«Quand Amirouche parlait…»

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Aujourd'hui âgé de 79 ans, Mohamed Zahzouh est un ancien officier de l’ALN dans la section du Djurdjura. Il revient dans cet entretien sur la révolution nationale jusqu'à l'indépendance. Il évoque aussi les visites que le colonel Si Amirouche leur rendit entre 1957 et 1958. Il raconte avec détails toutes les batailles qui eurent lieu entre Ouacifs et le Djurdjura.

La Dépêche de Kabylie : M. Zahzouh, l’Algérie commémore le 62e anniversaire du 1er Novembre 1954. Où étiez-vous ce jour-là ?

Mohamed Zahzouh: En toute sincérité, je n’ai pas participé à la soirée du déclenchement parce que j’étais encore trop jeune. Mais je savais que dans plusieurs villages de ce versant sud de Tizi-Ouzou, il y avait des hommes qui avaient pris les armes. Il y en avait presque dans chaque village. A Ighil Imoula, on parlait de 22 hommes, à Ath Ergane, à Ath EL Kaid, Ath Bouadou,…

Vous étiez quand même au courant que, cette nuit-là les moudjahidine étaient passés à l’action…

Bien sûr. Dans la région de l’ex-commune mixte de Draâ El-Mizan, il y a eu deux opérations. L’une à Tizi N’Tletta menée par le groupe d’Ali Zamoum où ils ont coupé le téléphone, brûlé les archives à la mairie et tiré sur un garde-champêtre qui succombera par la suite. Et à Draâ El-Mizan, un groupe venu de Tafoughalt a attaqué la brigade de gendarmerie, après avoir tué un gardien les suivait. Ils ont également brûlé un entrepôt de liège à la cité communément appelée “la cité du liège”.

Quelles sont les premières batailles dont vous vous souvenez le mieux ?

Tout d’abord, en juillet 1955, eut lieu la bataille de Kouriet au Djurdjura. Les premiers moudjahidine sont tombés. On parlait de sept. Quinze jours après, sept autres sont tombés au champ d’honneur à Ath Bouadou dans la bataille de Zemadj. C’était une perte énorme et la population doutait de la suite que prendra ce soulèvement. Parce que lorsqu’on ne parvenait pas à convaincre d’autres à rallier le mouvement.

Qu’a-t-il été alors décidé pour redonner confiance aux militants et à la population ?

Pour l’histoire, je dirai ceci: Krim Belkacem avait alors réuni les militants et les moudjahidine et il leur a ordonné de mener une opération d’envergure pour regagner cette confiance. Nous avions perdu quinze hommes en l’espace de quinze jours et de la réussite de cette opération dépendait le mouvement. Et effectivement, les moudjahidine menèrent des opérations ici et là. A partir de là des adhésions commencèrent. Et en 1957, les attaques ont redoublé et ont eu un grand impact.

Pourriez-vous nous en citer quelques-unes ?

En 1957, il y eut une bataille à Thiniri où décéda El Hadj Amar, un responsable originaire de Larbâa Nath Irathen. En août 1957, à Tala Guilef, une attaque fut dirigée par l’adjudant Arezki Slimane, durant laquelle un chahid tomba au champ d’honneur et un autre fut blessé et succomba à Helouane. Durant cette bataille, ce groupe avait un fusil mitrailleur 24-29 que leur avait remis le colonel Amar Ouamrane de la wilaya 4 historique. Deux groupes de moudjahidines menèrent une autre bataille à Thiniri – Boghni. C’était lors de cette bataille que tomba le sergent Ali N’Ahmed Amellal et d’autres. Le fusil mitrailleur ne fut pas pris par les soldats français. Il y eut des accrochages là aussi. En septembre 1957, on était à Maâla à Tala Guilef, Amar Ihaden m’a dit que le colonel Si Amirouche allait venir. Effectivement, au petit matin, Si Amirouche arriva en compagnie d’Amar Bouta (adjudant) et d’Aissa Boudaoud, originaire de Bordj Bou Arredj qui tombera au champ d’honneur à Ath Douala en 1958 et Amar Bouta décédera à son tour à Cheurfa (Tizi N’Tletta) la même année.

Pourquoi le colonel Amirouche vous rendit-il visite ?

Il était venu pour faire un constat sur la situation qui prévalait dans cette région. J’étais chargé par le colonel Amirouche de faire la liaison vers Ath Ergane (Agouni Gueghrane). Le colonel nous réunit et ce jour-là il promut l’adjudant Si Slimane au grade d’aspirant et lui demanda de former la Katiba du Djurdjura. En même temps, il lui ordonna de mener une opération d’envergure au lieu-dit “ La plaque” du côté de Tikjda. On devait attaquer des militaires qui escortaient des prisonniers. On avait appris que le convoi transportait environ quarante prisonniers et quinze soldats. Finalement, arrivés à l’endroit, nous n’avons pas mené l’opération parce que le terrain était nu et nous avions peur que les avions nous bombardent et nous anéantissent. Il y avait parmi nous l’adjudant Arezki Slimane, le lieutenant militaire Bennour Ali dit Ali Moh N’Ali et Amar Bouta. Au 3e jour, nous quittâmes la région. Avant de traverser la route, je me souviens bien qu’Ali Bennour et Arezki Slimane étaient en position. En cours de route, nous fûmes attaqués par des militaires et nous ripostâmes et les soldats français s’enfuirent. On se scinda en quatre groupes. C’était l’une des grandes batailles. Nous récupérâmes 4 MAT 49, une carabine, des chargeurs, des chaussures, des tenues… Ce jour-là Si Ahmed El Hocine fut blessé et il mourut à Tamda Ouguelmine où nous l’enterrâmes.

Quelles sont les grandes autres batailles qui eurent lieu dans la région ?

Il y en eut des dizaines. En février 1958, c’est l’aspirant Slimane qui a abattu un avion de reconnaissance à Tala Guilef après une rude bataille où les soldats français avaient utilisé des bombes incendiaires. Sa carcasse est exposée au musée régional du moudjahid de Tizi-Ouzou. Le 19 janvier 1958 à Ath Imghour, Amar Bouta fut blessé. Bien d’autres batailles et accrochages eurent lieu. En tous cas, à partir du moment où Si Amirouche avait chargé l’aspirant Slimane de constituer la compagnie du Djurdjura, l‘organisation fut complète et nous réussîmes plusieurs coups.

On dit que le colonel Amirouche est revenu plusieurs fois dans la région…

En effet. Souvent, il arrivait à partir d’Ath Ergane et on l’escortait jusqu’à Tala Guilef. A deux prises, j’étais présent lorsqu’il arriva à notre poste de commandement en juin 1958 et en août 1958. Quand Amirouche parlait, c’était pour dire quelque chose d’important. Il était un vrai stratège militaire. Même lorsqu’il tomba au champ d’honneur les armes à la main, la France coloniale ne crut pas que c’était lui. En août 1958, il passa trois nuits avec nous à Tala Guilef. Il nous expliqua avec détails l’affaire de la Bleuite. Le colonel Amirouche insistait sur le fait qu’il fallait nettoyer les rangs pour continuer la guerre. La révolution n’a pas de prix. Dans toute révolution, il y a des points positifs et des points négatifs. Certes, il y eut des erreurs, mais, sans cela, nous n’aurions pas atteint l‘objectif recherché. Il ne faut que les gens le critiquent, parce qu’il avait agi pour l’Algérie. C’était cette fois-là qu’il ordonna à l’aspirant Arezki Slimane de former la Katiba du Djurdjura. A partir de là nous avons mené d’innombrables batailles parce que nous étions mieux organisés. Nous avons perdu des hommes de valeur. Cela ne nous a guère découragés. Au contraire, nous escomptions toujours gagner du terrain.

Dda Moh, racontez-nous la bataille dans laquelle vous avez été blessé…

Nous étions chargés par Seddik El Mehni de nous rendre à Agdal, un village à Ath Toudert à Ath Ouacifs. Ce village était pratiquement vide. Nous étions au refuge quand nous vîmes cinq camions militaires arriver d’Ath Ouacifs. Notre responsable nous ordonna de leur faire une embuscade. Nous les avons alors attaqués. On tirait et les soldats tombaient. Mais, on ne savait pas combien il y avait de morts. C’était ce jour-là que je fus blessé par un éclat à la jambe. Mes camarades me déposèrent dans un endroit où je trouvai des couvertures et je passai des heures entières avant que les femmes du village ne viennent me porter secours et m’apportèrent à manger. Quand Seddiki El Mehfi apprit que j’étais blessé, il m’envoya Ahmed Kaced et son groupe. Ils me cachèrent dans une maison dans un village voisin. Vers cinq heures du matin, les soldats français y arrivèrent. Fort heureusement, nous étions déjà sortis. Ce jour-là je vis encore si Amirouche, Si El Hachemi un infirmier qui me soigna. On alla jusqu’à Akfadou où le médecin Ahmed Benabid fit tout le possible pour me sauver. Suite à un grand ratissage mené par les militaires dans la région, je fus envoyé vers Michelet (l’actuel Ain El Hammam), puis vers Illilten. Je fus rétabli et je participai aux côtés de mes compagnons à de nombreuses batailles. Il faudrait un livre complet pour les reproduire. Je revins dans mon secteur, je fus promu sergent de secteur 2 chargé des renseignements, puis adjudant et en mars 1962, je devins sous-lieutenant.

54 ans après l’indépendance, chèrement acquise, quels conseils donneriez-vous à la génération actuelle et aux générations à venir ?

C’est vrai que nous avons accédé à l’indépendance, mais on ne doit pas oublier les sacrifices consentis par notre peuple et tous les martyrs tombés au champ d’honneur. A chaque époque ses hommes. Nous avons accompli notre devoir parce que nous avons libéré notre pays du joug colonial. Que les jeunes d’aujourd’hui accomplissent le leur. C’est une situation difficile. Il faut que tout le monde fasse attention à l’unité de la nation et à sa stabilité. Gloire à nos martyrs. Vive l’Algérie indépendante.

Entretienréalisé par Amar Ouramdane

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