Lézardes et redressements

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Les chamboulements organiques que sont en train de connaître plusieurs partis, après les élections législatives du 10 mai 2012, nous remettent dans cette réalité presque jamais démentie, depuis l’institution du multipartisme en Algérie, et qui fait que les structures politiques sont d’une telle précarité sur le plan de la composition humaine et de la cohésion idéologique, qu’ils risquent de succomber face à n’importe quel mouvement de contestation ou de dissidence. Si le FLN est accusé de sénilité et de has been, il a apparemment survécu à tous les soubresauts qui l’ont ébranlé et continuent de le faire. C’est que, loin d’être le front qui a libéré l’Algérie du colonialisme ou le parti de gauche qu’ont essayé de faire de lui quelques acteurs dans les années 60 du siècle dernier, le FLN est plutôt un appareil par lequel le commandement informel du pays a essayé d’asseoir sa mécanique institutionnelle et son jeu d’équilibres (régionaux ou d’accès à la rente). C’est une entité abstraite, fuyante, dont on ignore les vrais responsables qui tirent les ficelles. Rappelons-nous cet épisode de 1999. À une question d’un journaliste qui lui demandait pourquoi le FLN soutenait le « candidat du consensus » que fut Abdelaziz Bouteflika, Boualem Benhamouda, à l’époque SG du parti, répondra crûment: « ça vient d’en haut »! Nous disions donc que le FLN est un cas à part, y compris dans ses dissidences, vraies ou factices, bien inspirées ou hautement diligentées. Le cas du RND peut ne pas être différent, à cette exception près, et elle est de taille, celle de la dimension et de la stature de son secrétaire général. En effet, Ahmed Ouyahia est un homme atypique du système, qui assume ce dont on l’accuse, à savoir la haute image qu’il se fait de l’État et de ses instituions. On peut parier que, quelle que soit l’origine du malaise qui a gagné ce parti, la personnalité d’Ouyahia pèsera d’un poids écrasant dans son dénouement, même si l’action et la stratégie du SG du RND dans sa fonction de Premier ministre est loin de relever exclusivement d’une logique partisane. S’agissant du MSP, il est, sans doute, en train de payer l’ambiguïté de ses origines. En effet, l’équipe d’Abou Djorra Soltani est la branche qui a été récupérée par le système politique algérien au temps de Nahnah sur les monts de Tablat et de Larbaâ ; l’autre branche étant celle de Bouali et Chabouti qui ont, dans leur action subversive de 1985, poursuivi leur logique armée jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à leur élimination physique. Le MSP est donc la partie qui a préféré « collaborer » avec le pouvoir politique en jouant sur la stratégie de l’entrisme. Mal lui en prit. Son entrée dans l’Alliance présidentielle en 2004 a fini par oblitérer son identité politique déjà peu solide. Et c’est sans grande surprise que son divorce avec cette structure inter partisane lui a valu des déchirements et des lézardes. On ne peut décidément pas sortir indemne après avoir passé huit ans dans une alliance et avec des ministres au gouvernement. Du moins, il est presque impossible de retrouver son autonomie. Les crises qui frappent, ces jours-ci, une grande partie des autres formations politiques, que la pruderie et le mépris de la première Constitution de l’ère pluraliste (février 1989) classeront sous le nom d’associations à caractère politique, ont des fondements aussi bien internes qu’externes. Le champ politique national a subi, en deux décennies faites de terrorisme, d’autoritarisme et d’un surcroît de corruption, des métamorphoses si profondes qu’on aura de la peine à retrouver le moule initial sous la forme duquel les partis ont vu le jour. Des premiers tiraillements ayant succédé à leur agrément par le ministère de l’Intérieur, aux scissions nées au sein du MDS, au milieu des années 2000, du RCD (au sein même du groupe parlementaire de ce parti), du FFS actuellement, en passant par les crises des petits partis, une faille d’une ampleur géologique semble traverser le corps de ce qui est, sans doute trop promptement nommé « classe politique ». Souvenons-nous que la parenthèse de la période terroriste, où la vie politique du pays était figée, des responsables et plusieurs militants de partis ont été contraints à « changer de métier ».

Des structures nouvelles créées volèrent en éclats; peu de cohérence subsiste et très peu de conviction militante demeure. Avant d’accéder à la loge de l’Alliance présidentielle, le FLN a vécu un redressement d’une façon presque fidèle aux coups d’État scientifiques par lesquels il a l’habitude d’être géré. L’épidémie des redressements a même gagné des organisations non partisanes, supposées représenter la société civile, mais réellement plantées en satellites de certains cercles ou lobbys.

Sans vouloir accorder à l’UNJA une importance et une assise qu’elle ne possède guère, l’on est tenté de nous arrêter sur l’ « anecdote » rapportée il y trois ans par la presse, qui faisait état d’un processus de scission au sein de cette ex-organisation de masse. C’est, en quelque sorte, l’illustration de la pulvérisation et de l’atomisation continuelles du tissu associatif (culturel, professionnel et social) et des organisations politiques.

L’action de déstabilisation a touché à la fin des années 2000, l’UNPA. Ce fut à la veille de son congrès où M. Alioui, son secrétaire général, a quand même été reconduit dans son poste ; l’aile dissidente, conduite par Salah Gaïd, se prévalant d’une légitimité dont on ignore la réalité a préféré en désespoir de cause, chevaucher une autre structure syndicale qui peine à se faire connaître sur le terrain. Bien avant les élections législatives de mai dernier, des germes de division étaient apparus au sein de certaines formations politiques. Nous avons souvenir d’un membre du conseil national du FFS qui nous avouait que le premier secrétaire de l’époque, à savoir Karim Tabou, s’est « définitivement inscrit dans une logique de succession », sachant l’âge avancé du président du parti. Ayant été évincé de son poste, quelques mois plus tard, de nouvelles alliances se sont tissées et elles ne répondent apparemment pas aux attentes de l’ancien responsable du secrétariat tournant.

Ce dernier, avec d’autres militants, est accusé de « travail fractionnaire »; accusation que…Aït Ahmed et ses jeunes camarades du MTLD avaient déjà subie sous le règne hégémonique et autiste de Messali! Si, aujourd’hui, d’autres partis ou associations ne sont pas encore secoués par des crises organiques, ils sombrent, néanmoins, dans et une atonie et une aboulie pour le moins inquiétantes, et qui renseignent sur la décrépitude et l’effritement qui les rongent.

Dans une conjoncture aussi délétère, où presque aucune organisation politique ou citoyenne n’échappe à la gangrène de la scission et des déchirements internes, outre les interférences externes qui viennent brouiller les pistes, c’est la santé politique et associative de notre pays qui est en jeu, et c’est l’exercice des droits et des devoirs de citoyenneté qui risquent d’être hypothéqués.

Amar Naït Messaoud

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