performance économique, l’Algérie a réussi, à un prix social exorbitant auquel s’est greffé le phénomène du terrorisme, à accéder à un rang que lui envieraient beaucoup de pays, y compris émergents. La santé économique et sociale d’un pays est désormais analysée sur la base de paramètres qui sont corrélés directement avec le niveau et la qualité de la vie des individus. Ce sont les indicateurs (ou les indices) de développement humain que le PNUD a vulgarisés, particulièrement à partir de 1992 à travers ses rapports annuels, comme instruments d’évaluation sociale. Le rapport de cette organisation des Nations-unies est destiné à promouvoir un développement dont les objectifs seraient la protection du capital écologique pour les générations futures, la réduction de la pauvreté et des inégalités, l’emploi, la cohésion sociale, la démocratie, la croissance économique pour une amélioration générale des conditions de vie.

Les Indicateurs de développement humain font valoir trois grandes composantes : la longévité le savoir et le niveau de vie. Ils permettent de classer les pays selon une nouvelle grille plus ‘’humanisée’’, en tout cas plus réaliste que les simples indicateurs de la performance économique des pays considérés. Il s’agit de « pallier les insuffisances d’une approche en termes de revenus par habitant », comme le souligne le PNUD. Il s’ensuit que le développement humain est défini comme « un développement donnant hommes la liberté d’utiliser pleinement leurs capacités dans tous les domaines : économique, social, culturel et politique ».

Amar Naït Messaoud

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