Ecole vécue, école rêvée

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Les deux derniers plans d’investissements publics ont propulsé l’Education au rang de secteur privilégié. Le nouveau plan 2010-2014 l’appuie encore davantage avec de nouvelles infrastructures programmées et des équipements prévus. Cela peut paraître un peu paradoxal au vu du climat peu serein régnant dans ce secteur. En effet, depuis les cinq dernières années, il ne se passe pas un semestre sans que les établissements scolaires et les élèves ne soient pris en otage par le climat délétère généré par les revendications socioprofessionnelles du personnel enseignant. En 2007, la situation avait atteint un tel degré de gravité que la perspective d’une année blanche se profilait à l’horizon. Après un semblant d’accalmie, la contestation- certes avec une intensité moindre- continuait sur fond de controverses homériques sur la représentativité syndicale, la gestion des œuvres sociales et le dossier des salaires des travailleurs de l’Éducation.

Le statut particulier des travailleurs de l’Education a pu répondre à une partie des revendications par une substantielle hausse des salaires.

Par Amar Naït Messaoud:

Le bruit a même couru que les rappels touchés par les enseignants à la fin de l’été 2010 a ‘’contribué’’ à vider les bureaux de postes de leurs liquidités.

Sur le plan de la représentativité syndicale, aussi bien le corps enseignant que l’opinion publique et les médias, personne n’a pu comprendre la raideur développée un certain moment par le ministre de l’Education le mettant en position de ne vouloir dialoguer qu’avec les organisations syndicales agréées. Le principe étant que, face à une situation de blocage qui remet en cause ou compromet la scolarité des enfants, aucune ‘’arrogance’’ ou formalisme juridique ne peuvent servir d’argument.

Dans le cadre du Plan complémentaire de soutien à la croissance, pas moins de 200 milliards de dinars ont été consacrés au secteur de l’Éducation et de la Formation professionnelle, soit environ 12,4% du montant du Plan. On compte des projets portant sur la construction de 5000 établissements primaires, 1000 collèges (CEM) et 450 lycées et la réalisation de 1098 cantines et 500 infrastructures sportives scolaires. Depuis les fameux programmes spéciaux de wilayas initiés au cours des années 1970, ce sont certainement les réalisations les plus importantes dont bénéficie le secteur de l’Éducation et de la Formation depuis l’Indépendance.

Au-delà des chiffres élogieux dont se prévaut chaque année l’administration– chiffres relatifs au nombre d’enfants scolarisés, aux manuels scolaires, aux nouveaux établissements ouverts et aux quelques ‘’réformettes’’ annuelles touchant le volet pédagogique-, le moins vigilant des observateurs se posera la question de savoir où va l’école algérienne, quelles sont les bases de la formation des cadres et des citoyens responsables de demain et comment l’école doit-elle s’insérer dans les exigences et les besoins de la nouvelle société qui aspire à plus de liberté de prospérité et d’ouverture démocratique ? Si l’argent du pétrole permet à nos gouvernants d’élaborer des projets gigantesques misant sur le quantitatif, qui pourra garantir la qualité et l’efficacité de l’enseignement dispensé par nos établissements ? Une première erreur qu’il y a lieu d’éviter est sans aucun doute de fonder la critériologie de la réussite de l’école sur le taux de réussite au bac. Dans une ambiance de médiocrité et de dilution des valeurs pédagogiques et morales, l’examen du bac ne constitue nullement une référence, d’autant plus que le déroulement de cette épreuve est souvent émaillée d’ ‘’incidents’’ divers.

Une commission sans suite

Sur le plan de la politique des réformes pédagogiques, l’on ne sait ce que sont devenues les recommandations de la Commission Benzaghou chargée en 2001 par le président Bouteflika de proposer des réformes radicales dans le secteur de l’enseignement et de l’éducation. En tout cas, en raisonnant à contrario, on peut imaginer la hardiesse et le caractère révolutionnaire des réformes proposées au vu des réactions de l’aile islamo-baâthiste qui ont accompagné le travail de cette Commission. Parmi les bribes d’informations auxquelles a eu droit la presse, l’enseignement bilingue des sciences et des mathématiques n’est pas des moindres. Depuis l’ordonnance d’avril 1976 instituant l’École fondamentale, les contingents de bacheliers qui ont eu accès à l’université se sont débattus dans des problèmes inextricables du fait que la plupart des matières scientifiques sont dispensées à l’université le sont français. Même dans les disciplines réputées arabisées (droit, Sciences humaines, histoire, géographie), les références fondamentales sont rédigées en français ou en anglais. N’étant pas assez formés dans ces langues, les étudiants se trouvent complètement désemparés devant une réalité que ne peut compenser aucun sens ‘’patriotique’’.

Actuellement, hormis quelques replâtrages de façade, l’enseignement primaire, moyen et secondaire continue à coltiner les aberrations de l’ancien système. Même si depuis 2007 la chariaâ ne constitue plus une spécialité au lycée, l’hégémonie de l’enseignement religieux- qui, plus est, reconduit souvent le pavlovisme de l’école coranique- pèse d’un poids étouffant sur le volume horaire, le rythme scolaire et la pédagogie scientifique qui doit prévaloir dans nos établissements. Dans un tel capharnaüm pédagogique et didactique, quel sera le rôle de l’Observatoire national de l’éducation et de la formation crée en 2006 ? Quel rôle jouera-t-il dans la marche de l’école algérienne vers la réalisation des aspirations de la société en matière de formation qualifiante pour faire face aux défis de l’économie moderne et de la mondialisation? Depuis la création de cet Observatoire, aucune visibilité supplémentaire ne semble offerte au secteur de l’éducation. Pire, on n’entend plus parler de cette structure. Elle aurait pu accompagner le ministère dans certains dossiers complexes exigeant clairvoyance et avis d’expert. Par exemple, sur certains dossiers, comme celui de l’école privée, il est difficile de suivre la démarche du ministère sans se poser la question essentielle : en cherchant à ‘’domestiquer’’ ce genre d’établissement, quel est réellement l’objectif visé ? L’acharnement développé par l’administration contre cette catégorie d’établissements au milieu des années 2000 avait semé beaucoup de trouble et suscité moult interrogations dans la société.

Si des Algériens se sont résolus à envoyer leur progéniture dans ces établissements- en faisant de grands sacrifices sur le budget familial-, ce n’est certainement pas pour recevoir la même formation que celle dispensée par l’école publique. Si cette dernière est à ce point ‘’honnie’’- et pourtant gratuitement assurée-, c’est qu’elle ne répond plus aux besoins d’émancipation et de réalisation sociale de la famille algérienne.

Une autre frange du personnel de l’Éducation ne cesse de se plaindre de sa situation et du statut de l’enseignement qui lui est confié : il s’agit des enseignants de tamazight. La relative nouveauté de l’introduction de cette discipline ne peut pas expliquer, à elle seule, les déboires de ces enseignants et les aléas pesant sur la matière elle-même. L’Association des enseignants de tamazight ont, à plusieurs reprises, interpellé le ministre sur la fragilité de leur statut et le rôle peu clair de l’enseignement de cette matière.

Dans un climat d’opacité administrative, cette langue n’arrive pas à tirer profit des résultats des recherches effectuées par des Centres ou des Instituts spécialisés tel que l’INALCO. De même, des textes littéraires de haute valeur esthétique et pédagogique produits par des poètes ou écrivains berbérophones n’ont pas encore franchi les portes de l’école. Quand est-ce qu’on pourra disserter sur les strophes d’Aït Menguellet, Cherif Kheddam, Benmohamed ou Matoub comme le font les Belges, les Canadiens et les Français pour les textes de Brel et de Brassens ? Pourquoi notre école n’a pas encore accès-aux côtés des contes de Perrault, des frères Grimm et d’El Djahiz- aux contes ‘’Machaho’’ de Mammeri ou ‘’Le Grain magique’’ de Taos Amrouche ?

Inévitablement, l’émancipation de la société algérienne, censée inscrire le pays dans une perspective de modernité et de démocratie, passe par l’émancipation de l’école. Et, pour cela, aucune arithmétique des infrastructures réalisées, du nombre d’enseignants recrutés ou de manuels scolaires produits ne saurait distraire les parents d’élèves et les franges les plus éclairées de la société des vrais enjeux qui se posent devant l’école algérienne et des défis qu’elle a à relever.

A.N. M.

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