Comment réhabiliter la voie des urnes ?

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Par Amar Naït Messaoud:

La symbolique du 8 mai 45, à laquelle est associé le Président de la République cette année à Sétif, peut-elle voler au secours du scrutin législatif de jeudi prochain pour en éloigner le spectre et la hantise de l’abstention?

Bouteflika a déjà eu, lors d’une visite à Oran en mars dernier, à qualifier ces élections d’un  »autre novembre 54″. Cela suffit-il à y mettre le dynamisme, le civisme et la fougue, nécessaires pour décider les électeurs à prendre le chemin des urnes?

Jamais, sans doute, le mot « abstention », concept technique propre à la sociologie électorale, n’a été manié avec autant de confuse appréhension et de vague malaise, qu’à l’occasion des législatives de jeudi prochain. Il est vrai que l’amer souvenir du taux d’abstention des législatives de mai 2007, plus de 65 %, a laissé sa part de panique qui justifie toutes les déclarations et les précautions déclinées à l’occasion du présent scrutin. La maladresse de l’ancien ministre de l’Intérieur l’avait alors amené à se permettre toutes sortes d’exégèses pour expliquer le refus de plus de la moitié du corps électoral à se rendre aux urnes. Le cours magistral commença le lendemain de l’élection, lorsque, le visage comprimé par une fausse sérénité le ministre se lança dans une « dissertation » qui a permis de couper les cheveux en quatre et d’introduire de subtiles et vaines nuances entre des types de scrutins qui mobiliseraient l’électorat plus que d’autres. Pour lui, les présidentielles seraient plus à même de réveiller l’esprit civique des populations, pour aller voter. Les législatives seraient vues, selon le même responsable, comme une abstraction politique qui n’aurait de chances de se concrétiser que dans la capitale. Pourtant, les candidats sont issus des villages et des bourgades d’Algérie. Pas totalement satisfait de cet exposé de motifs, il finira par accabler les partis politiques pour n’avoir pas su mobiliser les électeurs et pour avoir été dirigés par des « salonnards ». Un flop électoral donne-t-il le droit à l’administration de faire intrusion dans la vie organique des partis?

L’on se souvient, également, que l’ancien ministre a fini par mettre le grappin sur une solution qui était censée élucider, pour lui, le phénomène de l’abstention. Estimant que les Algériens ont la bougeotte, il fait incomber leur réticence à se rendre aux bureaux de vote à leurs changements fréquents d’adresses. Et c’est ainsi que le 1er responsable de l’Intérieur conçut un questionnaire qu’il lut face à la presse et aux caméras de la télévision. « Nous posons une question claire aux électeurs : habitez-vous toujours à l’adresse indiquée sur le registre électoral ? ». C’était déjà trop tard, à supposer que ce fut là une piste qui pouvait l’aider à diagnostiquer la froideur électorale de ses concitoyens. Les commentateurs de la presse et les partis politiques n’ayant pas eu le cœur à verser dans l’humour ou l’ironie, ont alors vite suspecté l’administration de vouloir revenir aux anciennes méthodes de la police politique pour intimider les citoyens et sauver l’honneur du scrutin. Mais, le chemin de l’émancipation politique, nonobstant tous les aléas sociaux, culturels et économiques, semble tracer sa trajectoire, y compris par le moyen de l’abstention Visiblement, l’histoire politique de notre pays a subi une terrible déconvenue, principalement depuis la fin de l’ère du parti unique consacrée par la Constitution de février 1989. Ce parcours cahoteux, enjoint, en fait, au pouvoir en place de se réformer et à la classe politique de se redéfinir. Qu’on se garde de mésestimer cette faille qui fragilise davantage la maison Algérie. Avant d’être strictement politique, donc électorale, la fracture est d’abord culturelle et sociologique. Elle pose, une nouvelle fois, la problématique de la relation entre gouvernants et gouvernés, entre le peuple et son élite, et, enfin, entre la société et l’État. Pour que le diagnostic de l’abstention aux élections arrête d’évoluer au gré des circonstances et ainsi prendre les couleurs du ciel de la journée, il importe, sans doute, de tirer la leçon politique de tous les scrutins subis, et non assumés, par la population au cours des vingt dernières années.

Signe des temps, un journal gouvernemental avait, pour le précédent scrutin législatif, fixé l’extrême limite des ambitions de l’administration à 50% de participation. Sur ce point, on peut dire : Dieu merci ! Les multiples épreuves et les différents drames vécus par notre pays au cours des dernières années ont, avouons-le, fini par acculer l’administration à un « service minimum » en matière de fraude électorale, de bourrage des urnes et d’autres maladresses héritées de la période dictatoriale du parti unique. Le prix payé par les Algériens pour parvenir à un minimum de transparence et de régularité des opérations électorales a été quand même assez fort. Il a même eu pour mode d’expression l’abstention ou, carrément, le boycott des urnes. À la lumière d’un jeu électoral sur lequel pèse moins de soupçons de falsification, l’on peut relativement se targuer d’avoir affaire à des chiffres de participation proches de la réalité et à des résultats sortis des urnes, reflétant plus ou moins les poids des partis. Cependant, malgré ce rapprochement que l’on fait en direction de la transparence, la jubilation du pouvoir politique ne devrait pas aller au-delà du politiquement acceptable. À notre connaissance, entre les législatives de 2007 et celles de jeudi prochain, aucune « révolution culturelle » n’a ouvert ses classes entre-temps en Algérie pour espérer redorer le blason de l’acte de voter. Ni les conditions socioéconomiques des populations, plongées un peu plus chaque jour dans la misère et le chômage au moment où le pays a renoncé de compter ses recettes en dinars (même les devis de certains petits projets sont donnés en dollars depuis quelques années), ni, a fortiori, l’éventail élargi des partis politiques depuis la fin 2011, ouvert sur une syndicalisation en marche du courant islamiste, ne semblent inspirer aux décideurs politiques de pertinentes interrogations sur les vraies raisons de la démission citoyenne, devenue très visible à partir de 2007.

Si, parmi les partis et les organisations de la société civile, il demeure encore des hommes intègres et loyaux, les appareils, quant à eux, sont malheureusement vermoulus et frappés d’une précoce sénilité. Mais le combat démocratique va au-delà des appareils et peut même rassembler, hors des « ateliers » des partis et des vieilles tours d’ivoire, les hommes de bonne volonté.

Le temps travaille assurément pour d’autres alternatives citoyennes, au-delà même de la carte politique qui sortira des urnes dans la soirée du 10 mai.

A. N. M.

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