«Le salut passe par un retour à l’islam ancestral»

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Mohamed Aïssa est attendu aujourd’hui à Tizi-Ouzou où il présidera l’ouverture d’un colloque dédié à « La portée spirituelle du patrimoine national amazigh ». A l’occasion, il livre en exclusivité à la Dépêche de Kabylie cet entretien à travers lequel il évoque sa visite, sa 2ème dans cette wilaya en tant que Ministre, mais aussi d’autres questions aussi importantes que sensibles.

La Dépêche de Kabylie : C’est votre seconde visite à Tizi-Ouzou en tant que membre du gouvernement. Qu’est ce que cela vous inspire surtout que vous y allez cette fois spécialement pour promouvoir un retour aux sources à travers ce colloque auquel vous prenez part personnellement ?

Mohamed Aïssa : C’est en effet ma deuxième visite à Tizi-Ouzou en tant que ministre, bien que j’aie déjà eu à visiter la région à plusieurs reprises en tant que cadre de ce même ministère. Mais j’ai eu à le faire aussi en privé pour des liens de parenté puisque ma belle-famille est de Tizi-Ouzou justement. Ceci dit, je ressens des liens affectifs particuliers pour cette région, car je crois profondément, au vu de l’Histoire, des citadelles, à entendre par là les Zaouias, les écoles coraniques… que l’âme spirituelle de l’Algérie jaillit de la Kabylie. Ce sont des lieux qui ont toujours constitué le socle commun de la spiritualité dans la région et constituent l’une des identités de toute la nation algérienne. Sachez que je ne suis pas en train d’adapter mon discours pour la circonstance puisque j’ai déjà eu à le dire par le passé en soulignant qu’à supposer que l’Algérie serait une grande mosquée, son minaret serait alors sur les monts du Djurdjura.

Vous le dites sans doute en connaissance de cause puisqu’on croit savoir que la Kabylie détiendrait le record en nombre de mosquées dont elle est dotée. Vous confirmez ce classement ?

Tout à fait, nous classons carrément Tizi-Ouzou en wilaya la plus pourvue en mosquées. Nous comptabilisons au-delà de huit cent soixante mosquées et vingt-deux Zaouias ancestrales, sans compter des petites écoles coraniques rattachées à des mosquées. La Kabylie est donc tellement peuplée, jalonnée et cadrée d’établissements religieux que nous la considérons comme la région d’où jaillit le référent religieux national. D’ailleurs je l’ai déjà dit : Le référent religieux national se manifeste dans sa modération, son ouverture, son référent juri-prudentiel, dogmatique et spirituel et se matérialise carrément en Kabylie. C’est pour cela aussi que nous considérons que l’adhésion et l’engagement du peuple de la région à la démarche du ministère des Affaires relieuses de dépoussiérer et de re-jalonner le référent religieux national est un support considérable. Et nous croyons que cette démarche lorsqu’elle sera explicitement endossée par la région réussira, pas uniquement pour l’Algérie mais pour des attentes universelles. Car actuellement tout le monde musulman et autre que musulman est à la recherche d’une alternative à ce qui se passe actuellement en matière de pratique de la religion musulmane vu le radicalisme, l’instrumentalisation, vu les doctrines diverses, les nouvelles idéologies, la manipulation… C’est le référent religieux national propre, spirituel, cohabitant, ouvert qui est porté et endossé par le ministère et surtout supporté par cet ensemble de Zaouias, et si on devait encore citer une région à ce propos, la Kabylie serait celle qui est la plus en relief en la matière. C’est elle qui manifeste le plus son attachement à ce référent religieux national propre et refuse carrément une nouvelle invasion, comme elle refuse les nouvelles idéologies.

Vous faites allusion à la vague salafiste qui a tendance à prendre des proportions inquiétantes dans le pays ?

Je fais allusion à toutes les nouvelles doctrines et sectes qui essayent de prendre pied en Algérie et il y en a plusieurs. Je citerai les plus éloignées du juste milieu comme le Takfirisme qui est une démarche qui a été créée ou plutôt ressuscitée de notre histoire la plus sombre des musulmans pour ne pas dire de l’islam. C’est une doctrine qui a été jalonnée, peaufinée et revue par des laboratoires, mise en relief par des cheikhs autoproclamés et des pseudo-savants et c’est la plus dangereuse. Mais elle donne naissance à l’antidote qui est le Chiisme. Et quand on est amené à contrecarrer telle doctrine par telle autre, on s’engouffre dans un cercle vicieux et l’Algérie refuse d’être le théâtre d’une telle confrontation. C’est pour cela que nous refusons que l’Algérie soit un terrain de combat pour des idéologies qui ne jaillissent pas de notre histoire, de notre vécu et de notre façon de pratiquer l’islam. Le problème c’est qu’il y a d’autres doctrines comme le Hamadisme qui est également étrangère à notre pays. Je ne crois pas que des Algériens sains d’esprit, excusez le terme car c’est un peu extrémiste de ma part mais je l’endosse, puissent croire qu’il y a un autre prophète de l’islam après sidna Mohamed. Mais le fait que cette doctrine existe et a de nouvelles adhésions, c’est dangereux et nous croyons que ça ne relève ni du dogme ni de la religion ni de la spiritualité mais tout juste d’un fonds de commerce. Mais notre appréhension est que ce fonds de commerce se mue en une dépendance ou une interdépendance à des services étrangers. Je ne citerai pas de pays mais tout le monde connaît la capitale du Hamadisme, actuellement elle passe pour une capitale qui fait, comme dirait un mathématicien, une transformation ponctuelle vers une autre capitale encore plus forte et plus influente qui s’intéresse au monde musulman et qui s’intéresse surtout à l’anarchie du monde musulman dont jaillirait un nouveau monde musulman et je resterai dans cette nuance. Mais il y a encore d’autres sectes qui veulent prendre pied en Algérie et notre réponse sera toujours la même, nous avons notre référent religieux ancestral à nous, propre à nous, Algériens, même si on y trouve plusieurs spécificités. Le grand Sahara pratique la religion autrement que nous le faisons au Nord. La façon de pratiquer, la ferveur en Kabylie est aussi différente de celle d’une autre contrée du pays. Mais elles restent respectables, nous les prenons en compte et nous les défendons, c’est notre démarche.

Parmi ces phénomènes venus d’ailleurs, on ne peut pas ignorer non plus la prolifération de ces voix qui condamnent et lavent comme si elles étaient dépositaires de la parole de Dieu. Des fetwas, des sentences de morts ont été prononcées, publiquement. Vous ne trouvez pas le moment grave ?

Je comprends et je rappellerai à ce sujet que j’ai tout de suite palpé le problème et j’ai réagi instantanément et je me suis manifesté publiquement. J’ai reçu les foudres de ceux qui ne voulaient pas m’entendre, à ce moment-là mais au bout de deux années d’exercice à ce poste que j’occupe, je ressens que la tendance est au retour à la sagesse. Je détecte actuellement auprès des masses-médias qu’il y a une nouvelle prise de conscience. Il y a certains qui sont bannis des écrans de télés. Jusqu’à pas loin, ils étaient les stars des plateaux de ces mêmes télévisions privées. Ce sont des personnes, pour ne pas dire personnalités, qui sont refusées et bannies par la société et les masses-médias. Je perçois une réelle tendance de la société pour un retour vers les sources, l’authenticité l’islam ancestral de nos aïeux algériens. Ceci dit, pourquoi des citoyens croient en ces cheikhs autoproclamés, charlatans, ignorants qui décrètent des fetwas, sans une réelle formation dans les sciences islamiques ? Je crois que cela est dû à un autre problème encore plus profond et plus philosophique, c’est que le peuple dénigre en majorité et appréhende ce qui vient de l’institution officielle. C’est pourquoi, dans notre département, nous défendons actuellement une nouvelle démarche qui prend du terrain et c’est de débureaucratiser l’activité religieuse. Nous refusons au niveau de notre ministère de gérer la vie cultuelle par des ordonnances, par des circulaires et des notes. L’activité religieuse doit être gérée par les savants. C’est pourquoi, ce que nous faisons en matière de religion à sa valeur absolue, nous l’entreprenons autour de Conseils scientifiques qu’ils soient au niveau national ou wilaya. Nous attachons beaucoup d’intérêts à associer ces vrais savants, ces vrais imams en qui la population a confiance. Nous refusons de dicter les serments, de dicter les prêches. Nous nous contentons de faire des recommandations et j’en prends pour exemple le dernier appel que nous avons lancé le 25 mars dernier pour un prêche du vendredi afin de sensibiliser contre l’invasion sectaire et surtout le Takfirisme, l’extrémisme et le terrorisme international. Nous n’y avons dicté aucun prêche. Nous nous sommes contentés d’un simple appel qui a d’ailleurs été publié. Chaque imam a initié son prêche et, Dieu merci, nous avons tous perçu un seul message qui nous renvoie à notre islam ancestral qui est notre référent commun. Notre objectif reste celui de rappeler au peuple algérien, si ce n’est à la sphère maghrébine et même à la sphère musulmane africaine, que nous appartenons tous à un même référent. J’ai eu l’honneur de recevoir le président du haut conseil islamique du Tchad et celui du Mali, celui du Niger auparavant par le biais du ministère de l’Intérieur, de la Sécurité et du culte, nous avons le même référent. La Mauritanie, le Sahara occidental ont également le même référent. Le Sénégal, la Gambie et j’en passe… Avec les Sénégalais que nous attendons en mai prochain en Algérie, nous composons un réel rempart contre l’extrémisme, contre le fondamentalisme et contre le terrorisme. Notre orientation va vers l’islam de nos grands-parents, l’islam qui nous rassemble et qui nous pousse à aller travailler, qui nous incite à nous respecter mutuellement, qui nous pousse à accepter l’autre religion et considérer que nous avons un lien de fraternité avec tous les humains et à nous mettre au service de l’humanité.

Vous parlez de rempart. Est-ce pour signifier une menace extérieure pesante qui persiste ?

Lorsqu’un ministre dit quelque chose, généralement on croit que son propos jaillit d’une démarche politicienne, mais là il n’est vraiment pas question de politique, j’ai des rapports, j’ai des chiffres, j’ai même des noms et des adresses. Le danger est réel, même s’il est vrai qu’il n’est pas imminent. Les tentatives existent, j’ai déjà parlé de deux wilayas, une à l’Est et l’autre à l’Ouest de notre pays, qui sont ciblées par toutes les sectes, toutes les tendances d’extrémismes. On y trouve de l’extrême wahabisme à l’extrême chiisme. Le fait d’assembler toutes les doctrines, reniées dans leurs Etats, leurs pays d’origines, interdites dans d’autres contrées, et de les injecter chez nous dans un milieu estudiantin et sachant que ces deux wilayas visées sont des wilayas frontalières, il y a assurément quelque chose qui se prépare de l’extérieur et qu’on tente de nous injecter progressivement par les frontières. Ce n’est pas rassurant comme situation. C’est au même titre que je rappellerai cette époque où la Kabylie avait été visée par une campagne de proxénétisme chrétien. On se rappelle cet épisode dont je dirai qu’il participait aussi d’un travail de sape, qui visait la Kabylie en particulier et la nation algérienne en général. C’est tenter de faire croire à nos concitoyens que nous sommes tellement faibles qu’il faille faire attention à ce qu’aucun juif ne puisse traverser notre rue, qu’aucun chrétien ne doive nous côtoyer, et c’est un peu ce confinement qui affaiblit les nations et les pays. Notre démarche au ministère des Affaires religieuses c’est de réagir au danger en tirant la sonnette d’alarme, non pas pour manifester une peur mais pour interpeller à revenir vers les origines. Je crois qu’à chaque fois qu’il y a une bataille rangée, on cherche notre chef et dans une bataille idéologique on cherche le socle commun qui est le référent religieux national. Et à chaque fois qu’une fetwa décrétée est jugée inopportune par ce qu’elle déchire ou affaiblit ou encore soulève la polémique, son sort est le rejet, c’est la religion elle-même qui le dit. Une fois notre référent ressuscité et remis en relief avec ses jalons, ses origines et ses objectifs, nous pourrons nous permettre le luxe de choisir ici et là d’autres approches religieuses pour conforter notre démarche, pour contourner un obstacle «juridique» ou religieux, mais auparavant il faut avoir un port d’attache. Tout ce qui a été fait en Algérie en matière de religion, en matière d’invasion religieuse, d’invasion confessionnelle, c’est de nous détacher de notre port d’attache. Notre démarche c’est de nous rattacher, et bien, à ces racines et à ce moment là quelles que soient les vagues, quelle que soit la houle on reste à l’abri de ces invasions.

ça nous amène à évoquer cet épisode d’un groupe étranger à la région signalé avec grand bruit récemment du côté de Béjaïa où il semblerait en mission pour prêcher «le droit chemin»…

Je suis au courant et j’ai suivi même le débat que ça a suscité. Je crois qu’il y a des acteurs ou une élite intellectuelle en Kabylie ou peut-être même une certaine presse qui aurait pensé qu’il s’agissait d’un groupe terroriste ou tout au moins extrémiste. Pour tout vous dire, c’est un groupe qui est certes étranger à la culture algérienne mais ce sont bien des Algériens de chez nous. Et notre démarche envers ces gens-là c’est de les rappeler à revenir, comme je le disais précédemment, à notre référent religieux. Ce groupe avait sa raison d’être dans les pays non musulmans à l’époque où un pays du golf considérait qu’il était investi de la mission de propager la religion de l’islam et qu’il en était le prédicateur universel. C’est une adaptation, je vais dire quelque chose de très audacieux et j’espère que ça ne va pas faire des étincelles, du Wahabisme à une contrée non arabe (Al Aâdjamia). Peut-être que c’est une démarche bénéfique envers une religion non révélée, mais dans le cas de l’islam et en particulier des Algériens, je ne crois pas que ces derniers ont besoin de ce genre de prédication. Je ne pense que des Algériens ont besoin d’autres qui viendraient les inviter à sortir de leurs maisons, les rassembler durant trois, cinq ou quarante jours pour faire la prédication et leur faire apprendre la bonne parole. Nous avons nos traditions, cette manière de faire n’est pas la nôtre, on l’a largement dépassé du moins. Maintenant, pour dire est-ce que ce groupe représente un danger sécuritaire ? Je ne le crois pas. C’est pourquoi l’opinion a constaté que la force publique n’a pas sévi. Elle a réagi sans sévir. Avec conscience et bonne mesure, comme dans d’autres cas similaires, nous avons bien suivi les événement et nous avons eu à chaque fois les renseignements utiles, les noms, les lieux d’attroupements, le tracé suivi et nous observons avec conscience que ce genre de groupes peuvent toujours être noyautés par des gens qui s’autoproclament dépositaires de la mission du Tabligh mais qui sont générateurs du Takfirisme, d’extrémisme, et c’est là tout le danger. Je peux dire aussi que nous avons détecté au niveau de ce groupe une frange qui s’inscrit carrément dans une culture étrangère, c’est-à-dire que la majorité de ce groupe en Algérie interpelle les gens à lire la jurisprudence malékite. Mais il y a un autre groupe qui vous dit actuellement que les origines c’est d’apprendre la jurisprudence Hanafiste. Et ça devient à ce niveau dangereux. Ca ne convient pas du tout à l’Algérie. Ce n’est pas du tout adéquat pour l’Algérie qui a une culture ancestrale et autonome dans sa façon de pratiquer l’islam. En résumé je dirai que notre façon de faire envers ce groupe qui ne présent pas comme je le disais un danger imminent c’est d’entamer avec lui des séances de dialogue, et je ressens l’impératif de le faire car ce sont des Algériens, des hommes cultivés, parfois des ingénieurs qui méritent d’être appelés et incités pourquoi pas à fournir le même effort dans un autre espace comme celui de la bienfaisance, du combat contre l’analphabétisme… Je crois vraiment que les interpeller pour une mission sociétale serait très bénéfique et je crois que les imams pourraient le faire avec l’élite algérienne, notamment les médias, les hommes de lettre, du théâtre…

L’autre épisode qui a suscité de vives réactions en Kabylie a été celui des «Déjeuneurs». Avec du recul et surtout à la veille d’un nouveau Ramadhan, quel commentaire faites-vous sur le sujet ?

C’est un sujet sur lequel je suis déjà intervenu et j’ai payé un tribut pour cela. Mais je reviens à la charge en disant que le jeûne est un comportement privé. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le prophète de l’islam, sidna Mohamed. Et c’est Le Tout-Puissant qui se manifeste à travers son prophète. Et il dit que «Tout acte de piété vous revient sauf le jeûne. Le jeûne m’appartient et c’est moi qui vous en récompense». C’est donc un acte exclusivement privé entre le jeuneur et Le Tout- Puissant. La preuve, vous pouvez toujours prétendre l’honorer alors que vous pouvez avoir déjeuné en cachette. Les seuls à savoir la vérité dans ce cas-là c’est vous-même et Le Tout-Puissant. Ceci dit, j’ai affirmé à l’époque que le fait de déjeuner en public, c’est un fait ostentatoire, c’est un acte charnel, légitime peut-être, chacun son jugement, mais c’est là un acte qui devrait rester privé. Ceci pour le côté religieux. Et puis il y a la sécurité publique. Et c’est tout à fait normal de veiller, et c’est là la mission de l’Etat, à ce que ce genre de comportements ne génère une autre réaction radicale d’une certaine population. La dernière fois qu’il y a eu attroupement à Tizi-Ouzou, il y a eu la présence des têtes d’un parti dissous et des extrémistes de tous bords. Même ceux qui appelaient au lynchage de Kamel Daoud y étaient. Donc, ces jeunes qui croyaient à l’origine manifester leur liberté d’exercice ou de conscience, ils étaient en réalité en train d’irriter et d’interpeller le radicalisme de tous bords. Et c’est pourquoi depuis ma nomination, j’avais dit que c’était là un problème qui ne concerne pas la religion. A l’adresse des jeunes déjeuneurs j’avais d’ailleurs dit : «déjeunez autant que vous voulez, ça ne gênera en rien l’Etat car il n’a que faire de votre jeûne ou votre dé-jeûne». Et c’est la réalité. Parce qu’en Algérie ou ailleurs, sur la placette de l’olivier ou dans une autre contrée d’Algérie ou du monde, il s’en trouverait peut-être toujours des adorateurs de Satan, et ceux-là sont bien plus éloignés de la religion de l’islam qu’un déjeuneur occasionnel, je dirais, et ils ne gênent en rien les Etats. Car il y a certains qui manifestent carrément leur athéisme via notamment les réseaux sociaux. Mais personne ne les a emprisonnés, c’est-à-dire qu’on n’est pas là face à un problème confessionnel, vu de l’Etat bien entendu. Mais nous soupçonnons un problème d’ordre politique. C’est pour cela qu’avant d’interpeller ces «gardiens du temple» à davantage de modération, je préfère appeler ces jeunes à considérer leur geste en respectant la Kabylie qui est le terreau de toute la religiosité modérée de l’Algérie. C’est dans cette région que nous puisons à chaque fois pour trouver les personnalités historiques qui ont marqué notre façon de pratiquer la religion modérément. Notre démarche est sincère et salutaire même pour les déjeuneurs. A ces derniers, je demande donc d’effacer de leur concept que cela nuit à l’Etat. Le Ministre que je suis l’a dit déjà publiquement et je n’ai jamais engagé une démarche en justice contre eux, mais ils doivent savoir aussi que l’Etat doit veiller à l’ordre public que ce soit quand il s’agit de déjeuneurs ou de jeuneurs qui provoquent le désordre en ripostant. Dans ce genre de situations, on est généralement face à des réactions spontanées sans garde-fou qui peuvent déraper. Et pour éviter toute intervention, j’en appelle à la sagesse des uns et des autres en rappelant encore une fois que le jeûne est un acte privé censé rester privé comme le pratiquaient, ou peut-être pas pour certains, nos ancêtres. Je le répète encore une fois, le jeûne c’est entre la personne et son Créateur.

La pratique d’autres religions que l’islam est une réalité en Algérie. Et il se trouve que des voix se sont élevées, certaines pour dénoncer l’hostilité de l’administration et d’autres carrément la persécution à l’égard de la pratique autre que de confession musulmane ?

C’est la Constitution qui est tellement explicite qui fixe tout et aucune autre autorité n’a ni à dire ni à redire sur ce sujet. L’Algérie a bien constitutionalisé le droit à la liberté de conscience et aux derniers amendements, il a été question de la constitutionnalisation de la liberté de l’exercice du culte. Donc, on ne peut pas dire qu’il y a une position de parti-pris encore moins d’hostilité de l’Etat ou de l’autorité publique contre les autres religions ni contre les autres consciences et choix dogmatiques. Il n’y a pas de mal dans la chrétienté c’est une religion révélée par Le Tout-Puissant. Cela est même dit dans le saint Coran et ses adeptes sont reconnus. Le prophète de l’islam avait même invité pour un dialogue dans l’enceinte de sa grande mosquée à Médine les chrétiens de Nedjrane et quand ces derniers avaient demandé à accomplir leur devoir religieux, je veux dire leur prière à eux, le prophète les a autorisés à l’accomplir dans la même enceinte. On ne va pas redoubler de classe ! C’est pour moi la référence. Que l’on en fasse alors autant entre nous autres, c’est notre philosophie.

Mais, et ces entraves administratives soulevées par ces fidèles d’autres confessions pour l’exercice de leur culte ?

Je me réfère toujours à la Constitution qui stipule que l’exercice du culte est cadré par la loi 02-06 Bis. Est-ce que l’Algérie est la seule à l’avoir ? La réponse est non. Tous les pays du monde conditionnent la pratique de la religion, de confession majoritaire ou minoritaire, par le fait qu’elle n’ait pas d’incidence néfaste sur l’ordre public. Et c’est pour cela qu’en Algérie, vu l’engouement pour la religion musulmane, la loi 02-06 exige que la pratique du culte d’une religion autre que musulmane se fasse dans l’enceinte d’une église. Et quand on parle d’église avec un petit «e», nous devons parler d’association religieuse de confession autre que musulmane. Donc une association soumise à un agrément. Maintenant, est-ce que toutes ces associations de confession autre que musulmane sont agréées ? Je dirai que non ! Maintenant, pour l’Eglise avec un grand «E», elle s’est soumise à la réglementation, a son agrément, a renouvelé son statut et s’est donc mise en conformité avec toutes les révisions qu’a subies le statut particulier régissant les associations en Algérie. Les autres, pour ne pas les citer, ne l’ont pas fait. Et c’est pourquoi elles se sont retrouvées sans couverture et en porte-à-faux avec la loi. Et c’est là d’où part tout le mal. L’administration algérienne n’a pas réussi depuis le temps à avoir un statut d’association stable. Le dernier remonte à décembre 2012. Or, dans cette loi de 2012, dans son article 47, il est exigé que la gestion d’une association à caractère religieux, de confession musulmane ou autre, se fasse par une autre réglementation, à savoir un décret exécutif. Parce qu’il s’agit de droit, nous avons avancé un texte de décret exécutif présidentiel qui a été discuté et même validé. Il comportait cinq chapitres et justement le cinquième était consacré aux associations religieuses autres que musulmanes. C’est pour vous dire que la volonté politique existe pour la mise en conformité de toutes les associations existantes. Le dossier n’est pas allé au bout, tout simplement parce qu’il y avait l’avènement de la nouvelle constitution qui parle de loi organique. C’est une nouvelle démarche dans laquelle nous allons nous investir. C’est une réaction positive de notre part en réaction aux requêtes des associations religieuses autres que musulmanes, notamment catholique mais aussi protestante, les adventistes du 7ème jour… Et c’est eux qui ont souhaité que les autres associations à caractère religieux autres que musulmanes ne soient pas dotées d’une loi spécifique. Et nous avons réagi positivement à leur requête. C’est pourquoi, dans le débat qui sera ouvert au gouvernement à propos de l’élaboration d’une future loi organique qui passera par les deux chambres, nous comptons reconduire les mêmes recommandations, c’est-à-dire doter cette loi d’un chapitre spécifique aux associations autres que musulmanes. Une fois cette loi validée, toutes les associations religieuses musulmanes ou autres qui répondront aux conditions fixées seront autorisées au libre exercice de leurs activités, de disposer de fonds…

Venons-en au rituel du Hadj. Tout le monde se souvient des conditions dramatiques dans lesquelles s’est déroulée la dernière campagne avec au bout des centaines de décès. Des rumeurs ont même couru sur un probable boycott de la prochaine campagne. Quelle est la position officielle de l’Algérie ?

J’ai personnellement vécu l’incident en vérité et on était loin du simple accident, c’était une véritable catastrophe humaine. Beaucoup de musulmans sont morts ce jour-là. Et parmi ces morts nous avons enregistrés 42 martyrs algériens. J’ai vu les photos de ces martyrs, j’ai vu la douleur vécue, la mort atroce qu’ils ont subie et j’avais dit à ce moment-là pour apaiser la tension, que nous devons croire en la fatalité. Mais cela ne voulait nullement dire que nous n’avons pas de droit à défendre. Et c’est pourquoi, à l’occasion de mon entrevue avec le ministre saoudien du Pèlerinage et pour préparer la campagne de cette année, j’ai manifesté à nouveau notre volonté de savoir où en étaient les investigations ? Les Saoudiens n’ont pas de réponse jusqu’à présent, mais ils affirment que ce n’est pas le système qui aurait failli. Je cois que je peux être témoin que le système est effectivement fiable mais qu’il y a eu quelque part une négligence. J’espère que ceux qui ont causé les premiers incidents qui ont conduit au drame, seront reconnus et punis. Je crois que l’Arabie Saoudite a les moyens pour le faire. Nous avons demandé à ce que le pèlerinage soit plus sécurisé et j’ai pu comprendre de la part du ministre saoudien qu’ils comptent cette année élargir davantage les voies pour une meilleure fluidité des pèlerins, parce que c’est dans ces voies que la bousculade s’est produite. Elles sont trop exiguës au vu de la foule qui y passe. Surtout l’artère 204 qui jalonnait les campements algériens. Parce que le drame est passé tout près des Algériens qui ont été les vrais héros, je parle des civils, pas de la mission. C’est mon message de fidélité et de loyauté envers les simples pèlerins algériens qui ont contribué au sauvetage, au secours des pèlerins algériens ou autres pris dans le piège mortel. Maintenant, pour en revenir à l’objet de la question, je ne pense pas qu’il y aura de boycott de la prochaine campagne. Il y a déjà eu par le passé d’autres bousculades, des piétinements atroces, notamment lors de la chute du pont de la lapidation virtuelle de satan en 2006 qui avait causé alors aussi plus de 500 décès. Mais cela n’avait pas empêché les Algériens de repartir en 2007 et 2008… Le cours actuel des préparations de l’évènement démontre d’ailleurs qu’il n’y a aucun refus manifesté ni boycott. Mieux que cela, il y a ceux qui guettent les éventuels boycotteurs pour profiter des places à libérer. C’est une réalité algérienne.

Le monde entier a senti que les Saoudiens ne disaient pas tout sur cette tragédie, que ce soit pendant ou après les faits. Avez-vous le nombre définitif des décès enregistrés ?

C’est vrai que les Saoudiens n’ont pas communiqué les vrais chiffres tout de suite. Et je comprends un peu. Mais un recoupement a été fait par l’AFP qui s’est référée aux déclarations de tous les pays qui comptaient des victimes. Ce qu’il faut retenir c’est que le chiffre global de 2000 victimes a été amplement dépassé. Et nous savons aussi que les Saoudiens n’envisagent pas de dédommager, car ils considèrent que cela relève de la fatalité et qu’il est question d’une tournure qui n’incombe pas à l’Etat saoudien.

Sur les réseaux sociaux, ce qui a irrité le plus c’est qu’il semblerait que le drame a eu lieu suite à la fermeture d’une allée pour permettre à un dignitaire du régime d’accomplir sans encombre son rituel…

Ce n’est pas nouveau. Ce sont des comportements enregistrés à chaque pèlerinage : Des artères qu’on ferme pour en ouvrir d’autres, et ce, quelle que soit la raison. Mais le problème cette fois est plus compliqué. Ce n’est en effet pas la fermeture d’une artère qui peut engendrer une bousculade mortelle de cette ampleur. Dans le cas dont il est question, les pèlerins, de retour des stèles de lapidation, ont été amenés à prendre une voie qui n’était pas la leur, je veux dire celle du retour vers les campements. Il était dans une voie de sens contraire. Et techniquement, ils ne pouvaient pas le faire. Il y a des barrières très hautes qui dépassent les cinq mètres avec des portails de sécurité cadenassés. Qui a ouvert une de ces portières ? A-t-elle cédé ? Est-ce qu’un début de bousculade a engendré une faiblesse chez un gardien qui a fini par ouvrir ? Tout cela ne peut être éclairé sans une enquête réelle et surtout une volonté de dire. Les Saoudiens ont normalement les moyens d’avoir la vérité il y a plusieurs caméras éparpillées sur ce site. D’autre part, beaucoup a été également dit sur les réseaux sociaux, j’ai pratiquement tout suivi en ma qualité de membre du gouvernement qui se devait de veiller à ne pas tomber dans une polémique très néfaste pour le monde musulman, qui pouvait nous amener jusqu’à la division par sectes interposées. Ce n’est en effet pas un problème entre chiites et sunites car nous sommes conscients qu’il n y a pas de divergences entre ces deux doctrines mais qu’elles sont entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Nous ne voulions surtout pas donner une couverture religieuse au différend politique. Cela étant, de toutes les réactions je n’endosse que celle algérienne qui impute la tragédie à une faute humaine et que l’enquête enclenchée doit aboutir pour nous fournir les circonstances et les responsables de la tragédie.

Avant de terminer, on ne peut pas ne pas évoquer le fameux projet du complexe islamique prévu à Aghribs qui a soulevé réserves et contestation de la population locale, notamment sur son emplacement ?

Le problème est maintenant résolu. Je dis tout de suite mon soulagement que la contestation a généré un dialogue qui a été salutaire. J’ai été personnellement sur place à Aghribs et j’ai eu le privilège d’être accroché par le maire de cette commune. Connaissant son appartenance partisane, j’appréhendais qu’il ait une réaction radicale envers le membre du gouvernement que je suis, mais j’ai trouvé en lui un président d’assemblée communale très serein, modeste avec une vision très réaliste et je dirai même d’envergure. Il y a avait aussi des sénateurs, le P/APW et je me rappelle qu’on m’avait proposé un autre terrain plus vaste pour délocaliser le projet. C’était très simple à comprendre, et j’ai endossé la responsabilité de restituer le terrain initial au profit de Sidi Djaafar. Maintenant le projet du complexe est donc affecté vers le nouvel espace de 8000 M² qui a été mis à notre disposition par le maire et avec l’enveloppe budgétaire octroyée par l’Etat, la construction du complexe est entamée. Et lors de la mise en route du projet, je veux dire son entame, j’ai insisté à ce que le rez-de-chaussée soit réservé à une bibliothèque ouverte aux villageois pour apprendre les mathématiques, la physique, réviser leurs cours… J’ai demandé aussi à ce qu’une partie de ce complexe soit dotée de petits commerces qui seraient au service de la commune et dont les recettes serviront à la prise en charge de ce complexe et à son entretien. Et c’est là une équation qui a contribué à résoudre le problème, même si le transfert de propriété a quelque peu pataugé. Mais l’installation du nouveau directeur de wilaya du secteur a permis de dégripper la machine et actuellement je crois que les travaux ont déjà été entamés. J’ai proposé par ailleurs au maire que le ministère s’investisse dans le lot de terrain initial, pour ne pas dire controversé en prenant en charge, sur le budget des waqfs, la construction d’un établissement qui serait au service du village. Mais j’ai tout de suite eu la réponse que les villageois savaient quoi faire et j’ai cédé en toute conscience et conformité à la religion et à ce que prévoit la loi en la matière.

Peut-être un dernier mot encore ou un message pour clore cet entretien ?

Mon dernier mot ne pourrait être que de relancer mon appel pour un retour salutaire à notre islam ancestral. Et la Kabylie incarne le référent religieux national. Car elle a toujours été en perpétuel contact avec l’élite, celle de l’Andalousie notamment. La chute de Séville a engendré la migration d’éminents savants en mathématiques, en lettres, en philosophie et en jurisprudence musulmane qui sont venus sur la rive sud de la méditerranée et beaucoup d’entre eux avaient choisi cette région pour s’y installer. Et la conjugaison qui en est ressortie, entre une façon de pratiquer venue de l’autre rive et notre tradition modéré et saine, algérienne tout court, jalonnée par le maraboutisme, a donné naissance à un vrai socle d’unité nationale, un vrai refuge pour contrecarrer et servir de rempart contre les nouvelles idéologies extrémistes fondamentalistes et terroristes, et surtout rassembler les Algériens autour de cet idéal. C’est notre idéal à nous que nous avons hérité de nos ancêtres et non pas décrété par lois, encore moins voté par les chefs. Ce n’est pas du contemporain, c’est ancestral, ce sont nos racines. Et c’est pour cela qu’à chaque fois que je reviens en Kabylie c’est pour moi un voyage pour me ressourcer et pour conforter ma démarche que je suis sur la bonne voie.

Entretien réalisé

par Djaffar Chilab.

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