“L’enseignement de la langue Amazighe a regressé au cours des 15 dernières années”

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Dans un contexte marqué par de grandes divergences qui traversent les différents acteurs, le président du congrès mondial Amazigh a fait appel, dans l’entretien qu’il nous a accordé à l’union de toutes les parties afin de permettre à la cause identitaire d’aboutir à des perspectives “ porteuses “ et déclencher des dynamiques “ sérieuses “ pour la région de Kabylie. Belkacem Lounes, reviendra, à la même occasion, sur les conditions dont lesquelles évolue l’Amazighité notamment au Maroc où il dit qu’un vrai apartheid anti-amazigh s’est formé de même que dans les autres pays d’ailleurs. Le président du CMA regrettera le fait que l’enseignement de Tamazighte a regressé de plus de 60 %.

La Dépêche de Kabylie : Quelle est la place du CMA, dans le combat identitaire?

B.Lounès : D’après ses statuts, le CMA est une ONG de défense et de promotion des droits et des libertés individuelles et collectives du peuple Amazigh. Ce qui signifie que l’action du CMA ne se limite pas à la question identitaire,même si celle-ci est centrale. Conformément au droit international sur lequel s’appuie le travail du CMA, notre ONG défend donc, non seulement, les droits culturels et linguistiques des Amazighs mais également leurs droits économiques, sociaux et politiques ainsi que leurs libertés fondamentales. A ce titre, nous avons déjà porté devant les instances internationales, la question du partage équitable des richesses générées par l’exploitation des ressources naturelles, la lutte contre l’impunité en jugeant et en condamnant les assassins et les responsables des crimes commis durant le Printemps noir 2001, le respect de la liberté de conscience et de culte, la liberté d’association et de réunion, la nécessité de démilitariser les territoires Amazighs comme la Kabylie et de lutter contre l’insécurité afin de restaurer la paix et le progrès socioéconomique, l’obligation de reconnaître aux Amazighs le droit de disposer d’eux-mêmes et qu’en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel, etc.

31 ans après le Printemps berbère, quel bilan faites- vous des acquis et de l’état des lieux de la revendication identitaire en Algérie ?

Au vu des sacrifices, ce que vous appelez “ les acquis “, sont bien maigres. L’enseignement de Tamazight ? Il a régressé au cours des 15 dernières années de plus de 60% en nombre d’élèves et en nombre de wilayas couvertes par cet enseignement. D’après les statistiques officielles, Tamazight est enseignée à 163000 élèves en 2009, un chiffre ridicule rapporté aux centaines de milliers d’élèves. Concernant les enseignants, il est honteux que plusieurs dizaines d’entre eux aient été obligés de recourir pendant des années, à des grèves de la faim pour obtenir un statut décent. Quant aux diplômes en Tamazight, l’Institut de Formation des Maîtres a prévu de former 35 professeurs en 2010 et seulement 18 en 2011, d’après les chiffres fournis par le gouvernement algérien au Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU. Cela montre une volonté claire de freiner le développement de la langue amazighe en Algérie. Je constate aussi que le statut de “ langue nationale “ pour Tamazight, inscrit dans la Constitution algérienne depuis 2002, n’a apporté aucun progrès dans la prise en charge effective de la langue et la culture amazighes. Au contraire, l’amazighité continue d’être marginalisée, folklorisée, ridiculisée et souvent présentée comme une sous culture de caractère “ indigène “, dans son sens péjoratif.

Vous avez participé récemment, au séminaire de Takarbouzt (Bouira) et à la Convention du MAK à Tizi N’lKorne (Tizi Ouzou) pour débattre de l’avenir de la Kabylie, dans quelle logique s’inscrit votre participation et quelle a été votre contribution au débat ?

Nous avons été invités aux deux rencontres et naturellement nous y avons participé car il s’agissait comme vous dites, de débattre de l’avenir de la Kabylie. Ces rencontres sont trop rares pour se permettre de les bouder et je profite de cette occasion pour à la fois remercier les habitants des villages de Tizi-Elkorn et de Taqervuzt pour leur admirable hospitalité et pour dénoncer les autorités algériennes qui refusent aux Kabyles de se réunir dans les grandes villes dont les édifices publics et privés sont réservés exclusivement aux événements favorables à l’idéologie arabo-islamique et au gouvernement. Pour revenir aux deux rencontres en question, nous tenions à y être présents afin d’exprimer notre soutien à tous les débats qui peuvent être initiés, à condition qu’ils soient démocratiques et sincères et qu’ils visent le changement vers plus de démocratie et de liberté. Aujourd’hui, les menaces sont telles qu’il n’est pas permis de passer son temps à critiquer le voisin ou à faire du chacun pour soi. Personne ne peut reconstruire le pays tout seul, il est donc impératif que les individus et les organisations démocratiques se parlent et se mettent d’accord sur un minimum pour contrer ensemble les ravages que fait le pouvoir algérien dans les domaines économique, politique, sociétal, etc. C’est pour encourager et renforcer le débat démocratique et pluriel que nous étions présents aux deux rendez-vous et notre message a surtout été de dire que toutes les forces de progrès doivent converger pour sauver la Kabylie et le reste de l’Algérie du chaos.

La commémoration de l’anniversaire du Printemps berbère est marquée, chaque année, par des tiraillements kabylo kabyles, pensez- vous que le CMA, peut jouer le rôle de catalyseur des forces en présence ?

Les tiraillements entre organisations et mouvements concurrents sont inévitables et existent dans toutes les sociétés. Il faut accepter la diversité des opinions et des actions, faire en sorte qu’elles coexistent mais veiller à ce qu’elles marchent sinon ensemble, du moins pas les unes contre les autres. A ce sujet, je constate qu’en Kabylie, le pouvoir machiavélique algérien, utilise toutes les méthodes y compris les plus obscures et même la violence, pour tenter de discréditer les uns et de manipuler les autres afin de susciter une suspicion permanente qui empêche l’union. Même le CMA n’a pas échappé aux manigances du pouvoir. Il faut s’armer de lucidité et d’un grand sens des responsabilités pour faire échouer les pièges de ce pouvoir corrompu et corrupteur, qui encourage tous les trafics mais interdit aux citoyens de s’organiser et de réfléchir. Pour revenir à votre question, bien sûr que le CMA est prêt à jouer un rôle plus actif pour rapprocher toutes les bonnes volontés non seulement pour commémorer Tafsut imazighen mais bien au-delà pour reconstruire la Kabylie.

Vous avez écrit au roi du Maroc, l’interpellant sur ce que vous avez appelé “amazighophobie», votre appel a-t-il trouvé écho et quelle est la situation des Amazighs au Maroc ?

Il y a au Maroc comme dans les autres pays de Tamazgha, un vrai apartheid anti-Amazigh. Au Maroc, il se manifeste par des choses symboliques comme l’interdiction des prénoms Amazighs mais aussi par le fait que les régions amazighes sont les plus pauvres du pays et que la répression contre les militants Amazighs est féroce. Le roi du Maroc vient de faire libérer plusieurs dizaines d’islamistes mais pas les deux étudiants membres du Mouvement Culturel Amazigh qui ont été arbitrairement condamnés en 2008 à 10 ans de prison ferme. C’est une grave discrimination qui met en évidence le racisme d’Etat anti-amazigh dans ce pays dont le pouvoir est entièrement accaparé par la minorité arabo-islamique Fassie. Pour changer la situation, il faut rassembler nos énergies pour modifier le rapport de forces car les régimes arabes qui sont génétiquement anti-démocratiques et ne quitteront le pouvoir que par la force comme l’ont montré les exemples de la Tunisie et de Egypte et comme cela sera bientôt le cas en Libye. Pour finir sur une note d’espoir, permettez- moi de saluer la naissance de la première association des Amazighs de Tunisie, qui sonne le réveil des Amazighs dans ce pays et qui vient fleurir davantage le Printemps Amazigh 2961-2011.

Entretien réalisé par Omar Zeghni

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