Le défi de la future assemblée

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Après un règne presque sans partage de l’Alliance présidentielle au cours de la législature qui s’achève, va-t-on droit vers une sorte d’émiettement qui donnerait une configuration sans majorité de la prochaine Assemblée populaire nationale ? Avec la kyrielle de partis et la ribambelle d’indépendants qui se mettent dans la course, l’on est fondé à envisager une telle situation. Le Premier ministre admet la possibilité que notre pays dispose, d’ici le scrutin de mai 2012, d’une centaine de partis. Des personnalités politiques disent n’y voir aucun inconvénient ; cela conduirait, soutient-on, vers une nécessaire décantation où la population est censée reconnaître les siens. Cependant, ce processus nous fera probablement faire un retour arrière sur presque une vingtaine d’années. Autrement dit, l’opération d’agrément des partis, arrêtée au début des années 1990, et les chances de décantation, compromises par les années de non politique, c’est-à-dire de terrorisme armé ont créé pour le pays, pour ses institutions et pour la culture politique, un retard que l’on s’échine à combler aujourd’hui dans un contexte national et régional des plus tendus. Le 10 mai prochain, les Algériens sont appelés à mettre leur bulletin dans l’urne pour désigner leurs représentants à l’Assemblée populaire nationale. L’on est en doit de se poser la question de savoir pourquoi ce qui, dans les formes, épouse la typologie de la démocratie occidentale (universelle devrait-on dire, tant le premier adjectif coltine dans son sillage de vieux préjugés), peut se révéler dans le fond, comme nous avons à le vivre jusqu’ici, un appareil technocratique, voire bureaucratique, de plus ? Depuis la première assemblée mono partisane, issue de la Constitution de Boumediene de 1976, cette institution, évoluant dans un ronronnement constant, n’arrive pas à se distinguer par des actions mémorables, comme l’auto saisine, par exemple, portant sur un thème particulier de la vie de la Nation. Sous d’autres cieux, ce procédé a été tellement utilisé et socialisé que beaucoup de lois qui en sont issues portent le nom de leur auteur, c’est-à-dire le nom de celui qui les a proposées au nom d’un groupe parlementaire ou en son nom personnel. Ce procédé renseigne non seulement sur la souveraineté de l’Assemblée et sur la capacité de cette dernière à user de toutes les prérogatives que lui garantit la Constitution, mais également sur le poids et l’envergure des députés qui arrivent à laisser leurs empreintes dans la vie institutionnelle du pays. Aucune de ces deux vertus n’a, pour le moment, droit de cité dans notre pays. A ce niveau de réflexion, il y a lieu de souligner que la médiocrité et les carences de certaines de nos institutions sont liées à la vacuité de leur contenu réel, du fait que celui-ci est quelque part tronqué ou dénaturé. La qualité du personnel appelé à siéger à l’Assemblée et l’engagement des partis politiques représentés sous-tend le sérieux, ou, au contraire, la légèreté qui déteindra indubitablement sur l’efficacité de l’institution. Lorsque, comme lors de la première session du mandat de l’actuelle Assemblée, les débats entamés autour du statut du député et de ses indemnités ont traîné pendant plusieurs jours, il est clair que cette ‘’charité bien ordonnée’’ ne pouvait aboutir à une grande révolution dans la vie de la collectivité. Mieux encore, on a la nette impression que, par une sourde connivence, les autorités laissent faire et en tirent les dividendes par une espèce de pression/chantage où, dans la balance, se trouvent mis les privilèges liés à la fonction de député. Souvenons-nous des rumeurs qui ont couru et des ballons-sondes qui ont été lancés en 2010 sur l’éventualité de la dissolution de l’APN. À cette éventualité les occupants de l’Hémicycle ne se sentirent pas de joie, et, pour montrer de quoi est capable leur voix, feront fuser leurs vivats en adoptant toutes les ordonnances présidentielles qui leur furent soumises. Cette sorte de ‘’transaction’’ n’est pas conjoncturelle. Elle est, à ce jour, consubstantielle de notre culture et de notre représentation politique. Le défi majeur qui se pose de façon crue à la prochaine Assemblée nationale est de savoir comment passer de l’état de simple caisse de résonance du pouvoir politique à une instance de représentation populaire où les propositions et les initiatives ne seraient pas une denrée rare. À bien y réfléchir, cela pose le problème du niveau de culture politique chez les candidats et, au-delà de la culture et de la conscience citoyenne au niveau des électeurs. Tant que la tribu décide de celui qui va la représenter au niveau national, non seulement pour la faire sortir de l’anonymat symbolique, mais surtout pour la rapprocher de la rente, les vertus de la démocratie parlementaire attendront une autre génération. On risque, en effet, de composer encore avec de simples virtualités. Le panache du dévouement à la chose publique et les grandes valeurs morales étant devenues des denrées rares, c’est la société tout entière qui est appelée à faire sa mue et à se préparer à des révisions déchirantes mais salutaires.

Amar Naït Messaoud

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