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Entretien avec Mohand-Akli Benyounes, dit Daniel, président de l’Association des moudjahidine de la Fédération de France du FLN 1954/62 : “C’est la première population au monde qui a fait la guerre chez l’ennemi”

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Propos recueillis par : M. Mouloudj

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La Dépêche de Kabylie : Racontez-nous, grosso modo l’histoire de la Fédération de France du FLN ?

Mohand Akli Benyounes : Je ne vais pas refaire l’histoire de l’immigration, mais il est toujours nécessaire de rappeler l’apport de cette immigration à la lutte pour l’indépendance. Je dois, aussi, souligner que tous les mouvements politiques algériens avant 1954, sont nés en France. On commence par l’Etoile nord africaine, le combat de l’Emir Khaled, le PPA, en 1937, le MTLD, aussi a vu le jour en France…

Il faut aussi ajouter qu’à la veille de 1954, le responsable de la Fédération de France du MTLD était Mohamed Boudiaf, avant qu’il ne rentre au pays pour organiser la réunion des 22.

Après la déclaration du 1er Novembre et le début de la révolution armée, le premier responsable de la Fédération de France était Mourad Tarbouche, un militant nationaliste originaire de Kabylie.

Boudiaf était avec Didouche à la veille de la Proclamation du 1er Novembre. Didouche est resté au pays, par contre Boudiaf est reparti par la suite pour contacter, ce qu’on appelait, la délégation extérieure du FLN établie au Caire. Donc, dès 1954, la Fédération de France a démarré. Tarbouche a activé avant d’être arrêté. Les choses les plus sérieuses à la Fédération de France ont commencé dès 1956, avec l’arrivée de Salah Louanchi qui était également originaire de la Tizi Ouzou. Un premier comité fédéral a été mis sur place. Il y avait Ahmed Taleb, Ahmed Doum, Mechati, qui était aussi membre des 22 et Guerras Abderahmane, qui étaient membres du premier comité fédéral mis sur pied par Louanchi. Vers la fin de 1956 et début 1957, ils étaient tous arrêtés. Après leur arrestation, Abane Ramdane, qui était au CCE, a envoyé Omar Boudaoud, qui était au Maroc, pour reprendre l’organisation de la Fédération.

Omar Boudaoud était venu avec Ali Haroun, qui était aussi avec lui au Maroc. Sur place, ils ont retrouvé deux vieux militants, en l’occurrence, Abdelkrim Soussi de Annaba et Amar Ladlani, dit Keddour, originaire de Kabylie. Rabah Bouaziz, dit Saïd, qui était au maquis de la Wilaya IV, a été envoyé par le colonel Sadek pour rejoindre cette équipe. Le comité fédéral a été désigné depuis la mi-1957 par le CCE, et ils se sont repliés en Allemagne jusqu’au cessez-le-feu. A cette époque, j’étais militant de base à St Denis, où se sont installés la majorité des immigrés de Aïn El Hammam. En 1957, je quitte St Denis pour le 18e Arrondissement, vers la fin de 1958, je quitte cette région pour la Province pendant quelques années. Je n’en ai jamais quitté la France, car, je n’ai jamais été arrêté.

Pourquoi une manifestation pour la journée du 17 Octobre 1961 ?

L’ambiance politique de cette époque était caractérisée par les négociations entre le GPRA et le gouvernement français. De Gaulle est arrivé au pouvoir en France dès 1958, et on entend des Algériens dire qu’on a eu l’indépendance grâce à De Gaulle, alors qu’en réalité il est le seul responsable qui a fait 4 années de guerre en Algérie, tandis que les autres présidents qui l’ont précédé n’ont fait que 3 années. C’est dire qu’il s’est investit grandement pour que l’Algérie restera française. La révolution a vécu les pires moments sous le règne de De Gaulle, avec notamment les différentes opérations, comme Jumelle, Etincelle…

Ce qui est aussi intéressant à dire, sur De Gaulle, est l’événement du mois d’avril 1960, où il y avait un tentative de putsh qui le visait. Elle était l’œuvre de militaires établis en Algérie. Ces militaires pensaient que la venue de De Gaulle au pouvoir allait réaffirmer le caractère français de l’Algérie, alors que le nouveau président français engageait des négociations avec le FLN. Ces généraux allaient débarquer en France et de son côté De Gaulle savait que si la guerre en Algérie continue, ce seront les militaires qui prendront le pouvoir. De mon point de vue, De Gaulle voulait justement sauver la France, car De Gaulle n’avait pas le choix.

Et pour revenir à Octobre 1961, il faut dire aussi que le climat de toute négociation est fait de rapport de force. Donc, on a tout fait pour que l’adversaire vienne en état de faiblesse et donner ainsi de la force au FLN qui allait négocier.

De Gaulle a décidé avec son Premier ministre, Michel Debré et le ministre de l’Intérieur Roger Frais qui voulaient casser le FLN, en perspective des négociations. Donc, les deux ministres de De Gaulle ont trouvé une astuce pour briser le FLN, surtout la Fédération au niveau de la région parisienne où celle-ci était très puissante et très organisée. Il faut ajouter aussi qu’il était facile d’activer dans la clandestinité dans une grande ville, comme Paris, que dans un petit village de Province.

Quels étaient les objectifs de la Fédération de France mis à part ces activités connues ?

Dès le début, la création de la Fédération de France avait pour objectif de mener la lutte comme au pays. Ceux qui étaient en France, n’avaient pas le choix, ils étaient là-bas pour travailler, donc, je dirai que le fait d’être séparé de leur famille, de leur pays, les a motivés pour lutter pour le recouvrement de l’indépendance par leur pays. L’immigration est un calvaire, une situation intenable. L’avantage aussi était le fait que tous ces immigrés étaient structurés dans des partis politiques, donc, ils étaient des militants. Ils étaient au Parti communiste, dans des syndicats … ils vivaient dans un environnement politisé et ils savaient que seule une lutte politique paie !

Il y avait aussi des Français qui militaient avec nous. Ils nous aidaient à transférer des courriers…

La Fédération servait aussi de bailleur de fonds au FLN. On récoltait 1 milliard de centimes par mois. Il représente 80% du budget de fonctionnement du GPRA. Ben Tobbal l’avait dit lors d’un séminaire tenu en novembre 1981.

Justement comment se faisaient les recrutements… ?

La Fédération est composée de 12 échelons. C’est-à-dire des chefs de cellules de 5 personnes jusqu’au coordinateur, que j’étais en 1962. Elle a été divisée en 7 wilayas, comme en Algérie. Donc à tous les échelons, il y avait 4+1, donc, un comité. Une structure par tête, donc, c’est une véritable organisation clandestine. Tu ne trouveras pas de noms, ni d’adresse &hellip,; c’était la clandestinité.

On a créé une structure qui s’adapte au terrain, comme tout mouvement clandestin.

C’est la première population au monde qui a fait la guerre dans le pays de l’ennemi. Ni les Indochinois, ni d’autres peuples en lutte pour leur indépendance contre le colonialisme français n’ont pu installer un mouvement pour mener la guerre à l’intérieur même de la France. Une manifestation en plein cœur de Paris n’est pas donnée à tout le monde.

Après avoir réglé le problème avec les militants du MNA, nous avions décidé de mener la guerre contre la France sur son sol.

Racontez-nous un peu la répression qui s’est abattue sur les militants nationalistes lors de la manifestation du 17 Octobre ?

Avec Maurice Papon, préfet de la région parisienne, les responsables français ont décidé d’instaurer un couvre-feu, le 5 octobre 1961 pour les Français musulmans d’Algérie, de 21h30 à 5h30 du matin. Avec ce couvre-feu, on ne pouvait même pas se rencontrer, car on avait que les cafés de nos compatriotes pour se voir. D’autant plus que nos activités se faisaient la nuit, car, on travaillait la journée.

Pour contrer cette décision, la base a décidé de faire une action contre ce couvre-feu. Et c’était là que nous avions décidé d’appeler à cette manifestation, après avoir contacté les membres du Comité fédéral installé en Allemagne. On s’est organisé pour faire une manifestation pacifique, mais nous avions choisi une place où l’action aura plus d’impact sur l’opinion publique française et internationale. C’est pour cela qu’on a choisi le château de Vincennes jusqu’à la Porte Maillot. Avec un regroupement à la République, à Strasbourg St Denis, Opéra…

Il y avait 80 000 manifestants ce jour-là venus uniquement de la région parisienne. Les autres immigrés ont organisé d’autres manifestations un peu partout ailleurs, comme une manifestation de femmes.

Il y avait 15 000 arrestations, 1 500 refoulés en Algérie, 2 400 blessés et surtout 400 morts, dont 50 ont été assassinés dans la cour de la préfecture de Paris. On dénombrait aussi 400 disparus parmi les manifestants. C’était le prix à payer mais le monde a découvert depuis cette masse d’hommes et de femmes engagés pour leur indépendance.

M.M.

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